Budget du Québec

Justice : le portefeuille n’est pas à la hauteur des défis à relever

Récemment, La Presse a rapporté que « malgré la crise du système judiciaire, le budget de la justice fond de 3,1 % »1. Alors que nos tribunaux souffrent d’un sous-financement chronique depuis de nombreuses années, les récents mois ont permis de constater l’ampleur accumulée des dégâts. La crise se matérialise de différentes manières : délais qui traînent en longueur, bris de services dans les matières criminelles et civiles, usage restreint des technologies dans la tenue des dossiers judiciaires et pénurie généralisée de personnel judiciaire et administratif. On a notamment rapporté le risque de voir des dizaines de milliers de dossiers en matière criminelle et pénale dépasser les délais posés par l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada2, mettant en péril leur poursuite3.

Face aux défis du sous-financement, plusieurs osaient rêver que la justice reçoive enfin sa part du lion. Soulignons au passage que l’actuel gouvernement s’est préoccupé davantage de la justice que bon nombre de ses prédécesseurs. Or, plutôt que d’accorder aux tribunaux québécois les moyens de leurs ambitions, le gouvernement a proposé en février son projet de loi no 8 (PL8), Loi visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l’arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec. Alors que l’accueil du PL8 a été somme toute bon, qu’en est-il réellement ?

Le PL8 propose pour la Cour du Québec une voie procédurale simplifiée qui, quoique intéressante, est d’une audace limitée. Il propose également pour la Division des petites créances de la Cour du Québec un virage musclé vers la médiation et l’arbitrage. Alors que ces modes privés de règlement des différends offrent des avantages indéniables aux justiciables, ceux-ci ne doivent pas constituer une solution de remplacement à un système de justice sous-financé.

Garantir l’accès aux tribunaux est fondamental dans une société de droit. Or, le PL8 invite les justiciables aux prises avec des petites créances à évacuer leurs problèmes hors d’un système de justice qui étouffe.

Cela doit être dit clairement : l’heure des économies de bouts de chandelle et des exercices législatifs semi-créatifs est révolue. L’ampleur des problèmes en justice ne pourra être palliée sans investissements majeurs pour notamment embaucher suffisamment de personnel judiciaire et l’inciter à demeurer en poste. À ce titre, face à une crise des délais dans son système de justice, la France a récemment annoncé d’importants investissements en justice pour permettre des embauches massives4. La bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau, proposait à juste titre de doubler le budget de la justice5. Le sous-financement est tel, et perdure depuis si longtemps, qu’une intervention budgétaire radicale est essentielle pour l’amélioration de l’accès à la justice. Toute autre intervention, aussi judicieuse soit-elle, aura des effets limités alors que le portefeuille n’est pas à la hauteur des défis à relever.

Pendant ce temps, il semble qu’une des stratégies du gouvernement du Québec est de repousser la faute sur l’administration des tribunaux, transgressant au passage la fondamentale séparation entre le judiciaire et les pouvoirs législatif et exécutif. On sait pourtant que la tâche des juges est aussi importante qu’elle est éreintante. La figure du juge au Québec est au cœur de la confiance que les justiciables portent aux tribunaux. Nos juges, des juristes dont les compétences d’exception sont reconnues à l’intérieur et hors de nos frontières, travaillent soirs et fins de semaine pour surmonter les masses de travail qui s’empilent sur leurs bureaux. L’élastique n’est toutefois pas infini, et le bon travail prend du temps.

La juge en chef de la Cour supérieure, Marie-Anne Paquette, a récemment confié à La Presse qu’elle avait l’intime sentiment que, dans notre système de justice, « tout tient avec du duct tape »6. Espérons que nos tribunaux auront encore les moyens de s’en procurer quelques roulettes, parce que la disette est loin d’être terminée.

1. Lisez l’article de Tommy Chouinard « Budget du Québec : une baisse d’impôt moyenne de 370 $ »

2. R. c. Jordan, 2016 CSC 27

3. Lisez l’article de Louis-Samuel Perron « Explosion de délais : la justice près du point de rupture »

4. Lisez l’article d’Actu-Juridique.fr « Éric Dupond-Moretti dévoile sa réforme issue des États généraux »

5. Lisez l’article d’Alice Girard-Bossé « Le système de justice est au bout du rouleau, clame le Barreau »

6. Lisez l’entrevue avec la juge en chef de la Cour supérieure « Tout tient avec du duct tape »

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