ATTERRÉS

Les habitants d’Amqui tentaient toujours de comprendre mardi pourquoi l’un des leurs aurait décidé de renverser des piétons innocents sur le bord de la route 132, faisant deux morts et plusieurs blessés graves. Le suspect, Steeve Gagnon, a été accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort, mais des accusations de meurtre ne sont pas écartées.

Le chauffard comparaît devant une foule hostile

Amqui — Le chauffard qui a laissé la ville d’Amqui dans la stupeur et la consternation en heurtant mortellement des piétons a été accueilli par des cris de « pourri », mardi après-midi, au palais de justice local, quelques minutes avant d’être accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort.

Une petite foule de curieux s’était assemblée pour accueillir le conducteur de la camionnette qui a fauché, de manière intentionnelle selon la police, 11 piétons lundi. L’attaque a fait deux morts et plusieurs blessés graves, dont deux enfants de moins de 3 ans.

Le conducteur, originaire de la région, a gardé le silence alors que jaillissaient les insultes et les huées. La Couronne a déposé au palais de justice d’Amqui des accusations de conduite dangereuse ayant causé la mort de Gérald Charest, 65 ans, et de Jean Lafrenière, 73 ans.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’écarte toutefois pas la possibilité de déposer des accusations de meurtre.

« L’enquête de la police n’est pas terminée. Un grand nombre de témoins doivent être rencontrés. Plus d’informations doivent être colligées », a dit Simon Blanchette, procureur de la Couronne. « Alors nécessairement, il y aura d’autres accusations portées lorsque l’enquête sera terminée et qu’on aura pu se pencher sur l’ensemble de la preuve. »

Le chauffard, qui habitait dans un immeuble d’appartements situé à quelques centaines de mètres du palais de justice, demeurera détenu d’ici son procès. Il doit être de retour en cour le 5 avril.

Steeve Gagnon est resté de marbre devant le juge, les journalistes et les badauds rassemblés. La Couronne a rappelé que l’homme était présumé apte à avoir son procès jusqu’à preuve du contraire.

« Aucune information qui découle de la preuve ne nous permet de douter de son aptitude », indique MBlanchette.

Des airs de désolation

À Amqui, les 6300 habitants tentaient mardi de comprendre le geste de cet homme qui a grandi ici, parmi eux.

Steeve Gagnon a été reconnu coupable en 2007 de conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool. Mais il ne semble pas avoir eu de démêlés avec la justice depuis. « Ce n’était pas un homme très criminalisé », résume MBlanchette.

La Sûreté du Québec poursuit son enquête. Pour l’instant, la police pense que les gestes de Steeve Gagnon étaient prémédités. Il aurait décidé de renverser des piétons innocents sur le bord de la route 132.

La scène de crime avait des airs de désolation, mardi. Des chaussures jonchaient le sol tout près d’une poussette tordue. Un enfant de moins de 1 an et un autre de moins de 3 ans ont été gravement blessés, mais leur vie n’est pas menacée, selon la police. Mardi soir, la SQ précisait que trois victimes étaient toujours entre la vie et la mort.

« Les seuls qui ne criaient pas, c’étaient les victimes », se souvient David Morin, qui a été témoin de la scène dans les instants qui ont suivi les collisions. Selon lui, les victimes gisaient par terre sur plus de 100 mètres. « Le gars, il a continué ! Et il y en a qui l’ont évité, le camion. »

La SQ dit ignorer pourquoi l’homme a commis ces gestes.

« On ne parle pas de geste terroriste. L’individu a agi seul, c’est un acte malheureux et isolé. »

— Claude Doiron, porte-parole de la Sûreté du Québec

Dans le village où Steeve Gagnon est né et a vécu la majorité de sa vie, c’était l’incompréhension, mardi. Ceux rencontrés par La Presse à Saint-Léon-le-Grand ont décrit un homme isolé, en arrêt de travail et qui traversait une mauvaise passe.

Des membres du gouvernement ont toutefois indiqué à mots couverts que l’homme aurait pu souffrir de maladie mentale. « Il semble que cette personne-là était peut-être identifiée déjà » comme à risque, a laissé entendre le premier ministre François Legault.

De passage à Amqui, le ministre de la Sécurité publique a offert ses condoléances aux proches éprouvés. « On n’empêchera peut-être jamais la folie », a laissé tomber François Bonnardel.

Les victimes marchaient pour garder la forme

La députée bloquiste Kristina Michaud est passée en matinée sur la scène du drame. Elle avait encore du mal à comprendre. « J’ai des amis touchés de près, en deuil présentement », a dit la députée fédérale locale, qui a grandi à Amqui.

