Opinion Sylvain Charlebois

Le paradoxe de l’achat local

Même si la majorité des Canadiens sont prêts à payer davantage pour des fruits et légumes produits localement, un petit nombre d’entre eux les recherchent activement

L’effet de la pandémie sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire a poussé les gouvernements, dont celui du Québec, à considérer l’autonomie alimentaire comme une priorité et à examiner davantage les chaînes d’approvisionnement locales.

Dans La Presse, la journaliste Daphné Cameron rapportait récemment* qu’une étude avait évalué la volonté des consommateurs de payer davantage pour des aliments cultivés localement ainsi que leurs perceptions des cultures en serre, entre autres. Le rapport publié par l’Université Dalhousie tentait aussi de cerner les facteurs considérés par les gens lors de l’achat de denrées, les endroits où ces denrées sont cultivées et le degré d’importance des fruits et légumes dans leur alimentation.

Le sondage a d’abord porté son attention sur la façon dont les Canadiens définissent les aliments locaux. Dans les provinces de l’Atlantique et des Prairies, la plupart des gens interrogés affirment que si la nourriture est cultivée dans leur province, on la considère comme locale, tandis que selon les consommateurs de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, seuls les aliments cultivés dans leur propre région sont considérés comme aliments locaux. Toute une nuance. Des programmes comme Aliments du Québec traitent toujours un marché comme homogène. Or, les résultats de l’enquête nous montrent que les gens de la Mauricie, par exemple, ne considèrent peut-être pas les fruits et légumes de la région d’Oka comme locaux.

Le rapport révèle aussi un autre fait intéressant. Lorsqu’ils décident des fruits et légumes à acheter, 79,5 % des Canadiens conviennent de payer une prime pour les produits cultivés localement.

Toutefois, seulement un Canadien sur quatre considère que l’endroit où les aliments sont cultivés constitue un facteur important.

Il existe donc un paradoxe à l’achat local. Autrement dit, la plupart sont prêts à payer davantage, mais peu recherchent activement des occasions de le faire. Le prix, sans surprise, reste le facteur le plus déterminant pour les Canadiens, avec près de la moitié (47,5 %) citant le prix des fruits et légumes comme le premier facteur d’importance.

Pour une promotion plus efficace des produits locaux, il faut donc se débarrasser de la principale barrière à l’achat : le prix.

Pour mettre l’accent sur une meilleure autonomie alimentaire, miser sur des projets d’agriculture à environnement contrôlé devient primordial, ce qui ne semble pas déranger les Canadiens outre mesure. Au-delà de la moitié des gens interrogés (51,6 %) montrent une volonté à payer une prime pour la production fraîche hors saison cultivée localement dans les serres, par exemple, au lieu d’acheter des produits horticoles importés. On rapporte que 63,4 % des gens sondés perçoivent les produits cultivés dans les serres comme de la même qualité que les produits cultivés de façon traditionnelle, 27,4 % les trouvent meilleurs, et seulement 9,2 % disent qu’ils sont moins bons. Les serres ont donc la cote.

L’héritage de la COVID-19 a suscité un certain éveil en nous, une volonté collective de mieux contrôler notre destinée agroalimentaire. Partout au pays, les gouvernements s’activent à faire valoir la production locale à l’année, et pourquoi pas ? Somme toute, nous restons vulnérables aux fluctuations financières et aux effets des changements climatiques partout sur la planète. Les incendies en Californie nous ont fourni l’exemple parfait. Produire davantage chez nous à l’année s’avère donc sans conteste un projet qui a du mérite.

L’autonomie alimentaire au Canada ne relève pas de l’autosuffisance, mais flirte plutôt avec le concept de l’« abordabilité alimentaire ».

Produire localement est une chose, mais produire des fruits et légumes à un prix adapté à nos budgets, surtout en temps de récession, voilà la clé.

Nous ne sommes que 38 millions de consommateurs qui vivent dans l’un des pays les plus vastes du monde. Étant donné les coûts de distribution importants, il faut réaliser des économies d’échelle qui favoriseraient aussi le marché de l’exportation.

L’autonomie alimentaire s’inscrit dans une stratégie d’envergure appuyée en partie par des fonds publics afin d’attirer des investisseurs privés qui ont souvent boudé le secteur agroalimentaire, voulant faire rapidement de l’argent au sein d’autres sphères plus attrayantes de notre économie.

Hélas, nous avons souvent discuté d’autonomie alimentaire dans le passé. Nous l’avions fait pendant la crise du chou-fleur il y a deux ans. Mais, à l’époque, nous étions rapidement passés à autre chose. Espérons que cette fois sera la bonne.

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