Mon clin d’œil

Je, Paul St-Pierre Plamondon, jure que j’ai été le premier, cette année, à ne pas vouloir prêter serment au roi.

Industrie culturelle

Les rois de la montagne de la SODEC

Dans le monde des médias et de la culture, le mot « numérique » est synonyme de révolution, voire de « disruption ». L’avènement des technologies dites pair-à-pair comme l’internet a chamboulé les modèles de consommation des contenus. Cela a eu un impact significatif sur nos industries culturelles. Mais surtout, les nouvelles technologies numériques ont démocratisé l’accès aux moyens de production.

Par exemple, enregistrer un album coûtait 1000 $ par jour en studio il y a 45 ans. Aujourd’hui, un artiste peut se procurer pour 15 000 $ le matériel nécessaire afin de produire un son professionnel, en utilisant des simulateurs de composantes analogiques d’antan qui coûtaient 250 000 $ pièce, dans les années 1980.

C’est entre autres grâce à l’abordabilité des outils de production que les artistes sont graduellement devenus des « autoproducteurs », finançant leurs projets musicaux à même leurs économies ; avec l’aide financière de la famille et des amis.

Et aujourd’hui, les artistes-entrepreneurs sont passés majoritaires dans notre paysage de la production québécoise.

Les autoproduits entre deux chaises

En 1995, l’année de création de la Société de développement des entreprises culturelles (la SODEC), c’était l’âge d’or du disque. Les maisons de disques étaient incontournables. L’autoproduction, quasi absente. Et la plateforme Napster allait naître quatre ans plus tard.

Maintenant, 27 ans après la création de la SODEC, la production s’est totalement démocratisée, la distribution est plus que jamais à la portée de tous et les techniques pour commercialiser la musique ne sont désormais plus l’apanage des maisons de disques.

Au-delà du talent et de la qualité sonore, l’argent est nécessaire pour percer. Il faut des moyens pour engager des stratèges en promotion ; pour acheter du « placement média » afin que son contenu trouve l’attention qu’il mérite auprès d’un auditoire éparpillé. Et la plupart du temps, notre marché local n’offrira pas suffisamment de revenus pour couvrir les dépenses ; il faudra donc de l’aide financière pour joindre les deux bouts.

Et c’est là que la SODEC entre en jeu.

Or, pour bénéficier de la SODEC, il faut être une « entreprise culturelle » selon des critères excluant d’emblée les artistes-entrepreneurs.

Tandis que les subventions pour les créateurs sont fournies par le Conseil des arts et des lettres du Québec (le CALQ).

Mais là où le bât blesse, c’est que l’artiste-entrepreneur incorporé n’est à ce jour ni admissible à la SODEC ni au CALQ. Les artistes autoproduits, désormais majoritaires, tombent platement entre deux chaises. Entre le CALQ et la SODEC.

Un cercle vicieux maintenu et entretenu par la SODEC

Par conséquent, les artistes qui s’autoproduisent n’ont pas accès aux subventions consacrées à la commercialisation. Pour faire rayonner leurs produits, ils sont donc systématiquement canalisés vers un producteur reconnu par la SODEC. Et par ce fait, ils doivent souvent céder au passage de précieux droits d’auteur…

Cette situation, qui en étonne et choque plus d’un ou une dans le milieu culturel, est dénoncée depuis plusieurs années. Plus récemment, des groupes d’artistes sont montés au créneau pour réclamer plus d’équité dans l’attribution des fonds de la SODEC.

Une ex-ministre à l’écoute 

Ayant entendu la récente grogne des autoproducteurs, l’ex-ministre Nathalie Roy a demandé à la SODEC de trouver une solution. Cette dernière a confié à la firme Nordicity la tâche de conduire une étude, dont les résultats seront bientôt dévoilés. Ainsi, la SODEC pourra enfin réaménager ses programmes et accorder une meilleure place aux artistes-entrepreneurs.

Voilà un début.

Mais, bien au-delà des changements cosmétiques que la SODEC s’apprête à faire dans ses programmes, c’est dans ses fondations mêmes que le vrai problème réside. Parce que sa loi fondatrice exige qu’elle crée et entretienne des commissions sectorielles. Celles-ci doivent être consultées quant à la teneur de ses programmes et leurs critères d’admissibilité. Les gens qui participent à ces commissions sont nommés par la SODEC ; ils sont aussi bénéficiaires de ses subventions.

Eh oui… Étonnamment, les programmes de la SODEC sont conçus par et pour ses propres bénéficiaires. Surpris ? Voilà une recette parfaite pour mettre la table à des conflits d’intérêts persistants.

Le conflit d’intérêts est donc systémique à la SODEC ; enchâssé à même sa constitution. Créé et entretenu par l’institution elle-même.

Au moment où j’écris ces lignes, nous ne savons toujours pas qui sera le ou la ministre de la Culture et des Communications qui chapeautera la SODEC. Mais chose certaine, il devient criant que cette personne corrige sans tarder la Loi sur la SODEC. Afin que les commissions sectorielles soient constituées en majorité de sommités issues du milieu des affaires, du monde universitaire, de l’innovation, des technologies, de la sociologie, de l’éducation, de la diversité culturelle et de la saine gouvernance. Plutôt que de ses propres bénéficiaires…

Ainsi, on améliorerait la situation actuelle où quelques rois de la montagne industriels déterminent impunément des règles qui les favorisent, d’abord et avant tout. Cela, bien au détriment des nouveaux joueurs, des modèles innovants et de notre diversité culturelle.

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