« On pense que ça arrive ailleurs. Ici, à Amqui, quand on entend des sirènes, on se colle le nez à la fenêtre parce qu’on se dit qu’on doit la connaître, cette personne-là. Toute la communauté aimerait que ce soit un cauchemar. »

— Kristina Michaud, députée du Bloc québécois d’Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia

Les deux victimes étaient des retraités qui aimaient marcher en ville pour garder la forme, raconte l’Amquien Daniel Thériault, qui les connaissait. « Ici, tout le monde se connaît. » C’était deux hommes « très doux », glisse M. Thériault, un trémolo dans la voix.

« Est-ce qu’il a fait ça intentionnellement ? Est-ce qu’il a fait ça dans un délire ? », se demande M. Thériault en parlant de Steeve Gagnon.

Il marque un arrêt, puis reprend en prononçant chaque mot le plus clairement possible, comme pour s’assurer que le journaliste n’en manque aucun. « L’avenir nous le dira. Mais si c’était intentionnel, j’espère que la peine sera extrêmement sévère. »

Une Onde de choc jusque dans le village voisin

Saint-Léon-le-Grand — Dans le village où Steeve Gagnon a grandi, des proches et des connaissances du chauffard ont fait le portrait mardi d’un homme isolé qui traversait une mauvaise passe.

« Ce n’était pas un méchant. Ce n’était pas un dur », lâche le maire de Saint-Léon-le-Grand, Jean-Côme Lévesque. « Selon moi, les fils se sont touchés. »

Depuis lundi, le maire de ce village de 990 habitants cherche à comprendre comment Steeve Gagnon a pu tuer des innocents avec son véhicule. Ce même Steeve Gagnon qui, rappelle le maire, a grandi dans ce village à dix minutes de voiture d’Amqui, qui est né quelques jours après sa propre fille et à qui sa femme a enseigné.

Jean-Côme Lévesque raconte même avoir aperçu Steeve Gagnon quelques minutes avant l’attaque alors qu’il est passé à Amqui pour faire des courses.

« Je l’ai vu de dos. Il s’allumait une cigarette et il montait dans son camion. Il devait être aux alentours de 15 h. Je me suis dit : “tiens, Steeve part faire une ride”. »

« Personne ne comprend »

Steeve Gagnon a passé les premières années de sa vie à Saint-Léon-le-Grand. Il a quitté le village vers le début de la vingtaine, selon des proches.

Il vivait avec sa mère dans un petit bungalow blanc. Quand ses parents se sont séparés, son père est parti vivre en Colombie-Britannique. Lui-même est parti vivre quelques années dans l’Ouest, note un de ses amis d’enfance, qui ne veut pas être nommé. Il a « travaillé dans le bois », puis a occupé des emplois de camionneur.

Steeve Gagnon a eu des problèmes avec l’alcool, souffle son ami. « Il avait des problèmes de consommation, OK. Mais de là à faire ça ? » Il ajoute : « Tout le monde se connaît ici. Personne ne comprend. »

En arrêt de travail

Plusieurs éléments laissent croire que Steeve Gagnon traversait une période difficile de sa vie. Un de ses amis pense qu’il était malade. André-Luc St-Laurent a écrit dans un message Facebook, qu’il a depuis effacé, avoir pris une bière avec Steeve Gagnon la semaine dernière.

« C’était pas la grande forme, mais ça allait se placer. Je voyais bien que tu étais malade, j’aurais peut-être dû m’acharner pour que tu te fasses soigner. Ça ne se serait peut-être pas rendu là, mais il aurait fallu que tu acceptes d’être malade comme n’importe qui », a écrit M. St-Laurent.

Les gens rencontrés par La Presse mardi indiquent que Steeve Gagnon, qui occupait un emploi de camionneur dans une entreprise de Mont-Joli, était en arrêt de travail. Il aurait souffert de douleurs au dos.

« L’été passé, j’ai livré du bois de chauffage dans sa rue. Il nous a reconnus, moi et mon fils, et nous a jasé », se souvient le maire de Saint-Léon, Jean-Côme Lévesque.

« Quand j’ai embarqué dans le camion après, je me souviens avoir dit à mon fils : “Steeve n’est pas un gars heureux, ça paraît dans ses yeux.” Mais écoutez, moi, je ne suis pas un psychologue. »

« Il fonçait sur tout le monde »

Un témoin du drame se confie à La Presse

Ken Moreau a été témoin d’une scène d’horreur lundi après-midi à Amqui : le chauffeur à bord d’une camionnette roulait à vive allure en direction d’une famille et de deux personnes âgées. Un évènement tragique gravé dans sa mémoire.

