Chronique 

Construire pour reconstruire

« On sait qu’il va y avoir une reprise… Oui, on a besoin de projets. Mais on sait qu’on va en avoir. »

L’homme d’affaires à qui je parle est optimiste. 

Il ne doute pas que le Québec va repartir.

Il ne doute pas qu’on va tirer les bonnes leçons de la crise. 

Il ne doute pas qu’on va avoir de nouvelles capacités, après ce cauchemar, parce que le Grand Confinement nous aura forcés à nous remettre en question et à apprendre plus sur nous-mêmes et sur notre capacité d’adaptation.

« “Faut pas gaspiller la crise” est le mot d’ordre », dit-il. Et il y croit.

Et la reconstruction, une fois que le pire de la pandémie sera traversé, passera par la construction. 

L’homme d’affaires à qui je parle s’appelle Pierre Pomerleau. Il dirige le géant de la construction homonyme fondé par son père en 1964. Et il est prêt à activer tous les chantiers qu’il faut pour faire travailler les Québécois, ses équipes, ses sous-traitants et tous ceux, des designers aux fabricants de douches ou de poignées de porte, qui sont liés de près ou de loin au bâtiment.

Ce secteur constitue à lui seul 15 % du PIB du Québec. 

Quand la construction va, tout va. Ou quelque chose comme ça.

Préparez-vous à voir des grues.

Ce qui est clair, c’est que ça va bouger du côté des investissements publics, explique le chef de la direction de Pomerleau, dont les activités dépassent largement les frontières de la province.

Il s’attend en effet à voir des échéanciers devancés. Des écoles, des centres pour aînés, des ports… « C’est une superbe façon de relancer l’économie », dit-il. Et il sait l’écoute du gouvernement actuel. « On sent énormément de volonté. » 

Pour avoir une idée de ce qui s’en vient, il faut aller voir le Plan québécois des infrastructures. Le but était de construire pour 130 milliards sur 10 ans. Ça va peut-être aller plus vite que prévu.

Du côté des chantiers privés, c’est plus dur à prédire. Est-ce que les gens voudront encore s’empiler dans des gratte-ciel résidentiels, ou, au contraire, vendront-ils tous leurs maisons pour simplifier leur vie et faire ainsi exploser le secteur du locatif ? Est-ce que les tours de bureaux seront les mêmes, maintenant que l’on connaît les joies et les difficultés du télétravail ? Et les effets des virus en milieux tricotés serré ? Est-ce que l’essor de la vente en ligne va précipiter la transformation radicale de l’univers de la vente au détail  ? « Le nouveau normal sera comment ? Difficile à dire », répond le constructeur. Mais chose certaine, dit-il aussi, « tous les marchés vont être affectés », et « je ne doute pas qu’on va rebondir ».

Parce que la crise ne laissera rien intact. Nos façons de travailler, de manger, de faire nos courses, de veiller sur les autres, que ce soient nos aînés ou nos enfants, de sortir, d’être à l’intérieur, d’être ensemble ou pas.

Or, le secteur de la construction se nourrit du changement, de la nécessité de réaménager nos activités, nos réalités, nos vies.

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Quelles leçons tire-t-il de la crise ?

D’abord, il dit son admiration pour la capacité d’adaptation rapide et efficace aux nouvelles normes du quotidien montrée partout. Il cite la société Shan, qui du jour au lendemain est passée de la fabrication de maillots de bain de luxe à la fabrication de masques et de vêtements hospitaliers. Mais les exemples sont innombrables.

Autre grand constat : cette crise a révélé la définition réelle de l’ADN des entreprises, notamment en ce qui touche la façon dont elles traitent leurs employés. Soudainement, on n’était plus dans les slogans, les beaux mots sur les brochures et les pages web des services de ressources humaines pour dire combien les employés et leur bonheur sont importants au sein des équipes de telle ou telle société. « On était dans l’action. Pas juste les mots… La façon dont on a traité les gens de son entreprise ? Ça va rester longtemps. Autant le positif que le négatif. » Les mises à pied, l’aide d’urgence…

Pour la fidélisation de la main-d’œuvre, c’est crucial. Au retour de la pandémie, on ne sera certainement pas dans le marché de plein emploi et donc de pénurie qui prévalait au début de 2020, mais il faudra avoir des équipes prêtes à embarquer rapidement. 

Autre grande constatation : « la mort du silo ». La crise a obligé les équipes à accélérer un processus qui traînait de la patte et est maintenant incontournable : la transformation des façons de faire pour que toutes les expertises des grands projets soient à la table en même temps, à toutes les étapes, de la conception à la mise en œuvre. « La collaboration est l’ami de la performance », dit-il. La crise a montré que ça marche. Que ce n’est pas mettre les gens en concurrence qui permet d’aller chercher la productivité et l’excellence. Avec la crise, tout le monde coincé à la maison, « on n’a jamais autant communiqué », explique le constructeur. Ni autant travaillé ensemble. Et la technologie qui permet à tous de collaborer à distance a montré son efficacité. 

« Il y avait beaucoup de résistance au changement », dit l’homme d’affaires.

Mais le virus a fait fondre l’inertie.

Et il a permis aussi, autre constatation, aux constructeurs et aux politiques de passer à une autre ère de discussion.

Avec tous les scandales du passé, ce n’était plus facile de se parler.

Actuellement, le secteur se sent écouté. 

Et autant du côté des décideurs que des exécutants, tout le monde a le sentiment que les enjeux sont immenses, que les responsabilités sont immenses, et que « manquer son coup » n’est juste pas une option.

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