Achat d’une première propriété

Le CELIAPP, un programme de trop

Au début de janvier, Francis Vailles faisait un appel aux jeunes afin que ces derniers prennent connaissance du CELIAPP⁠1, un véhicule de placement qui combine les avantages fiscaux du REER et du CELI pour favoriser l’accès à la propriété immobilière des premiers acheteurs. Si le revenu d’un particulier est de 50 000 $ et qu’il cotise le maximum autorisé annuellement – 8000 $ –, il ne sera imposé que sur 42 000 $, comme pour le REER. De plus, les gains en capital sur l’argent épargné ne sont pas imposables, comme pour le CELI.

Bien que le CELIAPP cherche à favoriser la mise de fonds des premiers acheteurs, ce programme semble davantage avoir été mis en place pour attirer une catégorie d’électeurs cruciale pour les perspectives électorales du Parti libéral du Canada, soit les jeunes relativement aisés.

Pourtant, ce programme fait abstraction de la source de la crise du logement : une déficience de l’offre, plus exactement de l’offre de logement abordable. Pire, en favorisant certains acheteurs, il pourrait contribuer à exacerber la crise en augmentant la demande pour l’achat d’une nouvelle propriété.

Surtout, la création d’un troisième véhicule de placement libre d’impôts s’additionnant au REER et au CELI ne peut qu’être régressive et favoriser les plus nantis.

L’année dernière, nous avons souligné notre désaccord avec ce véhicule d’investissement et nous avons proposé de transformer le CELI en un fonds pour l’action climatique⁠2 afin d’accélérer la transition énergétique. Notre position est toujours la même, mais nous désirons illustrer l’aspect régressif entraîné par la triple coexistence des principaux comptes d’épargne.

Le REER inclut des droits de cotisation annuels de 18 % du revenu, le CELI autorise 6500 $ de cotisation par année et le CELIAPP offre 8000 $ de droit de cotisation annuelle. Pour le Québécois moyen, c’est beaucoup (trop) d’épargne. Déjà, seule une minorité de la population cotise au REER et au CELI, alors que 35 % des ménages ne bénéficient aucunement de ces comptes d’épargne et que le taux de cotisation augmente directement avec le revenu des ménages3. Ainsi, non seulement ces comptes d’épargne profitent surtout aux plus nantis qui cotisent davantage et reçoivent de plus importantes réductions d’impôts, mais aussi ces programmes sont très coûteux pour le Trésor public – le CELI a coûté, à lui seul, près de 2 milliards en 2020. Les rendements étant composés à l’abri de l’impôt, cette facture ne sera que plus salée avec le temps, surtout qu’une fois mis en place, l’élimination de ces programmes entraînerait des conséquences électorales que les partis cherchent à tout prix à éviter.

Un exemple de l’iniquité

Afin d’illustrer l’iniquité qu’amène la duplication de ces trois comptes d’épargne, voici un cas d’application.

Anna a un revenu annuel de 50 000 $, soit davantage que le Canadien médian. Elle considère acquérir sa première propriété ; avec les trois fonds, elle a 23 500 $ de droit de cotisation annuelle. Logiquement, les 8000 premiers dollars iront directement dans le plus généreux des trois fonds, le CELIAPP, alors que les 9000 prochains dollars d’épargne iront au REER afin d’augmenter le plus possible la mise de fonds. Anna est donc imposée sur 33 000 $, ce qui lui laisse 25 500 $ de revenu disponible. Puisque c’est essentiellement un revenu de subsistance, elle ne pourra cotiser au CELI. Anna est très économe, car ses 34 % d’épargne représentent un taux particulièrement élevé ; le taux d’épargne des Québécois est de 8 %.

À l’inverse, Charles a un revenu de 100 000 $. Après cotisation REER (18 000 $) et CELIAPP (8000 $) et après impôts, Charles possède 52 000 $ pour cotiser à son CELI. Il peut donc cotiser 6500 $ dans son CELI, amenant son taux d’épargne à 32,5 %.

Imaginons que ces deux individus aient 25 ans et épargnent de la sorte pendant cinq ans pour acquérir leur première propriété à 30 ans. À un taux d’intérêt composé de 5 %, les 32 500 $ de cotisation CELI de Charles représentent 210 000 $ à 65 ans. À un taux d’imposition effectif de 30 %, c’est 52 500 $ d’impôts que le CELI de Charles coûte à l’État, en seulement cinq ans de cotisations au CELI. Pis encore, Anna – qui avait pourtant un taux d’épargne plus élevé que celui de Charles – ne reçoit rien.

Cet exemple illustre le non-sens de la duplication de ces comptes d’épargne. Il faut des taux d’épargne particulièrement élevés ou l’aide d’un parent plus fortuné pour profiter pleinement de ces programmes d’épargne.

La création d’un troisième programme d’épargne est une tempête parfaite pour stimuler les inégalités. Cette triple coexistence n’amène rien au Québécois moyen, en plus d’être particulièrement coûteuse pour l’État. Si l’objectif est de régler la crise du logement, nous sommes d’avis que les deniers publics seraient mieux investis ailleurs que dans l’ajout du CELIAPP.

1. Lisez la chronique de Francis Vailles

2. Lisez le texte « CELI 2.0 : Un Fonds pour l’action climatique »

3. Consultez les données du taux de cotisation des ménages

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