Infirmières : les voyants rouges

Dans la nuit du 9 au 10 septembre, sept infirmières de l’hôpital de Valleyfield ont refusé de travailler parce que leur équipe était réduite de moitié alors que les urgences débordaient. Impossible, selon elles, d’offrir des soins adéquats dans ces conditions.

Le 13 septembre, l’hôpital de La Pocatière a suspendu ses interventions chirurgicales non urgentes pour pouvoir prêter du personnel à des cliniques de dépistage de la COVID-19.

Le 16, c’est l’hôpital de Gatineau qui a mis sur pause son service de soins intensifs en raison d’absences « inattendues » de son personnel infirmier.

Une semaine, trois interruptions de services. Et une interruption de service appréhendée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Les voyants rouges clignotent furieusement dans les hôpitaux du Québec. Le jour où la deuxième vague de la COVID-19 frappera véritablement la province, elle déferlera sur un réseau fragilisé par les pénuries de personnel.

Ces pénuries résultent de la combinaison de deux facteurs. Des années de dégradation des conditions de travail des infirmières qui fuient de plus en plus vers les cliniques et les agences privées où elles peuvent choisir leurs horaires de travail.

Et les contrecoups de la première vague de la pandémie, qui a mis K. -O. une partie du personnel soignant.

Des 77 000 infirmières que compte le Québec, 15 000 ont quitté le réseau public et à peine 59 % travaillent à temps complet.

Cet exode s’est aggravé au fil des ans. La raison principale pourrait être résumée en trois mots : temps supplémentaire obligatoire. Cette technique de gestion basée sur la coercition permet de boucher des trous tout en créant des horaires aléatoires et parfois inhumains.

Plus les infirmières quittent le réseau, plus celles qui restent écopent. Et plus leurs conditions de travail se détériorent, plus elles quittent le réseau. C’est le cercle vicieux.

La pandémie a exacerbé ce phénomène – d’autant plus qu’un décret ministériel adopté en mars a permis aux gestionnaires du réseau d’annuler congés et vacances. Résultat : départs à la retraite et arrêts de travail en série.

Selon Radio-Canada, 1700 infirmières ont quitté leur emploi entre mars et juillet. C’est 400 de plus que durant la même période en 2019.

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Mardi, le ministre Christian Dubé a reconnu que le manque de personnel constitue « l’enjeu le plus fragile » en cette période de reprise de l’épidémie. Il a raison. C’est vrai pour les hôpitaux comme pour les CHSLD, d’ailleurs. Maintenant, il faut agir.

À court terme, Québec doit travailler d’urgence sur une stratégie pour freiner la saignée. Des moyens existent.

On peut faire appel aux infirmières immigrantes qui n’ont pas encore reçu leur permis au Québec, par exemple. Elles se comptent par centaines.

On peut aussi réaménager certaines fonctions aujourd’hui confiées aux infirmières. Les tests de dépistage pourraient être réalisés par d’autres professionnels comme des technologues de laboratoire. Le cas échéant, des centaines d’infirmières pourraient revenir vers le réseau de soins (ce sera également le cas le jour où l’on passera aux tests salivaires, d’ailleurs).

On pourrait aussi décharger les infirmières des tâches reliées au traçage à du travail de bureau.

Québec pourrait également lancer un appel aux infirmières désabusées du public avec des promesses d’horaires raisonnables et de compensations pour les quarts de travail difficiles.

Quant aux solutions à long terme, elles passent par les négociations qui se poursuivent depuis le printemps avec les syndicats du secteur de la santé. La question des horaires de travail est cruciale. Si on veut inciter les nouvelles recrues à rester dans les hôpitaux et les CHSLD, il faut les convaincre que leur travail est compatible avec leur vie familiale !

Mais surtout, que leur travail et leurs compétences ont une valeur et qu’elles ne sont pas de simples soldats dépêchés sur tous les fronts sans tenir compte de leur expérience et de leurs contraintes.

Bref, qu’elles seront traitées avec tout le respect qu’elles méritent. Incitatifs pécuniaires à l’appui.

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