« J’étais à une seconde de mourir », explique Ken Moreau. Sa voix tremble au bout du fil. Il reprend son souffle et poursuit son récit.

Il sortait d’un rendez-vous chez le dentiste lundi vers 15 h. Sa journée a basculé, passant d’un après-midi tranquille à une expérience traumatisante.

Les images horribles dont il a été témoin repassent en boucle dans sa tête. « Ce n’était pas des piétons écrasés par accident. [Le chauffeur] n’a jamais freiné ou essayé de les éviter. Il roulait pleins gaz. Il fonçait sur tout le monde. »

Le véhicule est arrivé quand il s’apprêtait à traverser le trottoir. « La petite famille derrière moi s’est fait frapper. Il y avait une petite fille en poussette et un enfant à pied. J’ai vu tout le monde se faire frapper », raconte-t-il, ébranlé.

Il y avait derrière lui deux personnes âgées, les deux bambins et une femme qui semblait être leur mère, poursuit le résidant d’Amqui. Devant lui, un homme qui semblait être dans la cinquantaine a aussi été percuté par le camion.

En une fraction de seconde

M. Moreau « se trouve chanceux » d’avoir eu le réflexe de prendre ses jambes à son cou en une fraction de seconde.

« J’ai entendu un son. C’est ce son lourd qui m’a sauvé. Je pense que je suis le seul qui a eu le temps de se tasser. C’était le chaos. »

— Ken Moreau, témoin de l’évènement

Le conducteur roulait à toute vitesse, décrit M. Moreau.

« Je ne l’ai pas vu crier ni parler. Il me semblait en possession de ses moyens. Il avait l’air de n’importe quel conducteur, sauf qu’il allait vraiment vite et en direction des gens qui marchaient », décrit M. Moreau.

Il a revu le camion quelques minutes après que le conducteur a heurté les passants. « J’ai couru après pour prendre la plaque d’immatriculation en photo. C’est tout ce que je pouvais faire. Je suis chanceux d’être là pour raconter ça. »

L’accusé aurait été « identifié » comme étant à risque, dit Legault

Québec — L’auteur de l’attaque meurtrière survenue lundi à Amqui aurait déjà été « identifié » comme étant à risque, a laissé entendre François Legault, qui demande aux gens « d’intervenir » lorsqu’ils constatent que « quelqu’un dans [leur] entourage […] montre des signes inquiétants ».

« Je ne veux pas arriver… aller dans ce cas-là, mais il semble que cette personne-là était peut-être identifiée déjà. Donc, y a-t-il quelque chose à faire quand on sait qu’il y a une personne qui est à risque ? D’agir plus rapidement, de ne pas être gêné de le faire pour le bien commun ? », a dit le premier ministre mardi en point de presse à l’Assemblée nationale.

« Je pense qu’on a une responsabilité collective, d’abord, d’identifier les personnes qui sont à risque et d’agir pour que ces personnes-là reçoivent des services. Et donc, oui, on ne peut pas… le gouvernement ne peut pas être dans chaque milieu à identifier chaque personne qui peut avoir des idées négatives », a également affirmé François Legault.

M. Legault a annoncé qu’il se rendrait à Amqui jeudi pour rencontrer la population de cette ville ébranlée par une attaque à la voiture-bélier qui a fait deux morts et plusieurs blessés, dont certains se trouvent toujours dans un état critique. Il invite également les chefs des partis de l’opposition à l’accompagner durant cette journée.

Il a également annoncé que le drapeau du Québec serait mis en berne ce mercredi sur la tour centrale de l’Assemblée nationale à la mémoire des victimes « de la tragédie d’Amqui ».

Réflexion collective

M. Legault estime qu’il faudra avoir une réflexion collective à la suite de ce drame, qui arrive quelques semaines après une attaque à l’autobus-bélier contre une garderie à Laval. « Il faut agir. Et puis, quand on voit quelqu’un dans son entourage qui montre des signes inquiétants, bien, il faut trouver une manière d’intervenir », a-t-il lancé.

En contrepartie, le gouvernement du Québec a le devoir de s’assurer « que les services sont facilement accessibles » et que de la publicité soit faite « pour que les gens n’hésitent pas à consulter ou à dénoncer ».

