Chronique

La fin de la grand-messe ?

Lors du lancement de la nouvelle programmation de la télé de Radio-Canada, fin août, Michel Bissonnette, vice-président principal, a entamé sa présentation en annonçant qu’il faisait prendre un virage à ses journaux télévisés.

De deux choses l’une : ou bien on a voulu évacuer le sujet au début de cette conférence de presse parce qu’on trouvait cela plate, ou bien on croit encore fermement en l’avenir de l’information à la société d’État.

« À l’époque des fake news où on ne sait plus ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas, on n’a qu’à montrer la molécule de Radio-Canada, et les gens savent que c’est une information fiable et crédible », a dit Michel Bissonnette.

Il a raison de vouloir contrer les fausses nouvelles provenant des réseaux sociaux. Mais je crois que les journaux télévisés, la grand-messe d’autrefois, font face à de pires ennemis. 

À l’heure de l’information en continu et de la prolifération d’une foule de plateformes numériques, on peut se demander quelle est la pertinence de présenter tous les jours des bulletins à heure fixe qui sont de moins en moins regardés…

Depuis une quinzaine d’années, les cotes d’écoute des journaux télévisés de fin de soirée sont en chute libre ou demeurent stagnantes. Et depuis une quinzaine d’années, on rivalise d’ingéniosité pour tenter de garder la tête hors de l’eau. La situation est partout pareille. En France, où le rendez-vous du 20 heures était autrefois sacré, on connaît le même problème.

Afin de redonner du pep à leur JT, comme on dit là-bas, certaines chaînes ont adopté une formule de magazine que l’on offre en seconde partie. Cette méthode a été exploitée chez nous il y a fort longtemps. Ça s’appelait Le Point.

Auteur de l’essai Jeter le JT, le journaliste et ex-présentateur d’Arte, William Irigoyen, y va d’une charge à fond de train contre le rendez-vous de 20 h, qu’il juge rien de moins que « superficiel, tiède, nombriliste et archaïque ». En entrevue au magazine Télérama, il a déclaré « en avoir assez des robinets à eau tiède des JT ».

Celui qui souhaite voir apparaître une nouvelle forme d’info télé trouve que les JT ne sont plus d’actualité. « Démographiquement, de moins en moins de jeunes les regardent ; de nombreuses enquêtes le prouvent. Et intellectuellement, ils ne tiennent plus leurs promesses », a-t-il déclaré.

William Irigoyen n’a pas tort. Mais en même temps, je ne peux m’empêcher de saluer les efforts qui sont faits ici pour donner aux journaux télévisés un nouveau souffle. Ces efforts témoignent d’une volonté de maintenir une information de qualité bien en place. C’est ce qui compte, au fond.

J’ai regardé la « nouvelle formule » du Téléjournal de Radio-Canada (édition de 22 h). En plus de l’ouverture qui a du mordant, un habillage visuel attrayant et une plus forte présence des infographies explicatives, on a décidé de mettre l’accent sur la profondeur en présentant moins de sujets et en leur accordant plus de temps afin de les décortiquer et de les analyser.

Mardi, on a ouvert l’émission avec la situation que vivent les Dreamers. Pas moins de neuf minutes ont été consacrées à ce sujet. Plutôt audacieux comme choix, mais profondément radio-canadien.

Je dois dire que cette formule me plaît et me parle. Mais bon, je suis quelqu’un qui consomme beaucoup d’information durant toute la journée ; j’ai moins besoin qu’on me fasse faire un tour d’horizon complet en fin de soirée.

En fait, je sens qu’outre les premiers sujets qui relèvent d’une actualité incontournable, on craint moins de présenter des sujets originaux émanant des idées de la salle de rédaction. On a compris à Radio-Canada que la survie des grandes salles de rédaction passe par un caractère exclusif.

Pendant ce temps, à TVA, on maintient la recette de la « nouvelle parlée et expliquée avec chaleur » en présentant un plus grand nombre de sujets qu’à Radio-Canada. Et à V ? La nouvelle formule NVL a de quoi rendre perplexe. Une voix anonyme présente les grandes nouvelles du jour par le truchement d’images. C’est ce qu’on appelle un « format économique ». On voudrait mieux.

Parmi toutes ces propositions, j’ai tendance à croire que Radio-Canada prend le meilleur virage. L’avenir de l’information télévisuelle passe par ce type de concept. Nous verrons, je l’espère, de plus en plus d’émissions, comme l’excellent 24/60 animé par Anne-Marie Dussault, en soirée à la télé. Offrir de la profondeur et du recul, oui, mais l’offrir en se retournant rapidement sur un dix cennes.

En terminant, lors du lancement de la programmation de Radio-Canada, Michel Bissonnette a dit que le matériel des TJ de 18 h et 22 h allait davantage se retrouver sur toutes les plateformes de Radio-Canada. C’est bien de donner de l’amour au TJ, mais j’en donnerais maintenant au site web de Radio-Canada. De grand centre commercial qu’il était, il est devenu un immense marché aux puces dans lequel on se perd facilement. Faites l’exercice en tentant d’y repérer un élément. Aussi bien chercher Charlie. J’ai dû passer par Google pour regarder Céline Galipeau en différé cette semaine. Ça « regarde » mal.

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