Les barbares numériques – Résister à l’invasion des GAFAM

Résister aux barbares numériques

Les grands seigneurs du web règnent sans partage sur un empire numérique qui ne connaît pas de frontières. Fausses nouvelles, polarisation des débats, contrôle des données personnelles, évasion fiscale… Voilà ce qui fait dire à Alain Saulnier que ces barbares du XXIe siècle menacent notre démocratie, mais aussi notre langue et notre culture francophone.

« L’Histoire du monde occidental retiendra qu’il s’agit de la plus importante conquête du XXIsiècle. De quoi s’agit-il ? De la conquête de l’univers numérique et de nos territoires par les superpuissances américaines. En fait, il s’agit de la plus écrasante attaque à la souveraineté nationale qu’aient connue les États dans ce nouveau millénaire. Au siècle dernier, on associait ce genre de conquête aux guerres ou aux velléités de l’impérialisme américain. Aujourd’hui, l’Histoire se répète. Sauf qu’il n’y a aucune intervention armée, aucun coup de feu, aucune implication de la CIA, ni de collusion avec des dirigeants complices ou des régimes corrompus. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), et quelques autres plateformes comme Airbnb, Uber et Netflix, sont devenus les nouveaux grands seigneurs de cet empire numérique qui abolit les frontières. Et ils sont en majorité américains, ce qui n’est pas un mince détail, tout particulièrement pour nous, minorité d’irréductibles francophones en Amérique du Nord. C’est en vertu de ce pouvoir que les GAFAM et les autres géants numériques ont défini eux-mêmes les règles du jeu, se comportant de la même manière qu’un conquérant à l’égard d’une population et d’un territoire conquis. Ce sont des barbares numériques auxquels il faut opposer une résistance.

Leur omnipuissance met au défi le principe et l’existence même des États nationaux. Car ce sont bel et bien l’autorité et la légitimité des États qui sont mises en cause par les géants numériques sur leurs territoires respectifs.

Le Québec et le Canada ne font pas exception à la règle. Les superpuissances numériques défient nos lois, refusent de reconnaître nos frontières et de respecter nos règles du jeu. Parmi elles, les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter imposent leur absence d’éthique de la communication, favorisent la propagation des propos mensongers, encouragent les extrémismes et ignorent le respect des droits d’auteur. L’accusation est sérieuse : ces géants constituent une menace à la démocratie, au rôle et à la définition de l’État tels que nous les connaissions jusqu’ici.

Les conquérants ont l’habitude d’imposer leur culture et leur langue. Nous n’y échapperons pas, c’est l’actuelle tendance lourde de leurs stratégies. La population de culture francophone au Canada et au Québec doit impérativement en prendre acte.

C’est la raison pour laquelle il est devenu essentiel que nos États nationaux régulent la cohabitation, incontournable, avec les superpuissances numériques. Cela signifie de reprendre le contrôle de notre territoire, de définir une réglementation universelle pour les entreprises numériques – aussi bien les nôtres que les étrangères –, d’établir l’équité fiscale pour celles-ci et enfin de garantir la protection de nos cultures et de notre langue menacée.

Bien sûr, les territoires du Canada et du Québec sont « occupés » de la même façon par les nouveaux grands seigneurs américains du numérique que ceux des autres pays occidentaux. Nous ne faisons pas bande à part. Mais le fait d’être voisin des États-Unis en Amérique du Nord donne libre cours à plus d’arrogance de leur part. Comme pour l’univers du cinéma, nous faisons partie de leur marché intérieur (domestic market). Or, en ce qui concerne le Québec, c’est tout l’espace culturel francophone qui est enseveli sous les contenus anglo-saxons proposés par les géants numériques. Il faut être conscients que vivre en français à l’ère numérique comporte des obstacles plus sérieux que jamais. On le constate par la désaffection des moins de 35 ans à l’égard de la culture et de la langue françaises au Québec.

Ces superpuissances, principalement américaines, sont en effet devenues les vraies propriétaires de l’espace numérique. Nous ne sommes plus que de simples locataires/utilisateurs qui empruntons leurs réseaux de distribution et de communication. Nous nous sommes transformés, par la force des choses, en une clientèle captive et assidue de leurs appareils, de leurs contenus, de leurs applications. Des milliards de personnes sont branchées sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger, Twitter, TikTok, etc.) ou utilisent les moteurs de recherche (Google, Bing, Yahoo !, etc.). C’est une puissante dépendance que nous avons développée depuis qu’internet est devenu aussi indispensable à nos vies que l’eau et l’électricité. C’est pourquoi on peut parler de « GAFAM-dépendance ». Or, depuis le début de la pandémie de COVID-19, en 2020, la GAFAM-dépendance s’est accrue plus que jamais. Ne cherchez pas, il n’y a aucun vaccin pour contrer cette dépendance. »

Les barbares numériques – Résister à l’invasion des GAFAM

Alain Saulnier

Écosociété

200 pages

Qui est Alain Saulnier ?

Journaliste de métier, Alain Saulnier a dirigé le service de l’information à Radio-Canada (2006-2012) et enseigné le journalisme à l’Université de Montréal (2012-2022). Il est l’auteur d’Ici était Radio-Canada (Boréal, 2014).

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