Environnement  C2 MTL

Hériter d’un Nobel

RENCONTRE AVEC WANJIRA MATHAI

Son nom de famille ne s’écrit pas exactement de la même manière, mais Wanjira Mathai est sans l’ombre d’un doute la fille de la première femme africaine et première environnementaliste à avoir reçu le prix Nobel de la paix, Wangari Maathai.

En visite cette semaine de Nairobi dans le cadre de la conférence C2 Mtl, Wanjira Mathai raconte aujourd’hui comment le prestigieux prix, décerné en 2004, n’a pas seulement bouleversé la vie de sa mère, auprès de qui elle travaillait depuis tout juste deux ans, mais aussi la sienne.

« J’avais l’impression d’être dans un moment – pour notre organisation, mais aussi pour le Kenya – d’importance historique », relate-t-elle.

Lorsque, sept ans plus tard, sa mère est morte d’un cancer foudroyant, Wanjira Mathai est devenue l’héritière spirituelle de son œuvre. Une œuvre gigantesque. 

De 1977 à sa mort, Wangari Maathai a incité des centaines de milliers de femmes à planter des arbres. Pour contrer la déforestation à vitesse grand V de l’Afrique subsaharienne. Pour améliorer leur propre sort.

Appelée Green Belt Movement (le Mouvement de la ceinture verte), l’initiative de la Kényane a essaimé à travers l’Afrique. Quand Mme Maathai a reçu le Nobel, plus de 30 millions d’arbres avaient déjà été plantés et des tonnes de vies avaient été transformées.

100 MILLIONS D’HECTARES

Comment marcher dans les pas de celle qu’on surnommait « la mère des arbres » ?

Lors de la conférence de Paris sur les changements climatiques, en décembre dernier, Wanjira Mathai a coprésidé une grande réunion des pays d’Afrique. À la fin de la rencontre, une horde de pays se sont engagés à restaurer plus de 100 millions d’hectares de forêt d’ici 2030.

« Oui, c’est une des bonnes nouvelles qui est sortie de Paris », dit-elle aujourd’hui. 

« C’est une décision fantastique de l’Afrique qui permet de montrer que les pays africains prennent leurs responsabilités en protégeant leurs forêts dégradées. Rien ne pourrait être plus important. »

— Wanjira Mathai à propos de l’engagement des pays africains à restaurer plus de 100 millions d’hectares de forêt d’ici 2030

« Le plus grand défi, cependant, sera de faire respecter les engagements. Certains pays accélèrent la déforestation alors même qu’ils viennent d’établir des cibles ambitieuses de reforestation », dit Mme Mathai.

GÉNÉRATION ÉNERGIE

Aujourd’hui dirigeante de l’organisation fondée par sa mère, Wanjira Mathai, diplômée des écoles de santé publique et d’administration des affaires de l’Université Emory, en Géorgie, veille à élargir les activités de son réseau.

« Le Mouvement de la ceinture verte est basé sur trois problématiques : le manque d’énergie, le manque d’eau et le manque de nourriture nutritive. Les actions de ma mère ont surtout permis de s’attaquer aux deux derniers problèmes, mais le manque d’énergie reste pressant depuis 1977 », explique-t-elle.

Avec l’aide d’un grand nombre de partenaires africains et étrangers, elle a mis sur pied wPower, une initiative qui a pour but de transformer 8000 femmes issues de communautés rurales en chefs d’entreprise dans le secteur des énergies vertes et renouvelables.

« Déjà 5000 femmes sont devenues des microentrepreneures. Elles vendent des panneaux solaires et des cuisinières qui n’émettent pas de gaz nocifs. Elles utilisent d’abord elles-mêmes les nouvelles technologies puis les vendent à des femmes comme elles. Du coup, elles transmettent aussi le savoir », note Wanjira Mathai.

Selon elle, les conditions n’ont jamais été aussi propices à la dissémination de technologies plus propres dans les coins les plus pauvres de l’Afrique.

« Grâce aux dernières avancées, l’énergie solaire est aujourd’hui moins chère au Kenya que les énergies traditionnelles. Pour les gens qui n’ont pas accès à l’électricité, c’est un bond de géant », dit-elle.

L’impact des cuisinières est tout aussi marqué. Ces dernières pourraient éventuellement prévenir chaque année la mort de 1 million de personnes qui succombent aux gaz toxiques émis par des cuisinières traditionnelles.

CÉLÉBRER L’HÉRITAGE DE MAATHAI

Au-delà de son désir de continuer le travail de sa mère, Wanjira Mathai se sent aussi investie d’une autre mission : garder vivant le souvenir de cette femme d’exception. Une mission partagée par ses deux frères, Waweru et Muta.

« Quand notre mère est morte, nous nous sommes demandé comment aller de l’avant. Nous avions en mains les cadeaux qu’elle a reçus, les prix, ses écrits, ses livres. Nous sentions que tout cela n’appartenait pas à notre famille, que ça devait être partagé », raconte-t-elle.

Elle travaille d’arrache-pied pour mettre sur pied la maison de Wangari Maathai, qui accueillera, au milieu d’un parc de Nairobi, autant les cendres que l’œuvre de la militante environnementaliste.

Le tout, espère-t-elle, servira d’inspiration à une génération de jeunes Kényans en manque de modèles et qui disent à 73 %, selon une récente étude, avoir peur de se tenir debout pour leurs idées.

« L’exemple de ma mère leur démontre qu’il est possible de faire de grandes choses tout en restant intègre », dit-elle.

LA MÈRE DES ARBRES

« Pour sa contribution au développement durable, à la démocratie et à la paix ». C’est dans ces termes que le comité du prix Nobel de la paix a reconnu le travail de Wangari Maathai, Prix Nobel de la paix 2004. Couronnée pour son impact sur l’environnement, la Kényane, morte en 2011 à l’âge de 71 ans, a réussi à faire tomber plus d’un mur dans sa vie. Wangari Maathai a été la première femme de l’Afrique de l’Est et centrale à recevoir un doctorat (en biologie), puis la première à devenir professeure d’université dans son pays natal. Elle a aussi été une figure d’opposition de premier plan contre le régime du président Daniel arap Moi, au pouvoir pendant 24 ans. Mariée à Mwangi Mathai, avec qui elle a eu trois enfants, elle a divorcé de ce dernier à la fin des années 70. Quand il a voulu l’empêcher d’utiliser son nom, elle y a ajouté un « a ».

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