Le retour des pionniers de la microbrasserie québécoise

En seulement quelques années, l’industrie brassicole québécoise a acquis une expertise enviable, et plusieurs dizaines de microbrasseries ont vu le jour. Chaque mois, nous parlons d’un aspect du monde effervescent de la bière.

Avec sa désormais mythique IPA du Nord-Est, Boréale a montré il y a quelques années qu’il était possible de revenir sous les feux de la rampe brassicole. Bousculés par ce coup de maître, les autres pionniers de la microbrasserie québécoise ont tardé à réagir, malgré quelques timides tentatives. Mais il n’est manifestement pas trop tard pour bien faire.

En ouvrant en juin leur magnifique terrasse des Quartiers Belle Gueule, voisine de leur usine du Plateau Mont-Royal, les Brasseurs RJ ont manifesté avec éclat leur désir de rester pertinents. « On a oublié qu’on avait une vraie histoire à raconter, on a oublié de dire au consommateur qu’au départ, on était une brasserie urbaine. On avait la tête dans le volant, puis on allait de l’avant, reconnaît d’emblée le directeur général Michel Godin. Et puis on a décidé de faire un diagnostic complet de la nature de notre entreprise, on a réalisé 240 heures de sondage auprès des consommateurs, et ils nous ont dit qu’ils voulaient de l’innovation. On pense que ça va renforcer la marque mère Belle Gueule, ça va donner un coup de barre de sympathie à notre microbrasserie. »

Inviter les gens sur une belle terrasse urbaine n’est toutefois pas suffisant. De toutes nouvelles cuves de brassage de petit format ont été installées dans un bâtiment fraîchement rénové qui abrite aussi un bistro-brasserie qui doit ouvrir ses portes à la fin de septembre, à l’occasion d’un premier Oktoberfest montréalais – une douzaine de microbrasseries québécoises bien en vue seront sur place, comme Mellön, Dunham, Gallicus, Maltström et Grands Bois.

Ce laboratoire brassicole est piloté par le maître-brasseur Jan-Philippe Barbeau, un vétéran qui a notamment officié chez Lagabière en plus de diriger le captivant projet collaboratif itinérant Épitaphe. Il a pour mission d’élaborer des brassins exclusifs destinés aux lignes de fût des Quartiers Belle Gueule, mais aussi aux grandes installations de l’usine voisine si l’expérience est concluante. Les premiers résultats de cette expérimentation forment la série Exploration, de même qu’une Kellerbier et une Pale Ale Dessert, cette dernière étant le fruit d’une collaboration avec la brasserie Emporium, de Québec. Les deux brassins sont franchement bien réussis.

« Quand on m’a proposé de venir ici, j’ai trouvé le défi merveilleux parce que ça me permet d’exprimer tout le travail que je veux faire. »

— Jan-Philippe Barbeau, maître-brasseur

« On m’a notamment donné le feu vert quand j’ai voulu faire venir une levure de République tchèque pour une collaboration avec Isle de Garde qui va sortir en septembre. Je n’aurais pas pu faire ça dans aucune autre brasserie », soutient le brasseur.

Belle Gueule a brassé la première lager de microbrasserie au Québec, voilà justement un style de bière qui pourrait être sa planche de salut, 33 ans plus tard. « C’est le fun que les lagers reviennent à la mode, hein ? nous dit Jan-Philippe Barbeau, sourire en coin. C’est d’ailleurs ce qu’il y a dans les trois fermenteurs du labo, et c’est la bière que l’on va principalement servir lors de l’Oktoberfest. Cela dit, je ne veux vraiment pas m’arrêter à quelque chose en particulier. On va continuer de faire des essais avec des NEIPA. C’est un produit qui fonctionne quand même bien, on en vend. Mais est-ce que c’est ça qui nous distingue ? Probablement pas. »

Unibroue actualise ses classiques

Si les Brasseurs RJ ont investi beaucoup dans la construction des Quartiers Belle Gueule – un processus qui a mis quatre ans à aboutir –, Unibroue a mis en veilleuse son propre projet de bistro-brasserie montréalais. L’endroit avait été choisi, le bail était signé, cela aurait permis aux amateurs de découvrir des créations inédites du brasseur Jerry Vietz – on a déjà eu la chance de goûter à une fabuleuse cuvée confidentielle de Fin du Monde ayant séjourné dans des barriques de tequila. Mais face à l’inéluctable virage du marché brassicole vers la canette d’aluminium, Unibroue et sa maison mère Sapporo ont plutôt choisi de consacrer 15 millions de dollars à la mise au point d’un système qui permet la refermentation en canette. Un investissement qui semble sensé, à la lumière des résultats de la populaire Blanche de Chambly, vendue en canette dans une proportion de 67 % après un an seulement.

L’idée est d’innover tout en continuant d’offrir les classiques qui ont bâti la renommée du brasseur de Chambly – qui a incidemment récolté à la mi-août le plus de mentions au pays du volet national des World Beer Awards. « Notre gamme Autre Chose nous permet de continuer d’aller chercher de nouveaux buveurs, mais ce n’est pas vrai que tout le monde veut des bières houblonnées qui font fondre les plombages, explique en rigolant Sylvain Bouchard, sommelier en bière chez Unibroue. On est conscient que le buveur de niche ne va pas nous considérer, il va plutôt se tourner vers le brasseur barbu tatoué qui tient un fourquet dans une grange isolée en campagne, je n’ai aucun problème avec ça. »

Néanmoins, celui qui œuvre chez Unibroue depuis 2001 nous confie que des collaborations avec d’autres microbrasseries québécoises sont en voie de réalisation, des projets qui pourraient leur « permettre de décliner certaines de [leurs] marques classiques en fonction des goûts d’aujourd’hui », soutient-il.

« Notre objectif est d’aller chercher une nouvelle clientèle en démontrant que l’on n’est pas devenu une marque passéiste, affirme Sylvain Bouchard. Inévitablement, les amateurs de bière vont vouloir goûter à des classiques qui ne sont pas cachés derrière des tonnes de houblon. »

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