Chronique

Femmes et Fortune à Montréal

Elles dirigent des entreprises qui valent des milliards et, depuis 21 ans, le magazine américain Fortune publie une liste de ces femmes les plus influentes du secteur des affaires aux États-Unis ainsi que dans le monde entier. Et il organise des événements pour discuter de ce palmarès, avec celles qui en font partie.

Cette année, pour la première fois, une de ces rencontres a lieu au Canada, à Montréal. C’est au Ritz jusqu’à cet après-midi. 

La fameuse liste publiée par Fortune regroupe des gens comme Oprah Winfrey et Sheryl Sandberg, de Facebook, qui n’étaient pas là hier pour les discussions. Mais elle compte des dizaines de grandes dirigeantes d’entreprises moins connues du grand public. Des femmes comme Marillyn Hewson, chef de la direction de Lockheed Martin, un grand fournisseur de l’armée américaine, qui était sur place et qui est la nouvelle numéro un du palmarès de cette année. L’entreprise qu’elle pilote, précisons-le, vaut 100 milliards en capitalisation boursière. Helena Foulkes y était aussi, numéro 46, chef de la direction de la Compagnie de la Baie d’Hudson, évaluée en Bourse à près de 1,5 milliard…

Même le premier ministre Justin Trudeau a pris le temps et la peine de venir leur parler et de répondre à leurs questions, tout comme quelques-unes de ses ministres – Maryam Monsef, de la Condition féminine, Mary Ng, qui veille sur le ministère de la Petite Entreprise et de la Promotion des exportations, Mélanie Joly et Chrystia Freeland, qui devrait être présente aujourd’hui. Durant le repas en fin de soirée, hier, la musicienne québécoise Charlotte Cardin a donné un petit concert privé et la mairesse Valérie Plante a livré un discours dynamique sur la nécessité d’augmenter le nombre de femmes partout dans les instances décisionnelles. C’était, a-t-elle rappelé, le premier anniversaire de son élection à la tête de la plus grande ville du Québec.

Tout ça pour environ 200 personnes, en majorité des Canadiennes, mais avec une bonne délégation d’Américaines, toutes sur place, avec leur expérience, leurs témoignages – et leurs sacs Birkin, Saint Laurent, Chanel ! –, pour parler affaires, techno, politique, pouvoir et, beaucoup, de l’importance de la présence des femmes au sein des entreprises.

Parce que, on l’a répété, comme l’ont démontré on ne sait plus combien d’études, c’est synonyme de profits, de rentabilité, de succès. La logique étant bien simple : la diversité de personnes amène la diversité d’idées, de solutions.

Au début des discussions, Pattie Sellers, directrice des sommets de Fortune, a expliqué que lorsque ces événements ont commencé, il y a plus d’une décennie, on y parlait peu de sujets touchant la condition féminine, l’idée étant plutôt de se concentrer sur le rôle joué par ces femmes au cœur de leurs entreprises.

Mais les temps ont changé. Et cette année, on a invité des femmes comme Kathleen Taylor, par exemple, présidente du conseil de la Banque Royale, à venir parler de ce qui bloque l’avancement des femmes au sein des entreprises. Le #metoo ne serait-il pas en train de nuire aux femmes, en empêchant le mentorat des femmes par des hommes ?, a-t-on évoqué pendant la discussion. « Mais voyons donc ! », a rétorqué vivement la grande banquière. « Et si c’est effectivement le cas, qu’on en discute ! »

Un sujet est revenu plusieurs fois à l’avant-plan : la nécessité de fixer des objectifs pour faire progresser les femmes à la tête des entreprises, faute de quoi le progrès est trop lent. 

« Je n’aurais pas dit ça il y a 10 ans, mais il faut en parler », a expliqué Patti Shugart, première directrice générale et chef, grande entreprise et crédits mondiaux, chez RBC Capital Markets.

« Ce qui ne se mesure pas, on ne le fait pas », a ajouté la ministre Monsef. 

Mme Hewson, de Lockheed Martin, a même enjoint les médias à embarquer dans l’effort collectif en présentant des images de femmes leaders qui donnent envie aux jeunes filles de les émuler. Elle-même a commencé comme ingénieure industrielle, a-t-elle raconté, et rares étaient les modèles de succès et d’audace pour ces professions dans la culture populaire.

Caroline Codsi, présidente de La gouvernance au féminin, un groupe canadien voué à l’avancement des femmes au sein des hautes directions d’entreprise, a quant à elle carrément apporté une lettre pour le premier ministre Trudeau, qu’elle est allée lui porter pendant le repas.

Elle lui a rappelé que, selon les derniers calculs des autorités financières canadiennes, quelque 218 entreprises ne comptent aucune femme au sein de leur conseil d’administration. Selon Mme Codsi, il serait peut-être temps de leur envoyer un message ? Le document est tout écrit. La liste des entreprises a été montée. Ne reste qu’à signer et à poster. « Et il a dit oui », m’a-t-elle rapporté à la fin de la soirée.

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