Sport électronique

Un gamer bien de chez nous

Les joueurs professionnels de sport électronique sont rares au Québec. Ils se comptent sur les doigts d’une seule main. Louis-Philippe Geoffrion, dit « PainDeViande », est l’un d’eux. Voici son histoire.

Comme un athlète professionnel, Louis-Philippe Geoffrion a des coéquipiers, des entraînements, des victoires et des défaites. Le jour de notre entrevue, il s’apprêtait à partir pour un tournoi en Suède. Normal, dans sa discipline, il est vice-champion du monde.

Pourtant, Geoffrion, 22 ans, passe complètement inaperçu au Québec. C’est peut-être une preuve de plus que les sports électroniques ont encore bien du chemin à parcourir dans la Belle Province.

« Au Québec, on n’est malheureusement pas les meilleurs en jeux vidéo. Ici, je connais un ou deux autres joueurs professionnels en Esport », dit Geoffrion, qui compte des commanditaires américains, mais aucun dans sa propre province.

Le résidant de la Rive-Sud de Montréal est un joueur professionnel de SMITE, jeu de style arène de bataille. C’est un jeu moins populaire que LOL ou DotA. Mais il a tout de même un volet compétitif bien établi.

Selon le site Esportsearnings.com, SMITE est le septième jeu en importance au chapitre des bourses, avec 5,7 millions en prix dans son histoire, loin derrière le leader DotA 2 (65 millions).

Comment devient-on joueur professionnel de jeux vidéo ? Comment se retrouve-t-on, comme Geoffrion, à pouvoir empocher 50 000 $ en une fin de semaine en pianotant sur son clavier ?

Comme la carrière de tout athlète, celle du Québécois est née d’une passion.

Il avait 4 ans quand il a commencé à jouer à la console. Ce qu’il aimait le plus à cet âge, c’étaient « les belles images ». Puis il a vieilli, est devenu inséparable de son Game Boy.

« J’ai attrapé le virus. Je jouais tout le temps à Pokémon sur mon Game Boy. Avec le temps, j’ai commencé à jouer à des jeux plus compliqués sur l’ordinateur. »

— Louis-Philippe Geoffrion

Il s’est mis à jouer à League of Legends (LOL), un jeu sorti en 2009 qui est devenu l’un des plus populaires. Lors des pics, plus de 7 millions de personnes peuvent jouer en ligne simultanément. LOL a beaucoup fait avancer le sport électronique : ses compétitions attirent des millions de spectateurs devant leur écran, comme le ferait un match de hockey ou de tennis.

En 2012, il a commencé à jouer à SMITE. Il est vite devenu l’un des meilleurs joueurs. En ligne, il s’est tissé un réseau d’amis aux États-Unis. Puis il a cofondé une équipe professionnelle. SMITE se joue à cinq contre cinq, il lui faut donc quatre coéquipiers, lesquels sont tous américains.

Son meilleur résultat en carrière est venu en janvier dernier : une deuxième place aux championnats du monde.

CONVAINCRE LES PARENTS

Lorsqu’il parle de sa carrière dans les sports électroniques, Louis-Philippe Geoffrion en vient à parler de ses parents. Difficile pour un jeune de convaincre ces derniers que les heures passées devant l’ordinateur ne sont pas « perdues ». Le jeu vidéo demeure pour beaucoup une « perte de temps ».

« Quand j’ai commencé à “gamer” plus, j’étais à l’école secondaire. Avant le jeu vidéo, je lisais beaucoup. Le jeu a pris la place de la lecture. C’est certain que mes parents n’aimaient pas trop ça. Ils me disaient d’aller jouer dehors », explique Geoffrion.

« C’est difficile pour eux de comprendre que leur enfant passe du temps devant un écran, en ligne avec ses amis, et que son cercle social se trouve là. C’est dur à comprendre. Mais en ce moment, c’est la réalité. »

« Pour un jeune, aujourd’hui, passer la soirée à “gamer” avec ses amis, c’est l’équivalent d’aller jouer dehors au parc, l’équivalent d’aller au bar prendre une bière. »

— Louis-Philippe Geoffrion

Ses succès lui ont permis de gagner de l’argent. Geoffrion révèle qu’au dernier championnat du monde, il a empoché environ 50 000 $. Il entend payer ses études universitaires avec la bourse.

À 22 ans, il s’apprête à commencer un bac en création de jeux vidéo et en gestion d’une entreprise de jeux vidéo à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Geoffrion ne sait pas encore ce que lui réserve son avenir de gamer. S’il gagnait les championnats du monde, il se hisserait dans une catégorie à part.

« La question, c’est : est-ce que je peux vivre de ça pendant 20 ans ? Probablement pas. Les joueurs professionnels d’e-sport jouent au maximum de huit à neuf ans. Ensuite, ils passent à une autre facette de l’industrie, comme entraîneur, gérant ou analyste. Mais ils ne joueront pas pendant 15 ans comme un joueur de hockey. »

Les carrières sont courtes et fulgurantes dans le sport électronique. Il n’est pas rare de voir un joueur au sommet de son jeu une année presque complètement oublié deux ans plus tard. Les joueurs doivent rester à la page.

« Il faut se plier à un horaire exigeant. Du lundi au vendredi, on s’entraîne de 19 h à 22 h. En plus de ça, on joue plusieurs heures par semaine en solo. Avant les compétitions, c’est plus intense encore. »

Geoffrion ne sait pas si sa carrière va se poursuivre encore longtemps. Les prochains Mondiaux de SMITE lui permettront de se faire une tête. Ce qu’il sait, c’est qu’il aura fait partie des pionniers au Québec, de ceux qui ont tenté leur chance dans le monde en pleine effervescence du sport électronique.

« Peu importe ce qui arrive avec ma carrière, j’ai vraiment hâte de commencer mon bac. Je suis un passionné de jeu vidéo, alors c’était clair que je veux rester dans ça. C’est une passion qui ne me quittera jamais. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.