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Édition du 18 juin 2022,
section ARTS ET ÊTRE, écran 12
Il est 22 h tapantes quand les premières notes de Bateaux-mouches résonnent, vendredi soir, faisant vibrer le sol et les murs du MTelus. Eddy de Pretto est dans la place. La musique se tait et c’est a cappella, débarqué au beau milieu de la foule, qu’il entonne les paroles de la chanson tirée de son tout dernier album, le magnifique À tous les bâtards. La foule est en liesse.
Quel début de spectacle ! Et la suite n’a pas déçu. Acclamé par le public, de Pretto explique qu’il va donner un spectacle, un spectacle en douceur. On y croit presque (on est même enthousiaste à l’idée), puis les lumières s’allument et, sur la scène, ses musiciens envoient tout ce qu’ils ont. De nouveau, la salle tremble sous nos pieds. Ce ne sera pas a cappella. Ce ne sera pas en douceur – bien que des moments de profonde délicatesse nous attendent plus tard durant le concert. Aucune retenue pour cette prestation lumineuse que de Pretto confie avoir attendue pendant très longtemps.
Montréal est un lieu tout spécial pour l’auteur-compositeur-interprète français, qui n’y était pas revenu pour un spectacle depuis quatre ans. Il prend le temps de dire combien il est heureux d’être là.
Eddy de Pretto sait animer une foule. Il pourrait se contenter de chanter, et le public montréalais, déjà conquis, serait comblé. Mais il prend le temps nécessaire pour échanger avec son MTelus rempli à ras bord. Montréal aime Eddy de Pretto, et il le lui rend bien. C’est beau à voir.
Quand Créteil-Soleil débute, la basse vrombit et le chanteur fait ce qu’il fait de mieux. Sa voix est juste, son énergie est contagieuse, son interprétation éblouit. Il remet ça chaque fois ensuite.
Il faut dire que de Pretto est bien servi par son répertoire. Ses deux albums, Cure et À tous les bâtards, sont bien fournis en morceaux à la prose et aux rythmes fabuleux. Ajoutez-y une incontestable aptitude à donner une formidable performance. Résultat : une soirée mémorable, qui durera plus d’une heure et demie, mais qui passera tout de même trop vite.
Quartier des lunes, La Fronde, La fête de trop, Parfaitement, Random : on navigue entre les titres de 2018 (Cure) et de 2021 (À tous les bâtards). Il présente ensuite une chanson inédite, « une chanson triste », qui sortira bientôt.
La voix d’Eddy de Pretto est unique, forte. Il n’hésite donc pas à revenir à l’a cappella, pour que les sons de son micro à eux seuls enchantent l’auditoire.
L’effet est saisissant également lorsqu’il s’assoit pour des interprétations piano-voix, notamment sur les si jolies Rose Tati et Pause (un duo avec la Française Yseult, que l’on entend sur enregistrement).
Le roi des « bâtards »
« Ces deux albums m’ont sauvé la vie, vous m’avez sauvé la vie, vraiment. Parce que ô combien c’est dur d’assumer qui l’on est », confie-t-il, en milieu de spectacle, avant de continuer sur À quoi bon. Eddy de Pretto est le porte-parole de « tous les bâtards », de tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases et qui doivent se démener pour le droit d’être qui ils sont vraiment. Beaucoup peuvent se reconnaître d’une manière ou d’une autre dans l’expérience que décrit le rouquin dans ses chansons. Vendredi soir en a été la preuve. De l’autre côté de l’Atlantique, les mots du Français résonnent.
« Est-ce qu’il y a des bizarres ici à Montréal ? », demande de Pretto, avant la pièce Freaks, l’hymne à « tous les monstres », « les parias », « les seuls ».
Après le rappel, de nouveau installé tout près de la foule, il termine sur Kid, puis revient à Bateaux-mouches, cette fois accompagné de ses (très talentueux) musiciens. Il quitte la scène avec éclat. La boucle est magnifiquement bouclée.
On espère qu’il ne s’écoulera pas quatre autres années avant son retour. On a tous besoin de moments comme ceux que nous offre Eddy de Pretto.
Retrouvailles espérées pour certains, premier rendez-vous inespéré pour d’autres, la soirée de vendredi à la salle Wilfrid-Pelletier en compagnie de MC Solaar représentait dans tous les cas une occasion rare et chargée.
Il n’a fallu que quelques enjambées au pionnier du rap français, qui s’est fait dérouler un tapis rouge instrumental par un orchestre à cordes de Montréal, pour déclencher une ovation debout.
Complet et casquette, Claude M’Barali, de son vrai nom, est entré par la grande porte avec Qui sème le vent récolte le tempo, pièce-titre de son album inaugural, à la fois une claque et une leçon distribuée à la scène rap française au tournant des années 1990. De nombreux spectateurs sont restés en position verticale pour répondre au MC : « Qui sème le vent récolte le… ? » « Tempo ! »
« Au nom du père, du fils et de Claude, MC Solaar vous invite dans les rap partys. »
Le vétéran revenait offrir un « rap party » à Montréal après près d’un quart de siècle d’ermitage, de hiatus professionnels et de conflits contractuels – aujourd’hui résolus – avec la maison de disques Polydor. Les plus récents billets qu’il avait écoulés dans la métropole pour les Francos, au Métropolis plus précisément, étaient estampés du 22 juin 1998.
