Opinion

Bâtir un projet de société qui nous fera rêver

Les grands marchés publics, les bains publics, le Jardin botanique de Montréal, les grands parcs et promenades fluviales, les équipements culturels et les bibliothèques. Voici une courte liste de legs de la relance économique de l’après-crise de 1929 au Québec. Ils ont marqué le paysage et le patrimoine de nos villes, et ce sont des lieux auxquels la population est grandement attachée. Près de 100 ans plus tard, quels seront nos grands legs de la relance après-COVID-19 ?

Il est encore tôt pour le dire, puisque ces projets peuvent mettre du temps à apparaître, et qu’ils auront besoin d’incitatifs pour éclore. Cela dit, si l’on se fie à la « photo » que nous renvoient les 202 projets d’infrastructures qui seront accélérés par la loi 61, on peut déjà voir un projet de société se dessiner. En résumé, la liste des 202 projets comprend principalement des infrastructures de transport, des écoles et des maisons des aînés. On y retrouve certains projets très porteurs, comme des réseaux structurants de transport en commun ou la rénovation de résidences pour personnes âgées.

Mais si on voit cette liste comme une ébauche de projet de société, il y manque tout un pan.

Au-delà de projets nécessaires, en réponse à des besoins concrets (transports, nouvelles écoles, vieillissement de la population), on observe un manque de projets qui répondent à des besoins de prime abord moins tangibles, mais qui contribueront considérablement à la qualité de vie des gens, au vivre ensemble et au tissu social.

Si une bonne partie des projets de la loi 61 sont des infrastructures de mobilité, les projets de relance des années 30 pourraient être décrits comme des projets de démobilité : des équipements qui font des quartiers des milieux de vie complets, rapprochent la nature de la ville, améliorent la qualité de vie et les conditions sanitaires. Bien vivre là où on est.

À New York, une autre crise a également mené à la création de grands projets qui font encore aujourd’hui la fierté des résidants. Dans les années 70, la faillite de l’administration municipale a donné lieu à la création d’une multitude de « conservancies ». Ce grand mouvement de valorisation d’espaces publics était porté par des organismes dont le modèle financier ne dépendait pas uniquement de fonds publics, mais faisait appel notamment à la responsabilité sociale des entreprises et à l’implication dans leur milieu. La renaissance de Central Park et Bryant Park en sont des exemples emblématiques.

Liste de souhaits pour la relance

La relance est l’occasion de repenser l’urbanisme de l’après-crise et de bâtir un héritage durable qui favorise la transition écologique et sociale nécessaire, tout en proposant un projet de société exaltant. Valoriser nos milieux de vie et nos quartiers est, à ce titre, un moyen concret et perceptible pour aborder le changement social, à l’échelle locale.

En plus d’investir dans des projets d’infrastructures physiques, investissons dans l’infrastructure sociale. Bien qu’intangible, cette dernière se doit d’être aussi solide que nos ponts. Il s’agit d’une condition essentielle pour renforcer le lien social et le vivre ensemble.

Si on se permet de rêver à des projets visant à solidifier l’infrastructure sociale, voici à quoi ressemblerait notre liste de souhaits :

– Créer de nouveaux marchés publics au cœur des quartiers, qui renforcent le lien avec nos producteurs locaux et remplissent également un rôle de lieu de socialisation ;

– Encourager les projets de renaturalisation des villes, plutôt que la dénaturalisation et la destruction des milieux humides pour soutenir l’étalement urbain ;

– Se réapproprier les berges de notre fleuve ;

– Créer de nouveaux grands parcs et promenades ;

– Ouvrir les bibliothèques et établissements culturels sur l’extérieur pour y recréer le perron d’église d’antan ;

– Concevoir les postes de police comme des espaces civiques, des lieux communautaires multifonctionnels où l’on se sent bien et en sécurité ;

– Bâtir des résidences pour aînés intégrées à leur milieu de vie, ouvertes sur des espaces vivants et intergénérationnels, et considérer davantage les aînés dans les projets urbains ;

– Construire des logements et écoquartiers abordables qui nous rendent fiers et incitent les citoyens à demeurer en ville ;

– Transformer durablement des infrastructures routières en rues conviviales qui soient des lieux de vie pour les communautés plutôt que des lieux de transit ;

– Valoriser nos espaces publics de proximité pour en faire des cœurs de vie de quartier, jouant un rôle de liant social, des lieux de rencontre de l’autre ;

Quels seront ces projets qui bâtiront l’héritage de nos villes, qui nous apporteront fierté aujourd’hui et serviront les générations futures ? Reste à voir si certaines de ces aspirations verront le jour dans les prochaines années.

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