La Presse en Irak

« Nous avons plus à offrir que la guerre et le terrorisme »

La visite historique du pape François s’est conclue dimanche au plus près des chrétiens d’Irak. Compte rendu de notre collaboratrice spéciale sur place.

Erbil — Des milliers de personnes ont assisté à la messe donnée par le pape François dimanche à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, sans incident côté sécurité. Le souverain pontife, très attendu par les chrétiens de la région, a été accueilli avec frénésie par les fidèles pour le dernier rassemblement de sa visite.

Déjà tôt dans l’après-midi, des centaines de personnes se massaient dans les gradins et sur la pelouse du centre du stade Franso Hariri, alors que le pape visitait les villes de Mossoul et de Qaraqosh, dans l’ouest du pays. Entre la musique et les prières, les spectateurs brandissaient drapeaux et banderoles en accueillant les nouveaux venus avec des slogans et des chants.

« Cela fait du bien de finalement voir le pape se rendre dans ma ville natale », a estimé Marianna Askar, née dans le quartier chrétien d’Ankawa, à Erbil.

« Je n’aurais jamais imaginé voir le pape, c’est extraordinaire. »

— Marianna Askar, née dans le quartier chrétien d’Ankawa, à Erbil

La femme de 26 ans était assise sur une chaise recouverte d’un drap blanc, à un mètre de celles de ses amis, au centre du terrain qui accueille normalement des joueurs de soccer. Elle espère que la visite du souverain pontife changera la perception du monde sur l’Irak. « Il faut que les gens connaissent notre héritage, notre culture et notre peuple. Nous avons plus à offrir que la guerre et le terrorisme », a-t-elle lancé.

Le pape a fait son entrée vers 16 h (heure locale), dans sa papemobile sans protection. Il a fait un tour de piste sous les applaudissements et les cris enthousiastes de la foule. Sur le terrain, au centre, des fidèles couraient sur la pelouse pour suivre la voiturette, avec le cellulaire haut dans la main pour filmer ce moment historique.

Plus gros rassemblement

« Je suis heureuse et fière de cette visite », a dit Ban Amanuel Khamoo, de la ville de Zakho, près de la frontière turque. L’enseignante de 36 ans, debout avec un groupe de personnes toutes vêtues du même chandail blanc avec le logo de leur communauté chrétienne, a fait trois heures de route dans un autobus nolisé.

Elle a fui Bagdad avec sa famille. Il y a une quinzaine d’années, une voiture a explosé devant une église alors que son oncle se trouvait à l’intérieur. Il est mort. « J’espère que tout le monde, musulmans comme chrétiens, puisse vivre en paix. Nous avons besoin de cela », espère-t-elle.

La messe a débuté dans le silence profond de la foule. Le pape, vêtu d’une chape violette avec une calotte blanche sur la tête, était parfois assis, parfois debout sur une estrade, avec une immense croix à l’arrière.

Devant lui, les spectateurs étaient assis sur des chaises sur la pelouse et en demi-cercle dans les gradins, alors que des dignitaires étaient installés dans des loges en hauteur.

« Je peux voir et toucher du doigt le fait que l’Église en Irak est vivante. »

— Le pape François

Plus gros rassemblement de la visite du pape en Irak, les spectateurs étaient parfois collés les uns sur les autres et certains ne portaient pas de masque.

« Nous ne savons pas combien de temps durera la pandémie. Il a le temps de venir maintenant et il l’a fait », a minimisé Marianna Askar, masque sous le menton.

Il y avait néanmoins des sièges vides dans les gradins. Les autorités n’ont pas autorisé que le stade soit au maximum de sa capacité, comme le pays expérimente une hausse marquée de cas de COVID-19.

Freiner l’exode des chrétiens

Pour entrer dans le stade, les fidèles devaient présenter une accréditation plastifiée à une des deux entrées, équipée de détecteurs de métal. Des policiers et des militaires kurdes étaient également postés dans les rues autour du stade. À l’intérieur, près de 200 bénévoles de l’Église chaldéenne, vêtus de chandails noirs, veillaient à bien diriger sur le site les délégations d’églises et d’organisations caritatives.

« Cela fait quatre semaines que nous préparons cette messe », a raconté Dilan Adamat, qui a participé à l’organisation. « Nous avons préparé le stade, tout installé, et depuis ce matin, nous avons emmené les gens en bus pour que tout soit prêt ».

Né à Erbil, il est parti pour la France quand il avait 1 an avec sa famille au début des années 1990 à cause des conflits dans la région. Il a décidé de revenir dans sa ville natale il y a deux ans. Cette décision détonne, alors que les chrétiens ont plutôt tendance à quitter le pays.

« Je me dis que si des gens comme nous ne reviennent pas au pays pour participer à sa reconstruction, c’est un peu comme si on abandonnait notre propre pays. »

— Dilan Adamat

Le nombre de chrétiens est passé de 6 % à 1 % de la population en 20 ans. Ano Jawhar Abdulmaseeh Abdoka, élu chrétien au Parlement du Kurdistan, n’est pas décontenancé par cette réalité.

« Nous allons renforcer notre présence », a-t-il dit en entrevue avec La Presse. « Nous sommes des milliers à nous rassembler et prier pour la paix et la coexistence. »

Amelia, une adolescente d’Erbil accompagnée de jeunes de son âge et tous vêtus du même chandail noir, a aussi espoir.

« Je pense que le futur des chrétiens est fort, nous avons la foi. »

— Amelia, adolescente d’Erbil

Le pape a fait écho à cette réalité. « Durant ces jours passés au milieu de vous, j’ai entendu des voix de douleur et d’angoisse, mais j’ai aussi entendu des voix d’espérance et de consolation », a-t-il déclaré à la fin de la messe. Un des objectifs de sa présence en Irak est de freiner cette hémorragie.

Comme il quittait l’estrade, plusieurs personnes dans les gradins ont allumé la lumière de leur téléphone cellulaire dans le soleil couchant. Les spectateurs ont ensuite lentement quitté le stade tout en chantant, dansant et jouant du tambour.

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