« La fin justifie les moyens », expliquera le MC né à Dakar sur ce titre tiré de Prose combat (1994), un deuxième album érudit truffé d’allitérations, de références jazz et savantes ainsi que d’allégories populaires.
Solaar y puisera aussi les désormais cultes Séquelles, Obsolète – tout le monde est debout –, La concubine de l’hémoglobine ou encore Nouveau Western. « Parfois la vie ressemble à une balle perdue / Dans le système moderne se noie l’individu / Pour rester lucide il s’abreuvait de Brandy / Désormais on brandit, télé, shit et baby », laissera tomber le poète-rappeur à deux kilomètres des festivités de la F1.
Le flow est intact : musical, précis, fluide, incarné.
Étonnamment, parmi le public : beaucoup de jeunes qui gigotaient sur les tables à langer du Québec quand le rappeur mettait au monde ses plus grands succès. Plusieurs chantent au côté de leurs aînés, sans doute impliqués dans la passation. C’est particulièrement notable quand résonnent les premières notes des tubes de Qui sème le vent… : Victime de la mode – le public ne se fait pas prier : « tel est son nom de code ! », – Armand est mort, Caroline… Et que dire de Bouge de là, qui reçoit une réaction particulièrement enfiévrée, et propulse des centaines d’iPhone en mode vidéo dans les airs.
Long voyage musical
Au gré des classiques, les sièges de la salle Wilfrid-Pelletier n’ont subi que très peu d’usure, vendredi soir. Les plus motivés s’agglutinaient même dans les allées, de part et d’autre de la scène.
« Montréal, est-ce que ça va ? » « Je suis super content d’être à Montréal » : peu loquace, dans une mise en scène sobre et chaleureuse, l’as de trèfle a choisi d’être d’abord généreux dans sa musique. Il aura offert près de deux heures de fête déclinées en plus de 20 chansons.
Avec dans sa besace ses trois premiers albums fraîchement réédités, le versificateur n’a pas voulu s’asseoir sur sa réputation et tabler sur la nostalgie. Il a plutôt choisi de revisiter son répertoire de concert avec la formation jazz New Big Band Project, dirigée par le compositeur Issam Krimi. De quoi mettre en relief les foisonnantes expérimentations musicales – fignolées avec le duo BoomBass/Zdar et le DJ Jimmy Jay – qui nourrissent les premiers albums de Solaar.
Jazz, funk, hip-hop old school, chanson française… Le MC, accompagné de ses 3 « C » – cuivres, cordes, (excellentes et énergiques) choristes –, lie les genres tantôt avec flegme, main dans la poche, tantôt avec fougue, main découpant le tempo. Il flotte sur scène, s’amuse avec sa trentaine de chanteurs et musiciens, dodeline gaiement.
Quand MC Solaar a souligné qu’« on s’approchait de la fin », la foule a hué spontanément. Des récriminations d’amour, certes. Il restait en fait six chansons, dont quatre offertes en rappel, parmi lesquelles la récente Sonotone (Géopoétique, 2017) et l’ultime Temps mort, extraite de Prose combat. « Pause, faut que je me repose, temps mort ! »
Après le concert de vendredi, ils seront légion à espérer que, cette fois, le repos du guerrier loin de Montréal ne dure pas un quart de siècle.
Voilà sans doute le plus important legs du programmateur Laurent Saulnier : la place qu’il a défendue pour le hip-hop, à une époque où le genre était encore largement déconsidéré. La soirée d’ouverture de l’édition de 2016, avec Alaclair Ensemble, Dead Obies, Loud Lary Ajust et Koriass, sur la place des Festivals, avait été qualifiée d’audacieuse, voire de téméraire, et demeurera pourtant parmi ses plus grands coups. Que Loud Lary Ajust procure son point final à cette 33e édition, la dernière du dernier des Mohicans après 23 ans de musique, n’est probablement pas innocent. Après avoir célébré le 10e anniversaire de son album culte Gullywood au Club Soda il y a deux semaines, le trio stationne sa Volvo bleue rue Jeanne-Mance.
— Dominic Tardif, La Presse
Ariane Roy, Thierry Larose et Lou-Adriane Cassidy
Vous l’aurez lu ici : ce spectacle à six mains et trois cœurs a le potentiel de devenir le genre d’évènement dont vous direz dans quelques années : moi, j’étais là ! Coiffé du titre Le roy, la rose et le lou[p], clin d’œil aux rencontres au sommet entre des artistes majeurs de leur époque qu’ont été J’ai vu le loup, le renard, le lion (1974) et Le vent, la mer, le roc (2003), la soirée réunit ce que la nouvelle chanson rock québécoise a de plus grisant. En avril dernier, au Club Soda, Thierry Larose a présenté une première montréalaise parfaitement extatique, devant une jeune foule de fervents disciples, qui entonnaient avec lui chacun des mots de son premier album, Cantalou. Ne reste qu’à voir qui, entre Thierry, Lou-Adriane et Ariane, est le Kevin Parent, le Éric Lapointe et le Daniel Boucher de leur trio. — Dominic Tardif, La Presse