Chronique

La vie (numérique) après la mort

Si vous ne croyez pas à la vie après la mort, l’internet va vous forcer à changer de point de vue. L’empreinte virtuelle que vous laissez sur le web continue d’exister bien longtemps après votre décès. Par défaut, votre identité numérique est éternelle.

Mais comme il est plutôt difficile de contrôler tout ça du paradis, il vaudrait mieux songer à votre succession numérique de votre vivant.

« On crée tellement de contenu. On laisse un spaghetti de gigabits à nos héritiers. Ensuite, les gens effacent des souvenirs qui étaient importants pour nous », a raconté Gary Denault, auteur et conférencier, lors d’un panel sur la mort numérique organisé à la Maison du développement durable, jeudi dernier.

Les consommateurs laissent plus de traces numériques qu’ils ne le croient : pages de médias sociaux, comptes de courriel, historiques de navigation, chansons, photos, alouette.

Or, chaque site applique ses propres règles en cas de décès, a constaté Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs, qui a publié un rapport de recherche sur la mort numérique.

Certains sites ignorent tout simplement la mort de leurs utilisateurs. D’autres se réservent le droit de supprimer un compte lorsqu’il reste inactif trop longtemps, par exemple après cinq ans chez Microsoft, un an chez Yahoo ou même six mois pour Twitter. Autant dire que votre compte risque de trépasser avant vous.

De plus en plus d’entreprises permettent aux utilisateurs de déterminer ce qu’il adviendra de leur compte après leur mort. À partir du « gestionnaire de compte inactif », Google permet notamment à ses utilisateurs de prendre certaines mesures après une inactivité de 3 à 18 mois. Il est possible de faire envoyer un courriel à une personne de confiance et même de lui faire transmettre toutes les données rattachées au compte.

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Mais le cadre juridique canadien est mal adapté aux enjeux soulevés par la mort numérique, estime Me Plourde.

Comme les lois sur la protection de la vie privée continuent de s’appliquer après la mort, les entreprises ne peuvent pas communiquer de renseignements personnels aux proches d’un défunt, sauf exception (par exemple, un liquidateur qui a besoin d’informations pour contester un testament).

Mais les proches ne pourront pas obtenir la clé du compte pour des motifs de compassion. Dans un cas de mort violente, impossible de lire les derniers commentaires du défunt pour tenter d’expliquer sa disparition.

Les précieux souvenirs seront aussi inaccessibles ; une grande perte pour les plus jeunes générations qui ne conservent plus leurs photos dans des albums… ou des casiers de diapositives. 

« Les lois sont peut-être trop restrictives pour nos vies où les souvenirs sont largement dématérialisés », avance Me Plourde.

Dans les lois canadiennes, rien ne permet non plus d’imposer ses dernières volontés virtuelles aux géants du web. Pourtant, d’autres pays comme la France et les États-Unis ont déjà modifié leurs lois pour encadrer la mort numérique.

« La solution française est grandement inspirante pour le Québec », estime Me Plourde. 

En 2016, l’Hexagone a accordé le droit aux individus d’émettre des directives contraignantes et de désigner une personne pour les mettre en œuvre après leur décès. De plus, les héritiers ont maintenant le droit de fermer les comptes d’un proche après son décès et même de recevoir les souvenirs de famille qu’il contient. Toutefois, ils ne peuvent obtenir l’accès aux courriels et à la messagerie d’un disparu, ce qui outrepasserait les frontières de la vie privée.

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Mais dans la vraie vie, les gens contournent souvent les lois et transmettent leur patrimoine numérique en laissant à leurs héritiers un trousseau de mots de passe.

Certaines entreprises se sont déjà lancés dans le domaine des préarrangements numériques… mais certaines sont déjà mortes ! De l’avis de notaires, il n’est pas nécessaire de payer pour cela.

Il suffit d’être à son affaire. Posez-vous la question : « Si je meurs demain matin, est-ce que ça peut nuire à mes associés, collègues, amis, famille ? », demande M. Denault.

Si vous voulez les aider, faites de l’ordre dans vos données numériques, comme vous le feriez dans vos classeurs. Séparez le personnel du professionnel. Identifiez les documents importants pour que vos héritiers puissent s’y retrouver. Parlez-en à vos proches, à votre notaire.

Transmettez vos mots de passe à une personne de confiance, avant ou après votre mort. Et assurez-vous que cet « exécuteur numérique » sera minimalement à l’aise avec la technologie. Donnez-lui des directives claires.

N’oubliez pas que le deuil se vit de plus en plus en ligne, rappelle Nadia Seraiocco, doctorante et chargée de cours en médias numériques.

Souvent, les internautes apprennent le décès d’une connaissance dans les médias sociaux. Ils publient des témoignages et des photos sur Facebook ou Instagram. La famille ira trouver du réconfort sur le site du disparu. Certaines familles reviendront commenter chaque année, à l’anniversaire du décès de leur proche, en créant un groupe « RIP » (repose en paix).

Et le défunt peut même leur répondre… virtuellement.

En effet, le site Eterni.me permet de créer un robot interactif qui devient votre avatar sur le web et qui discutera avec vos proches après votre mort ! Vous pourrez continuer à vivre à partir de l’empreinte que vous avez laissée en ligne.

La vie éternelle grâce au web !

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