Notre choix

Thriller existentiel

Le cœur à retardement
Andrew Kaufman
Alto
200 pages
En librairie le 27 octobre
* * * *

Le cœur a ses raisons que la raison ne reconnaît pas toujours. Pas facilement, du moins, suggère le romancier ontarien Andrew Kaufman (Tous mes amis sont des superhéros) dans Le cœur à retardement, fable romantique imaginative et sensible qui a des airs de conte fantastique et de thriller existentiel.

Son roman débute sur une question – à quoi sert le cœur humain ? – qui, pour Charlie Waterfield, prend l’allure d’une énigme vitale. Divorcé depuis deux ans, plus ou moins engagé dans une relation avec une nouvelle femme, il digère mal l’échec de son mariage et nourrit sans trop s’en rendre compte l’espoir de renouer avec son ancienne épouse.

Un soir, en partageant un taxi Uber, il rencontre un étrange personnage qui lui soumet la fameuse question et lui parle d’une ville imaginaire, mais pourtant réelle, appelée Metaphoria. Puis, dans un « pouf ! » de fumée violette, voilà que Charlie s’y trouve projeté. Débarrassé de son propre cœur, qui a été remplacé par une bombe, il n’a que 24 heures pour retrouver celui d’un personnage appelé « Vieille Branche » et comprendre ce qui le traverse, lui.

Sinon, « boum ! », il explosera.

Metaphoria est la ville des éclopés de l’amour. Le lieu où marinent ceux qui nourrissent des espoirs irréalistes ou n’arrivent simplement pas à lire en eux-mêmes. Tous se posent la seule question qui compte : à quoi sert le cœur humain ? Trouver la réponse – mais y en a-t-il une seule ? – est l’unique manière de retourner à leur vraie vie, dans le vrai monde, avec une meilleure connaissance de ce que l’amour a d’insondable.

En mêlant les codes du thriller et du conte, Andrew Kaufman trouve une manière originale et divertissante de parler de l’amour qui dure ou pas, du couple et des relations humaines en général. Son propos est existentiel, mais sa manière est vive, teintée d’une lueur comique qui désamorce ce que le récit pourrait avoir de désespérant.

En faisant un pied de nez au réalisme, le romancier déploie une magie qui se décline en images fortes et en scènes d’une éloquente inventivité. Dire qu’il s’agit d’un roman romantique ne serait pas exagéré. Il l’est en effet d’une manière presque neuve – terre à terre, oserait-on dire –, à mille lieues des clichés. Ce qui est certain, et qui contribue à sa force, c’est qu’il est dénué d’un poison qu’on croise trop souvent en littérature : le cynisme.

D’autres mondes – 15 autrices – 15 nouvelles d’horreur

Faire peur (pour vrai)

D’autres mondes
Collectif d’autrices
Québec Amérique (La Shop)
320 pages
*** 1/2

D’autres mondes est un recueil de nouvelles, deuxième d’une série lancée par Stéphane Dompierre chez Québec Amériques, qui fait mouche.

Quinze autrices ont accepté de plonger dans le bain sanguinolent et terrifiant de l’horreur, et proposent chacune une nouvelle de genre qui donne vraiment la chair de poule.

Si l’exercice du recueil de nouvelles à plusieurs mains peut s’avérer parfois moins convaincant, on est ici face à une réussite en la matière, alors que la très grande majorité des nouvelles offertes sont tout aussi réussies les unes que les autres, un succès d’autant plus remarquable que l’horreur est un genre nouveau pour plusieurs des écrivaines rassemblées dans ce livre.

Certaines nous plongent dans une atmosphère étouffante et de paranoïa, dystopies sombres où les gens ont tous le même visage (Portrait-robot, Kiev Renaud), où les enfants sont laissés à eux-mêmes alors que sévit une épidémie de suicides de parents dans un monde sans foi ni loi (Après eux, Élise Turcotte) ou la glaçante Post-Po, par Karoline Georges, où les humains enfilent des « hypercorps » numériques, deuxièmes peaux qui altèrent la réalité, et dont les cellules synthétiques viennent à prendre le contrôle de l’esprit.

D’autres nous entraînent dans des mondes pas si loin du nôtre, où la poursuite de la jeunesse éternelle prend des airs inquiétants dans les sous-sols cachés d’un édifice de Manhattan (Le stage, Jeanne Dompierre) ou dans une société québécoise qui a décidé de faire la chasse aux obèses jusqu’à inventer un « abattoir », tout ça sous le couvert du bien commun (Le gros bon sens, Chloé Savoie-Bernard). On y croise aussi des psychopathes « ordinaires » à qui la mort va si bien (Betty envahie par le froid, Rosalie Roy-Boucher, ou encore l’inquiétant Les vacances, Lily Pinsonneault), ou une mère prête à tout pour empêcher son enfant d’en devenir un (RPPPP, Marianne Dansereau). Concluant le recueil, cerise sur le gâteau – ou plutôt, sur l’horreur – la nouvelle Joyeux anniversaire d’Andrée A. Michaud offre une vision de l’enfer peuplée de clowns au rire maniaque, et dont les images terrifiantes, de l’autre côté du miroir, nous ont hantée plusieurs heures après la lecture.

