Télécommunications

Les règles favorisent Bell, Rogers et Telus, selon Cogeco

Cogeco aimerait ne plus être contrainte de vendre aux grandes sociétés de télécommunication un accès à son réseau filaire. Prévu pour stimuler la concurrence, le cadre réglementaire canadien aide plutôt les plus grands acteurs de l’industrie, plaide le câblodistributeur montréalais.

Le cadre réglementaire adopté à la fin des années 1990 pour stimuler la concurrence ne joue plus adéquatement son rôle, affirme le président de Cogeco Connexion, Frédéric Perron, en entrevue.

« Ç’a été viré à l’envers, dénonce-t-il. C’est l’inverse qui se produit, où ce sont principalement les gros joueurs, donc les “Big Three”, Bell, Rogers et Telus, qui utilisent ce régime pour augmenter leur dominance sur notre réseau à nous. »

Les trois grandes sociétés de télécommunication représentent près de la moitié de la vente en gros sur le réseau de Cogeco, affirme M. Perron. « Ce régime-là était censé aider les petits. »

Le phénomène a pris de l’ampleur dans les 12 à 18 derniers mois, observe l’homme d’affaires. « C’était beaucoup plus petit, c’est ce que je peux dire. »

L’industrie a d’ailleurs perdu plusieurs acteurs indépendants dans les deux dernières années. Bell a acquis Ebox et Distributel. Telus a mis la main sur Altima. Cogeco a elle-même consolidé l’industrie avec l’achat d’Oxio.

Cogeco présentera, jeudi, ses arguments au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), lors des audiences publiques sur le cadre des services d’accès haute vitesse de gros.

Pratique inéquitable

Le câblodistributeur ne réclame pas la fin des tarifs de gros, qui ont favorisé la concurrence, mais il aimerait que les trois plus grandes sociétés de télécoms ne puissent plus bénéficier du cadre réglementaire. Québecor, qui exploite les marques Vidéotron et Fizz, n’est pas visée par cette requête.

M. Perron trouve inéquitable que les trois grandes sociétés utilisent le réseau d’un fournisseur régional, comme Cogeco, pour lui faire concurrence. Cogeco ne peut faire autrement que d’effectuer la vente en gros à un tarif réglementé par le CRTC. « C’est une menace existentielle pour des joueurs régionaux comme Cogeco. »

Le dirigeant ne veut pas dévoiler quel volume représente la vente en gros par rapport à la vente directe aux abonnés pour des raisons concurrentielles, mais il répond qu’il s’agit d’une activité « assez importante ».

« Des fois, on doit faire de nouveaux investissements, juste pour aider nos concurrents, parce qu’on doit augmenter la capacité de notre réseau parce que leur présence est assez significative sur notre réseau. »

— Frédéric Perron, président de Cogeco Connexion

Même si Cogeco est bien connue au Québec, M. Perron souligne que l’entreprise est beaucoup plus modeste que les géants canadiens des télécommunications. Il donne l’exemple de Bell qui a annoncé le licenciement de 4800 personnes, soit 9 % de ses effectifs, la semaine dernière. « Les mises à pied, c’est presque le nombre d’employés total de Cogeco », évoque-t-il.

Fibre optique

Cogeco demandera également au CRTC de ne pas être contrainte d’offrir l’accès à son réseau de fibre optique jusqu’au domicile et que cette obligation ne s’applique qu’aux grands acteurs du milieu.

Le CRTC a fait un premier pas en novembre dernier avec une décision temporaire avant les audiences de février afin de forcer « les grandes sociétés de télécommunication » à partager leur réseau de fibre optique jusqu’au domicile au Québec et en Ontario.

Cogeco ne veut pas que cette obligation soit étendue à ses activités de manière permanente. Si le CRTC choisit tout de même cette option, Cogeco demande une période d’exemption, le temps de rentabiliser ses investissements.

Questionné pour savoir si Cogeco pourrait réduire ses investissements dans les infrastructures si elle n’est pas satisfaite du cadre réglementaire qu’adoptera le CRTC, M. Perron se montre prudent. « Je ne voudrais pas spéculer parce que ça dépend : ce n’est pas noir ou blanc. Ça dépend de ce sur quoi ils vont statuer, mais possiblement oui. »

Un dilemme pour le CRTC

Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal, juge que la proposition d’exclure Bell, Rogers et Telus de l’accès au réseau de Cogeco est « raisonnable », mais le CRTC voudra aussi éviter que l’entreprise montréalaise se trouve dans une situation monopolistique dans certaines régions éloignées. « Ce n’est jamais une bonne idée de se trouver avec un seul fournisseur. »

Le CRTC risque d’éprouver un certain dilemme en écoutant les arguments de Cogeco, estime M. Larouche.

« Ce sont des arguments qui sont très difficiles à départager.

« On [le CRTC] ne veut pas dire à Cogeco : “On accepte que vous soyez transformé en un joueur qui fait seulement de la revente en gros.” Il faut garder un certain encouragement pour que Cogeco continue à investir, ça prend des incitatifs.

« D’un autre côté, on ne peut pas non plus dire : “Faites ce que vous voulez dans les régions où vous investissez”, nuance le professeur. Donc, vous seriez roi et maître jusqu’à ce qu’un de vos concurrents amène la connexion à la maison de vos clients. »

Une proposition mitoyenne pourrait être d’exclure les grandes sociétés de télécommunications, mais d’offrir la vente en gros aux petits acteurs indépendants, avance M. Larouche. « Disons que le dommage pour Cogeco serait moins grand. »

Partage de fibre optique

Bell demande au CRTC d’imposer des conditions

BCE exhorte le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à mettre en place des conditions, comme des plafonds sur les vitesses admissibles et des restrictions d’accès, s’il décide de permettre aux petits fournisseurs d’accès internet d’utiliser les réseaux de fibre optique de leurs concurrents pour offrir des services à leurs clients. Le chef des affaires juridiques et réglementaires de Bell, Robert Malcolmson, a déclaré aux commissaires du CRTC que leur calcul selon lequel l’octroi d’un accès temporaire à internet haute vitesse de gros n’entraînerait pas de réductions des dépenses était « complètement faux ». « La question est de savoir si le conseil va foncer ou prendre une pause pour réfléchir à la manière dont les incitations à l’investissement peuvent être rétablies tout en maintenant une concurrence vigoureuse sur les prix, qui existe clairement sur le marché actuellement », a fait valoir M. Malcolmson.

— La Presse Canadienne

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