Éditorial : Itinérance

Le refuge n’est pas une solution

La Ville de Montréal n’avait plus le choix : avec ses chaufferettes improvisées, ses tentes de nylon et ses bonbonnes de propane, le campement de la rue Notre-Dame était une bombe à retardement. Le risque d’un accident tragique y augmentait à mesure que le mercure piquait du nez.

Déjà au cours des dernières semaines, rassurés de pouvoir entreposer leurs maigres possessions jusqu’au printemps, une partie des campeurs avaient quitté les lieux. Restaient quelques dizaines d’irréductibles qui ont été dirigés, depuis lundi, vers des refuges d’urgence. Notamment l’Hôtel Place Dupuis, au centre-ville de Montréal.

Fallait-il absolument déployer un grand dispositif policier, avec l’escouade anti-émeute et des agents à cheval, pour pousser les derniers « campeurs » à quitter les lieux ? Probablement pas. Mais enfin, l’opération s’est déroulée sans dérapages.

Ce campement, autrefois inimaginable à Montréal, est donc disparu du décor. Laissant derrière lui une tonne de questions.

Notamment celle-ci : comment se fait-il que des sans-abri se soient accrochés à leur îlot urbain, malgré le froid, résistant le plus longtemps possible à la possibilité de dormir dans un refuge ?

Ce qu’on comprend, des témoignages des anciens « campeurs », c’est que pour eux, une tente, même plantée au bord d’une quasi-autoroute, est ce qui se rapproche le plus d’un appartement. Un lieu privé, où on peut rester du matin au soir, et où on peut laisser nos biens sans avoir à les traîner dans un sac d’épicerie à longueur de journée.

L’une des raisons invoquées par les sans-abri pour justifier leur rejet des refuges, c’est le fait que ces derniers n’ouvrent leurs portes que pour la nuit. Après, il reste 12 heures à errer dans les rues froides à la recherche d’un peu de chaleur.

À la demande de la Ville de Montréal, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal a accepté d’augmenter les heures d’ouverture du refuge de la Place Dupuis.

La Ville a de son côté ajouté presque 400 places en refuges d’urgence cet hiver, comparativement à l’an dernier. On a multiplié les « haltes chaleur », accessibles le jour. Notamment celle du Grand Quai où l’on peut manger et se réchauffer. Et qui offre un service de navette, en autobus, depuis la Place Dupuis.

Bref, si le nombre de personnes itinérantes a explosé à Montréal depuis le début de la pandémie, les ressources qui leur sont destinées se sont adaptées et multipliées.

Et pourtant, des itinérants résistaient encore cette semaine à leur déplacement. Et s’accrochaient à leur minuscule abri de toile. Difficile à comprendre ?

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« Un abri permet de se protéger d’une tempête, mais un logement permet de mener une vie décente », a l’habitude de dire Juha Kaakinen, directeur de l’organisme finlandais responsable de la lutte contre l’itinérance à Helsinki.

C’est en 2008 que la Fondation Y a entrepris sa bataille visant à sortir les gens de la rue. À l’époque, la Finlande comptait près de 20 000 itinérants. Et dans la capitale, plus de 500 auberges et refuges leur offraient un lit pour la nuit.

La grande bataille contre l’itinérance est partie du constat suivant : les refuges ne permettent pas de sortir les gens de la rue. Ce qu’il faut, c’est des logements.

Et ce n’est qu’une fois qu’ils ont une adresse que les ex-itinérants sont en mesure de régler les problèmes qui les ont fait atterrir dans la rue. Pas avant.

Des refuges ont donc été convertis en coops d’appartements, l’État a investi dans des logements sociaux destinés spécifiquement aux sans-abri. En 10 ans, des milliers de logements ont vu le jour. Le nombre de refuges, lui, a fondu : il n’en reste plus qu’une cinquantaine. L’itinérance n’a pas été éliminée, mais le nombre de sans-abri chroniques a fléchi de 26 %. Un cas unique en Occident.

Ce que l’exemple finlandais prouve, c’est que l’itinérance n’est pas une fatalité. Que les refuges ne font que soulager, mais ne soignent pas le mal. Et que la solution, la vraie, passe par une offre généreuse de loyers abordables.

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