LES COÛTS DE LA SÉPARATION

Ruineuse rupture

Deux ans après avoir emménagé dans leur petit nid d’amour, Julia et Frank étaient à couteaux tirés, incapables de se supporter mutuellement. Leur rupture était inévitable. Tout comme la vente de leur maison presque neuve, puisqu’aucun des deux conjoints n’avait un revenu suffisant pour en assumer seul les frais.

Sauf qu’ils ont eu une bien mauvaise surprise en calculant le solde de l’opération : après la vente de la maison, ils avaient encore une dette de 3000 $ !

« Leur mise de fonds à l’achat était peu élevée et ils avaient remboursé peu de capital en deux ans », explique Guylaine Dufresne, directrice de la planification financière à la Banque Laurentienne, qui relate la mésaventure du jeune couple. « Compte tenu de tous les frais connexes, ils se retrouvaient à devoir payer pour vendre leur maison ! »

Comment est-ce possible ? Pour une maison de 300 000 $, achetée avec une mise de fonds de 5 %, si on ajoute les frais de 3,15 % pour l’assurance hypothécaire sur les prêts avec faible mise de fonds, le solde de l’hypothèque sera de 279 000 après 2 ans. Le courtier immobilier qui se chargera de la vente recevra une commission de 15 000 $, et la pénalité à payer à la banque sera de 9000 $. Manque à gagner : 3000 $. Sans compter les frais de déménagement et les dépenses à prévoir pour que chacun meuble son nouveau logement.

COLOCATAIRES FORCÉS

« Certains couples n’ont tout simplement pas les moyens de faire face à ces dépenses et continuent de cohabiter après leur séparation », note Guylaine Dufresne.

« La situation peut tourner à la catastrophe quand la maison a été acquise récemment et qu’aucun des deux n’a les moyens de racheter la part de l’autre », ajoute Jean-François Chabot, avocat et médiateur familial.

Les consommateurs s’endettent plus et épargnent moins. Si on ajoute à l’équation un événement qui bouleverse la situation financière, comme une séparation, les risques de naufrage financier sont grands.

« En général, une séparation appauvrit les deux parties. La majorité des gens n’ont pas les moyens de maintenir le même train de vie, mais il leur faut parfois un certain temps avant de s’en rendre compte. »

— Guylaine Lafleur, notaire et planificatrice financière

Il ne semble pas y avoir d’études sur le sujet, mais il est fort possible que la hausse de l’endettement des ménages, ces dernières années, soit liée à l’instabilité grandissante des ménages, selon Martine Berthelet, qui enseigne la planification financière à HEC Montréal, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et à l’Institut québécois de planification financière (IQPF). « Les budgets des ménages sont tellement serrés que le moindre imprévu a de lourdes conséquences, souligne-t-elle. Et une séparation, c’est tout un imprévu ! »

LE CONFORT DU COUSSIN FINANCIER

Quand les ex-conjoints s’installent chacun de leur côté, les dépenses se multiplient et sont lourdes à assumer : deux loyers à payer, deux comptes d’électricité, de communications, d’assurances. Parfois, une voiture est nécessaire. Sans compter le nécessaire pour accueillir les enfants en garde partagée.

« Le principal problème, c’est que les gens n’ont pas de fonds d’urgence qui leur permettrait de faire face à n’importe quel ennui », souligne Josée Pomerleau, syndic de faillite, qui estime que les ruptures conjugales arrivent au troisième rang parmi les causes d’insolvabilité. « Ça change le budget en profondeur, mais sans coussin financier, on n’a aucune marge de manœuvre et on doit tout de suite se rabattre sur le crédit, qui est souvent une pente glissante. »

Pendant le processus de séparation, sous le coup de l’émotion, certains ne réussissent pas à évaluer de façon réaliste les frais qu’ils devront assumer seuls et leur capacité de payer. « Ils sont souvent attachés à leur maison, par exemple, et veulent la garder à tout prix, croyant qu’ils en ont les moyens », mentionne Guylaine Lafleur.

Sans compter que la responsabilité des finances familiales incombait parfois à un seul des conjoints, tandis que l’autre n’en connaissait pas tous les détails. « L’un des deux prend soudain conscience de l’ampleur insoupçonnée des dettes, raconte Jean-François Chabot, qui préside aussi l’Association des médiateurs familiaux du Québec. C’est souvent le moment d’entreprendre un grand ménage des finances. »

Me Chabot revoit souvent les couples séparés au cours des années suivantes. Ceux qui n’avaient pas voulu voir la réalité en face se sont parfois enfoncés dans les dettes et n’ont d’autre choix que de faire les changements qui s’imposent, avec un peu de retard, comme vendre une propriété dont les frais sont trop lourds à assumer. « Avec l’équité, ils vont régler toutes leurs dettes et passer à autre chose, repartir à neuf », dit-il.

La perspective de se retrouver coincées financièrement peut angoisser certaines personnes, mais le médiateur souligne que ces craintes ne doivent pas non plus les empêcher de prendre une décision qui s’impose. « Si une personne ne se sent pas bien dans son couple, elle doit savoir que c’est possible d’y arriver seul, dit-il. Il peut y avoir des choix difficiles à faire, mais les solutions existent. »

QUELQUES PIÈGES FINANCIERS À ÉVITER

• Si des dettes conjointes sont enregistrées au nom d’un seul des ex-conjoints, préciser la part qui devra être remboursée par chacun dans un document légal, par exemple une entente signée pendant un processus de médiation.

• Si l’un des deux conjoints rachète la part de l’autre dans la propriété familiale, pour éviter l’imposition de la taxe sur les mutations immobilières (la « taxe de bienvenue »), la transaction doit se faire avant que le divorce soit prononcé pour les couples mariés et dans les 90 jours suivant la date officielle de séparation pour les conjoints de fait.

• Avertir Revenu Québec dès que possible du changement de statut, pour que les ex-conjoints aient droit aux crédits d’impôt en fonction de leur nouveau revenu familial, qui est généralement moindre.

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