« On voit que ce genre d’évènement là arrive de plus en plus souvent dans le monde. Ce n’est pas unique chez nous. Il faut bien analyser la situation. […] À court terme, il faut d’abord réconforter les personnes, mais il faut avoir une réflexion, puis être prudent aussi sur les conclusions. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Selon les policiers, le geste serait prémédité et les victimes auraient été choisies au hasard. « C’étaient des piétons qui marchaient sur le bord de la 132 des deux côtés de la route, sur une certaine distance », a indiqué le sergent Claude Doiron, porte-parole de la Sûreté du Québec (SQ).

Pandémie

Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a fait un parallèle entre l’attaque de lundi et « l’autobus-bélier à Laval qui a tué des enfants ». « On devra faire un exercice par la suite pour essayer de comprendre, et pour essayer de rassurer la population. Je reste inquiet face à deux cas comme ça [lundi] et Laval », a-t-il dit. Il avait évoqué au matin l’idée de suspendre le permis de conduire de certaines personnes qui reçoivent un diagnostic de trouble de santé mentale, mais s’est rétracté par la suite, affirmant que ça ne faisait pas partie des plans du gouvernement.

Il s’est également demandé si la pandémie avait « exacerbé » les cas de santé mentale. « Je pense que oui. Je ne veux pas dire que c’est la faute de la pandémie, mais on dirait que ça a exacerbé plusieurs cas », a-t-il dit.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, n’a pas voulu dire si l’accusé Steeve Gagnon était en attente de services en santé mentale ou s’il était suivi par des spécialistes. Le lendemain de la tragédie de Laval, le mois dernier, il s’était empressé de révéler que le chauffeur de l’autobus qui a percuté une garderie n’était pas en attente de services et que rien ne laissait croire que Pierre Ny St-Amand y avait eu recours dans le passé. Le ministre avait par la suite essuyé des critiques de la part d’experts pour avoir, selon eux, enfreint la Loi sur la santé et les services sociaux en faisant de telles révélations.

« J’attends vraiment les résultats de l’enquête cette fois-ci […]. Je n’ai pas tous les détails », a affirmé Lionel Carmant mardi. S’il avait commenté publiquement le dossier de Pierre Ny St-Amand, c’est qu’« il y avait de la spéculation » alors.

La classe politique ébranlée

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a rappelé de son côté que « les demandes d’aide et la détresse psychologique ont augmenté » depuis le début de la pandémie. « Il faut sensibiliser les gens à l’importance de lever la main. Quand on connaît quelqu’un avec un problème de santé mentale, quand on vit un problème de santé mentale, nous, on veut vraiment que les gens lèvent la main le plus rapidement possible », a-t-il ajouté.

Les partis de l’opposition croient tout de même que l’attaque qui a eu lieu à Amqui force un débat de société. « On doit se pencher sur la haine, la place grandissante de la haine dans notre société », a déploré le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. « Ça fait deux fois que de la violence aussi gratuite coûte des vies. On est prêts à se pencher sur toutes les options, mais il faut le faire également avec rigueur, là, c’est-à-dire qu’on ne peut pas juste lancer des solutions sans avoir étudié exactement de quoi il en retourne », a-t-il affirmé en point de presse.

Le chef par intérim du Parti libéral, Marc Tanguay, veut également une « réflexion collective ». « Ce qui est arrivé à Amqui, c’est bouleversant, ça vient bouleverser une communauté tissée serré, une communauté paisible. Ça amène nécessairement plein de questions. Qu’est-ce que, collectivement, on pourrait faire pour faire en sorte que de telles tragédies n’aient pas lieu ? On se rappelle ce qui s’est passé plus récemment à Laval, et maintenant, il y a Amqui », a-t-il déploré.

Il croit qu’il faut trouver des solutions pour éviter « d’échapper » des personnes, pour agir avant qu’elles ne commettent l’irréparable. « Rendu là, quand la personne, on l’a échappée collectivement, et elle est à bord de son véhicule et décide de faire ce qu’on a vu de très bouleversant [lundi], rendu là, je vous dirais qu’il est presque trop tard. Alors, il faut travailler en amont. Et puis, encore une fois, c’est un dossier délicat. On parle de santé mentale, mais je pense qu’on doit avoir une conversation là-dessus », a-t-il dit.

Est-ce qu’il y a un lien à faire entre ce genre de gestes et la pandémie qui a durement affecté la santé mentale de nombreux Québécois ? Le leader parlementaire de Québec solidaire, Alexandre Leduc, croit de son côté qu’il « faut se poser ce genre de questions ». « Il faut traiter de front cet enjeu. Les gens du Québec s’attendent à ce qu’on en fasse plus pour la santé mentale », a-t-il dit.

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque et Tommy Chouinard, La Presse

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