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

La république du bonheur

Tout est dans le titre

La république du bonheur
Ito Ogawa
Éditions Philippe Picquier
282 pages
* * *1/2

Marre des turbulences de 2020 ? La république du bonheur vous tend les bras.

On navigue langoureusement sur le petit fleuve tranquille de la vie d’Hatoko, une écrivaine publique japonaise déjà mise en scène dans La papeterie Tsubaki – la lecture de ce dernier, bien que complémentaire, n’est pas requise pour comprendre cette suite. Mariée à Mitsurô, qui a tragiquement perdu sa première femme, elle élève avec amour sa belle-fille, lui renvoyant des signaux sur sa propre éducation. Et même si son métier de rédactrice la place en pivot dans la vie de ses clients, entre séparations, réconciliations et deuils, rien ne semble écorner ce quotidien serein. Un véritable jardin zen littéraire, illustré de belles calligraphies, même s’il paraîtra peut-être un peu déroutant pour les lecteurs peu familiers avec la culture nippone.

— Sylvain Sarrazin, La Presse

Vladivostok Circus

Roman furtif

Vladivostok Circus
Elisa Shua Dusapin
Zoé
173 pages
***

À Vladivostok, dans un chapiteau déserté lors de la saison morte, trois acrobates s’entraînent en vue d’un concours de cirque qui aura lieu dans quelques semaines à Oulan-Oude, en Sibérie, à plus de 3000 km de là.

Les trois spécialistes de la barre russe – les porteurs Anton et Nino, la voltigeuse Anna – ont comme seul accompagnateur leur metteur et scène et technicien Léon. Débarque Nathalie, engagée pour créer leurs costumes, et c’est à travers son regard qu’on observe le quatuor, que les secrets et histoires de chacun sont en partie dévoilés, que leur travail et leur technique sont décortiqués.

On aime la manière dont Elisa Shua Dusapin (Hiver à Sokcho, Les Billes du Pachinko) parle des corps et du mouvement, mais aussi de tissu et d’objets : avec précision et de manière succincte, pourtant on voit et on sent tout. Les liens entre chacun, la confiance (ou pas), l’inquiétude, la tension sont aussi décrits par petites touches, et se tissent davantage dans le non-dit, les gestes et les regards que dans la parole. Il y a quelque chose de profondément… russe justement, et dépaysant, dans ce livre lancinant, étrange huis clos qui gardera ses zones d’ombre jusqu’à la fin.

Reste de cette incursion fascinante dans le monde du cirque une impression furtive, pas désagréable, au contraire, brillante, mais qui s’éteint dès que le livre est refermé.

— Josée Lapointe, La Presse

2030

Molle anticipation

2030
Philippe Djian
Flammarion
210 pages
**1/2

Imaginez notre monde, mais en vaguement pire. Ça se passe dans une dizaine d’années (d’où le titre). Le climat est encore plus chaud. Il pleut davantage. Et la bataille pour l’environnement est à son paroxysme, sous l’impulsion d’une jeune Suédoise qu’on ne nomme pas, mais dont on sait qu’elle avait auparavant des nattes.

Dans ce monde ultra-polarisé, Greg tombe amoureux de Vera. Ça tombe mal. Elle publie des livres militants écologistes. Il est scientifique, travaille dans une entreprise de pesticides pas tout à fait « cachère », dont son beau-frère est le propriétaire. Bref, rien ne les rapproche, si ce n’est Lucie, la nièce de Greg, une jeune militante écolo. Mais un évènement va transformer Greg, un homme à la psychologie fragile…

Philippe Djian est de retour avec ce court roman de « légère anticipation », qui aborde les thèmes chers à notre époque. Parce qu’il s’inscrit dans l’air du temps, 2030 résonne dans nos esprits inquiets. Djian campe son histoire avec un certain savoir-faire. Mais sans grande conviction. Malgré la toile de fond politique et futuriste, 2030 se déploie mollement et ne va pas tellement plus loin que son histoire d’amour, peu exaltante de surcroît. Djian serait-il fatigué ? On lui doit peut-être 37°2 le matin, mais le réchauffement climatique ne lui sourit pas.

— Jean-Christophe Laurence, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.