La Presse au 76e Festival de Cannes

Le beau retour de Wim Wenders à la fiction

S’étant principalement démarqué grâce à ses longs métrages documentaires au cours des deux dernières décennies, Wim Wenders est de retour en compétition avec Perfect Days. Ce très beau film minimaliste tourné à Tokyo, dans lequel le cinéaste allemand tente de capter ce qui fait la spécificité du peuple japonais, a grandement séduit les festivaliers.

Il est l’un des cinéastes phares du cinéma mondial. On doit en outre à Wim Wenders deux des plus grands longs métrages des années 1980 : Paris, Texas, Palme d’or en 1984, et Les ailes du désir, prix de la mise en scène sur la Croisette trois ans plus tard. Bien que ses plus récents films de fiction n’aient pas eu le même impact, le cinéaste allemand a maintenu le cap au fil des ans grâce, notamment, à ses œuvres documentaires.

Pina, sur la chorégraphe Pina Bausch, a marqué les esprits, tout comme Le sel de la terre. Cette œuvre consacrée au photographe Sebastião Salgado a d’ailleurs remporté le prix Un certain regard à Cannes en 2014. Même si Perfect Days est une fiction, on peut néanmoins établir un lien avec Tokyo-Ga, un documentaire réalisé en 1985, dans lequel Wim Wenders cherchait les lieux de Tokyo qu’il a vus dans les films de Yasujirō Ozu, le maître déclaré à qui il dédie sa nouvelle offrande.

Retour au Japon

Près de 40 ans plus tard, le cinéaste est retourné au Japon, un pays qu’il adore, à la faveur d’un projet qu’on lui a proposé : réaliser une série de courts métrages de fiction dans un esprit de liberté artistique totale, liés par le thème d’un projet social. Wim Wenders a cependant préféré se consacrer à un long métrage avec pour sujet les toilettes publiques de Tokyo. Le cinéaste, qui a écrit son scénario avec Takuma Takasaki, espérait ainsi emprunter une approche à travers laquelle on pourrait comprendre l’essence de la culture japonaise, les toilettes publiques jouant là-bas un rôle tout à fait différent de celui qu’on leur attribue dans les sociétés occidentales.

« Il y a d’une part le sens aigu du service et du bien commun, et d’autre part la beauté architecturale de ces lieux sanitaires publics, a expliqué Wim Wenders au cours d’une entrevue relayée par le Festival. J’ai été étonné de voir à quel point les toilettes peuvent faire partie de la culture quotidienne, ne pas être seulement une nécessité presque embarrassante. »

Perfect Days, allusion au titre d’une chanson de Lou Reed que le protagoniste aime bien (Perfect Day), raconte le parcours d’un homme, Hirayama (Kōji Yakusho), dont on devine qu’il en est à un tournant de sa vie. Il semble maintenant vouloir se satisfaire d’une vie simple en travaillant à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. À l’intérieur d’une routine quotidienne très structurée, Hirayama a l’occasion d’assouvir sa passion des livres et de la musique. Écoutant dans sa voiture de vieilles cassettes qui pourraient valoir très cher auprès des collectionneurs, l’homme apprécie particulièrement les pièces issues des années 1960, 1970 et 1980, celles de Velvet Underground, Otis Redding, Patti Smith, les Kinks…

Des élans de poésie

Il émane du quotidien de Hirayama des élans de poésie découlant du regard d’un homme ayant choisi de vivre une vie faite de simplicité et de modestie. Et qui accueille les gens qu’il rencontre avec une belle ouverture. Filmant la ville sous un angle original en s’éloignant des images vues mille fois, Wenders propose ici un long métrage aussi fort intéressant sur le plan visuel.

Dans un cadre riche d’atmosphères, Kōji Yakusho offre dans cette très belle œuvre une performance qui pourrait bien lui attirer l’attention du jury. Le cinéaste est en tout cas ravi de son expérience de travail avec l’acteur.

« Nous ne pouvions parler que par l’intermédiaire d’un interprète, mais entre Hirayama, mon directeur de la photographie [Franz Lustig] et moi-même, nous avons rapidement trouvé un langage corporel silencieux, qui ne nécessitait parfois que les moindres indications d’ajustement. C’était vraiment un rêve de travailler avec quelqu’un d’aussi totalement engagé dans son personnage et aussi totalement ouvert pour tourner aussi rapidement que nous l’avons fait, parfois sans beaucoup de répétitions. »

N’ayant pas été retenu dans la course à la Palme d’or depuis Rendez-vous à Palerme, en 2008, Wim Wenders est honoré par une double sélection à Cannes cette année. En plus de Perfect Days, sa neuvième entrée dans la compétition (sa première sélection remonte à Au fil du temps en 1976), Wim Wenders a présenté plus tôt dans ce festival, en séance spéciale, Anselm, un documentaire qu’il a consacré à l’artiste Anselm Kiefer.

