Vague de reconnaissance

C’était quelque part au printemps 2020. Le Québec découvrait ce nouveau mot, « confinement ». Et le feu covidien était pris dans les CHSLD. Le Dr Joseph Dahine voulait que les anges gardiens œuvrant en CHSLD sachent à quel point leurs efforts étaient appréciés.

Joseph Dahine était lui-même au front, à sa façon : il est médecin intensiviste à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval.

Il s’est dit : ici, ça brasse, aux soins intensifs… Mais c’est pire dans les CHSLD. Le premier ministre François Legault portait alors lui-même l’appel à contribuer pour envoyer des bras dans les CHSLD.

En avril 2020, le DDahine a lancé une campagne de financement par l’entremise de la Fondation de la Cité-de-la-Santé. Son espoir un peu naïf était d’amasser suffisamment de sous pour faire des chèques aux travailleurs…

La campagne a permis d’amasser 8000 $.

Un bon montant, mais pas de quoi faire beaucoup de chèques.

À la Fondation, on lui a demandé s’il voulait que ces 8000 $ soient consacrés à envoyer des repas aux gens des cinq CHSLD publics de Laval. C’était alors un don en vogue, dans le public. Le DDahine trouvait que des cuisses de poulet, c’est bien, mais qu’il faudrait quelque chose de plus…

Il cherche ses mots, au bout du fil.

« Quelque chose de plus durable », finit-il par me dire.

Il a eu un flash : un médaillon, qui serait remis à tous les employés des CHSLD de Laval, pour souligner leurs efforts en ce printemps cauchemardesque de 2020…

Il échangeait des idées avec Christine Girard, de la Fondation de la Cité-de-la-Santé. Combien de travailleurs y a-t-il, au front, dans tous ces CHSLD, au fait ? Ils ont fait le décompte : 1600.

Ouch. Avec 8000 $, faire fabriquer 1600 médaillons, ils risquaient d’être en papier mâché. Pas très « durable »…

Christine Girard a alors promis au DDahine de convaincre la Fondation d’ajouter une somme aux dons reçus du public, après l’appel de l’intensiviste. Mme Girard a tenu parole : la Fondation a ajouté 10 000 $ à la cagnotte.

À 18 000 $, là, on pouvait espérer un souvenir durable.

Je lui demande pourquoi il s’est tant démené pour trouver une façon de souligner le travail des préposées aux bénéficiaires, infirmières, infirmières auxiliaires et autres employés délestés dans les CHSLD…

« J’ai cette idée qu’il faut valoriser les gens, dans le système de santé. C’est une longue réflexion que je vais te résumer comme suit : on donne plus facilement des claques sur la gueule que des tapes dans le dos… »

— Le Dr Joseph Dahine, médecin intensiviste à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval

Le médecin est convaincu que si on valorise les gens, c’est tout aussi sinon plus important que des primes en argent pour les motiver. Vous aurez beau verser tous les bonis du monde, si le personnel se sent largué, méprisé ou négligé, il va quitter le bateau. Il en était convaincu hors pandémie. Il l’est encore plus depuis la pandémie.

Parallèlement, une fois le financement sécurisé, on a trouvé un artisan pour fabriquer le médaillon, à coût raisonnable : Desmarais Concept, de Saint-Eustache, qui crée des œuvres emblématiques. Joseph Dahine avait lui-même de la broue dans le toupet comme soignant à la Cité-de-la-Santé, mais il était content : le projet « reconnaissance » prenait véritablement forme.

« Dans le système, me dit-il, les relations humaines, c’est vu comme superflu, du vent, des licornes. Je pense que c’est d’une très haute importance. On est plus excités dans le réseau par la dernière étude portant sur la plus récente technologie. L’humain, c’est pas vu comme de la “vraie” science, la “vraie” science, ce sont les médicaments, les machines, les protocoles. Mais il ne faut pas négliger les relations humaines. Il faut valoriser les personnes. C’est contagieux, les relations humaines… »

***

J’ai vu le médaillon. Il est magnifique.

