Esquisses

La fin de l’été

Après deux ans d'absence, l'artiste Marc Séguin reprend la plume dans La Presse. Toutes les deux semaines, il proposera un regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Une marche tranquille il y a dix jours. Le chemin Roxham est à 5 km de la maison. Quarante minutes sur deux routes de campagne. Et en profiter pour faire des téléphones en marchant.

La troisième coupe de foin est faite et pressée depuis déjà un bon moment. Certains agriculteurs en feront quatre, c’est rare. C’est une année exceptionnelle pour le foin. Pour le reste, c’est moyen. Normalement, je peux dire à quelques jours près la date du calendrier d’un été en regardant l’état des champs de maïs et de soya. Cette année, c’est plus difficile. Il a fait froid en juin et tout a pris du retard. Ou peut-être est-ce la faute aux astres ou à cette mode contemporaine hallucinante : celle de trouver et nommer un coupable. Ou d’honorer une victime. C’est à cause de la pluie, d’El Niño, de l’inflation, du dérèglement climatique…

Fin août, malgré quelques soubresauts, les nuits sont plus fraîches et la lumière se tamise plus tôt. L’été achève et c’est tant mieux, car trop d’heures estivales « au ralenti » ne favorisent pas le dogme de l’économie et cette condamnation à la productivité croissante et éternelle.

L’Ukraine s’est installée dans une étrange distance, cousine d’un souvenir ou d’une médication. L’idée bourgeoise, et narcissique, que les Russes allaient se révolter contre leur tsar fait bien rire six mois plus tard. Ils résistent et forment dorénavant une redoutable alliance avec la Chine. On embarque encore dans un film de bons et de méchants. L’ancien président américain n’a pas pris une once de bon sens et il a réveillé la névrose des journalistes qui faisaient une sieste avec Biden.

Avec la loi sur la qualité de l’environnement, 89 entreprises avaient compris avant nous les bienfaits (je souris) du pouvoir et de l’autorité : si tu menaces un gouvernement avec des chiffres et des « jobs », tu peux contourner les règles et polluer (on ne peut pas vraiment utiliser ce mot, alors en remplacement, vous pouvez utiliser la poésie qui vous fait plaisir) pour faire avancer la société.

Dans mille et une municipalités du pays, il est interdit de faire des feux dehors l’été ou dans un poêle à bois certifié conforme aux normes EPA, à longueur d’année.

Vaut mieux se chauffer l’hiver avec des produits fossiles ou construire d’autres barrages en « déplaçant » des écosystèmes, pour être plus verts. On apprend doucement, entre deux vaccins, que les miracles n’existent pas.

Rien de ce qui précède n’est dit avec amertume ni cynisme. Sur les ronds de la cuisinière mijotent les sauce tomate, confitures ou légumineuses à mettre sous vide. Pour les autres saisons.

Toutes les fins d’été se ressemblent. Les enfants retournent à l’école, y en a encore trois ici, certains (certaines plutôt) avec des sourires et d’autres sur les talons. Tout est normal.

Les fossés des routes de campagne abondent en magnifiques fleurs sauvages. Des canettes de bière et de RedBull vides sur l’emprise de la route. Marcher fait du bien, on y voit des choses autrement invisibles. Et cet étrange flash, vestige d’une pandémie ; cette idée qu’on allait s’améliorer et que le monde changerait. On vient d’apprendre, ou peut-être pas, que rien n’a changé. Y a toujours autant de gens qui traversent illégalement par le chemin Roxham. Ça allait moyen avant, ça va moyen après. Quoique, mis à part les victimes et le personnel touché par cette crise sanitaire, la majorité des gens que je connais chuchotent presque dans la honte avoir trouvé du bon à ces deux années « d’intermède ».

Au téléphone, toujours dans cette marche, on me dit que la location d’un appareil dont j’ai besoin pour une réno est rendue trois fois le prix de l’an dernier.

« Madame, l’inflation est à 8 %.

— Monsieur, le gaz a doublé.

— OK, mais la livraison va se faire sur 15 kilomètres ? Vous ne trouvez pas que vous exagérez ?

— Depuis la COVID-19, tout a monté, y a une pénurie de tout, c’est comme ça. »

Si plusieurs ont été torpillés, beaucoup en ont profité. Et continuent impunément.

Tout est tellement redevenu normal, j’ai pensé. Entre horreurs et beautés, la nature (la vraie) a repris ses droits sur le virus. Devant les roulottes et les installations du passage de Roxham, j’ai fait le souhait (comme on le fait aux étoiles filantes) de rêver plus juste, en sachant fort bien que c’était impossible.

Heureusement qu’on a les Perséides et la très grande urgence de savoir ce qu’il adviendra de Carey Price ou l’illusion utile et nécessaire d’une élection pour occuper les esprits libres et heureux.

Je retourne ramasser une autre batch de tomates, car en février, j’aurai besoin de me rappeler que l’été va recommencer un mandné !

Belle fin d’été à vous. Ajouter un peu de sirop d’érable dans la sauce tomate, ça change tout.

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