L’été dernier, de Catherine Breillat

Au plus près de l’intime

Après 10 ans d’absence (son dernier film est Abus de faiblesse, réalisé en 2013), Catherine Breillat est de retour avec un long métrage inspiré de Queen of Hearts, un film danois réalisé par May el-Toukhy en 2019 (lauréat à l’époque d’un prix du public au festival de Sundance). Mettant en vedette Léa Drucker et Samuel Kircher (le frère de Paul, révélé dans Le lycéen, fait ici ses débuts au cinéma), L’été dernier relate comment Anne, une femme plus mûre, s’y prend pour sauvegarder sa vie de famille après s’être laissé séduire par Théo, un jeune homme de 17 ans, fils de son conjoint. Réputée provocatrice, la réalisatrice de Romance aborde de nouveau un sujet délicat, mais en empruntant cette fois une approche plus posée. Évacuant d’emblée la question morale que soulève cette liaison dont le jeune homme a eu l’initiative, la cinéaste s’attarde plutôt aux moyens qu’utilise Anne pour tenter de sauver la face quand l’affaire éclate au grand jour. Filmant souvent les visages de ses personnages en gros plans avec une caméra amoureuse (magnifique travail de Jeanne Lapoirie à la direction photo), Catherine Breillat creuse ainsi l’intimité de ses protagonistes, sans jamais tomber dans l’impudeur ou la complaisance. Léa Drucker et Samuel Kircher sont crédibles et offrent de magnifiques performances. L’été dernier marque le beau retour d’une cinéaste affligée par la maladie au point d’en avoir un temps perdu l’envie de faire du cinéma.

L’enlèvement, de Marco Bellocchio

Comme des tableaux de grands maîtres

En compétition officielle à Cannes une première fois il y a 43 ans (Le saut dans le vide avait alors valu des prix d’interprétation à Anouk Aimée et à Michel Piccoli), le maître italien Marco Bellocchio, 83 ans, est cette année en lice pour la Palme d’or pour la huitième fois. De facture classique, L’enlèvement fait écho à un réel évènement historique, survenu à Bologne en 1858. Cette année-là, les soldats du pape ont fait irruption dans une famille juive pour en extirper l’un des enfants, âgé de 7 ans, qui, bébé, aurait été baptisé en secret par une nourrice. Or, la loi pontificale est indiscutable. Un enfant baptisé doit recevoir une éducation catholique. L’enlèvement décrit ainsi les efforts que font les parents pour récupérer leur fils face à l’intransigeance du pape Pie IX, l’impact politique qui découle de cette affaire (la famille est soutenue par l’Italie libérale et la communauté juive internationale), de même que les effets de ce nouvel endoctrinement sur le petit garçon. Grâce à une mise en scène d’une méticulosité incroyable, appuyée par des images remarquables ressemblant souvent à des tableaux de grands maîtres, Marco Bellocchio propose un film de très grande qualité. Ne soyons pas surpris si cette plus récente œuvre du vétéran figure au palmarès samedi.

Une lettre d’amour à la France

Dans La passion de Dodin Bouffant, sélectionné en compétition officielle, Juliette Binoche incarne une cuisinière de la fin du XIXe siècle qui, avec un gastronome réputé, travaille à préparer de somptueux repas, dans une histoire célébrant l’art d’aimer et l’art de cuisiner. À la table des conférences de presse, l’actrice a déclaré jeudi avoir été particulièrement émue du fait que ce film a été écrit et réalisé par Tran Anh Hùng. « Hùng vient du Viêtnam et a adopté la France comme son pays qui, lui, l’a adopté en retour. Pour les Français “de souche” que nous sommes, il est très émouvant de voir cet amour du raffinement français, qu’on a trop tendance à oublier chez nous. Ce film est une lettre d’amour que Hùng envoie à la France. » Le cinéaste a de son côté déclaré que son intention de départ était très claire : faire un film « vraiment très français ».

Nanni Moretti et les plateformes

Il serait étonnant que Nanni Moretti propose un long métrage destiné exclusivement à une plateforme dans un proche avenir. Appelé à commenter la pique à Netflix qu’il fait dans Vers un avenir radieux, une autofiction dans laquelle il joue lui-même le personnage du cinéaste, le réalisateur italien a renchéri au cours d’une conférence de presse tenue jeudi. « Je parle de Netflix dans le film, mais il s’agit d’un symbole englobant toutes les plateformes. De nombreux scénaristes et cinéastes s’en remettent docilement à elles et ça me déplaît. Quand j’écris un scénario, je pense avant tout à la salle de cinéma et au grand écran sur lequel les images seront projetées, plutôt qu’au jeune de 13 ans qui regarde un film sur son téléphone portable en prenant le métro. »

Quentin Tarantino précise…

Invité d’honneur de la Quinzaine des cinéastes, où il a organisé une projection de Rolling Thunder, un film que John Flynn a réalisé en 1977 et dont les vedettes étaient William Devane et Tommy Lee Jones, Quentin Tarantino a donné plus de précisions à propos de The Movie Critic, son prochain projet. Alors que la rumeur évoquait un film sur la célèbre critique Pauline Kael, le réalisateur de Once Upon a Time… in Hollywood a déclaré, selon ce que rapporte le site spécialisé Deadline, que le récit est plutôt inspiré « d’un gars ayant réellement vécu, qui écrivait des critiques dans un magazine porno ». « Il écrivait sur des films grand public et était d’un cynisme absolu, tout en étant très drôle, a-t-il ajouté. Ses critiques étaient un mélange de ce que Howard Stern était à ses débuts et de ce qu’aurait écrit Travis Bickle [le protagoniste de Taxi Driver] s’il avait été critique de cinéma ! »

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