L’avers de la pièce montre deux mains se touchant, dont une main… bleue. La couleur des gants de protection des soignants. Une image plus que symbolique : combien de malades ont tenu la main gantée d’un soignant, dans les derniers kilomètres de leur vie ? Plein.

L’envers de la pièce porte ces mots : « En reconnaissance de vos efforts contre la COVID-19 dans les CHSLD de Laval, 2020-2021 ».

Depuis quelque temps, ces médaillons sont remis aux 1600 soignants des CHSLD de Laval qui étaient au front lors des premiers mois de la pandémie.

L’hécatombe dans les CHSLD québécois fait l’objet de plusieurs enquêtes, ces jours-ci. On verra alors ce qui a flanché, comment, quand et pourquoi.

Mais dans cette débâcle systémique, il faut le dire, il faut le rappeler : le dévouement des soignants a été magnifique.

***

J’ai découvert l’intensiviste Dahine sur Twitter. Il n’y a pas que de la laideur, sur Twitter. C’est ainsi que j’ai eu vent de l’histoire des médaillons.

Joseph Dahine publie par ailleurs régulièrement des photos de ses camarades soignants de la Cité-de-la-Santé, sous le mot-clic #VaguedeReconnaissance. Il leur donne une voix, vante leur dévouement.

Jocelyn, préposé aux bénéficiaires : « Vaincre grâce à l’amour des équipes. »

Kevin, infirmier : « Je suis content d’avoir pu être utile durant une pandémie mondiale où régnait un sentiment d’impuissance. Nous avons eu un rôle privilégié. »

Line, préposée aux bénéficiaires : « J’ai eu à accompagner et consoler des gens en crise et en pleurs. Voir cette humanité et cette vulnérabilité d’aussi près, ça a donné beaucoup de sens à mon travail. »

Au bout du fil, Joseph Dahine me dit combien il trouve enrichissant de donner la parole à ses camarades de travail. « C’est ma vague de reconnaissance à moi. »

***

La main gantée de bleu sur le médaillon dont rêvait Joseph Dahine, c’est celle d’Hélène Ménard. Et l’autre main, c’est celle de son grand-père, Maurice Brunet.

Quand Joseph Dahine cherchait quelle image frapper sur le médaillon, Hélène lui a montré la photo de sa main gantée, prise le 3 octobre 2020, avant la mort de son grand-père.

« Je suis infirmière-cadre au CISSS Laval, me dit Mme Ménard. Le 1er avril 2020, j’ai levé la main pour être envoyée en CHSLD. Le 2 avril, j’étais au CHSLD Fernand-Larocque… »

Elle a passé plusieurs mois sur le terrain, loin des bureaux.

Et en octobre, son grand-père, Maurice Brunet, a contracté le virus, au CHSLD Idola-Saint-Jean, toujours à Laval. Travaillant déjà en zone rouge, Mme Ménard est allée accompagner son grand-père – également son parrain – en zone rouge, à « Idola ».

« Il a toujours été là pour moi, j’étais là pour lui, à la fin. C’était quelqu’un de spécial. Ce fut un moment privilégié d’être là jusqu’à la fin. Ça a beaucoup réconforté ma famille, que je sois là. »

« J’ai pris cette photo de nos mains pour moi, pour les membres de ma famille qui n’avaient pas pu venir à son chevet… »

— Helène Ménard, infirmière-cadre au CISSS de Laval

C’est l’illustratrice Camille Lavoie qui a fait le dessin qui figure sur le médaillon, à partir de la photo de Mme Ménard.

Cette image de deux mains entrelacées, me dit Hélène Ménard, symbolise le côté lumineux de la pandémie, ce que sa laideur n’a pas pu étouffer : l’humanité, la bienveillance, l’empathie.

« C’est une image qui touche le cœur des soignants. »

Une image qui accompagnera durablement 1600 anges gardiens de Laval.

Ai-je dit 1600 ?

C’est inexact : le CISSS Laval a tellement aimé l’initiative du DDahine, me dit-on, que d’autres médaillons seront fabriqués et prochainement remis à d’autres anges gardiens qui ont été – et qui sont encore – au front.

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