Opinion : Relations Québec-Maine

Pour un respect mutuel de nos institutions démocratiques

En ma qualité de sénateur de l’État voisin du Maine, j’œuvre depuis longtemps pour promouvoir l’amitié et l’interdépendance harmonieuse entre la province de Québec et mon État. Nous partageons de fortes affinités culturelles et commerciales depuis des siècles, et notre relation cordiale a grandement favorisé notre prospérité mutuelle. Dans ce contexte, je suis particulièrement préoccupé par une question d’actualité qui, j’ose espérer, ne portera pas ombrage à notre relation exemplaire.

En 2018, le Canada a statué sur le caractère illégal de l’ingérence d’entités étrangères dans les élections en modernisant la Loi électorale du Canada. Aux États-Unis et dans le Maine, l’ingérence de gouvernements étrangers est également illégale lorsque nos concitoyens sont appelés à exercer leur droit de vote dans un processus encadré par l’État. Jusqu’à tout récemment, nous croyions que notre loi était adéquate pour protéger les électeurs du Maine contre toute ingérence indue.

Hydro-Québec, une société d’État détenue à 100 % par votre gouvernement, a cependant mis en lumière une faille dans notre législation. Hydro-Québec a exploité cette faille et a injecté, jusqu’en décembre 2020, plus de 10 millions de dollars dans un comité d’action politique (PAC) visant à influencer les électeurs du Maine dans le cadre d’un référendum portant sur un projet de ligne de transport d’électricité dont elle est partie prenante. Pour mettre en perspective la somme investie par Hydro-Québec, soulignons que le précédent record de dépenses par l’ensemble des tenants d’une option lors d’un référendum dans le Maine était de 9,4 millions de dollars. Les dépenses engagées par Hydro-Québec en 2021 ne sont pas encore connues et nous sommes à sept mois du référendum de novembre.

C’est pourquoi j’ai parrainé un projet de loi à l’Assemblée législative du Maine pour fermer cette échappatoire et protéger le processus électoral du Maine dans l’intérêt démocratique de ses électeurs. Le projet de loi que j’ai présenté a fait l’objet d’une audition publique le 15 mars 2021.

Sophie Brochu, présidente et chef de la direction d’Hydro-Québec, y a participé par Zoom afin d’exhorter les législateurs à laisser ouverte cette échappatoire.

La perspective de laisser une société d’État étrangère influencer un vote populaire avec des moyens financiers hors du commun est démocratiquement inacceptable. Cet état de fait interpelle mon devoir premier de sénateur.

Dans son témoignage, Mme Brochu a déclaré : « Nous sommes ici ce matin pour défendre notre droit de parole. » Mme Brochu a également précisé qu’Hydro-Québec « était passablement troublé par cet effort pour supprimer [son] droit de parole ». Cette déclaration s’inscrit dans le contexte où l’implication de tout gouvernement étranger est explicitement interdite dans un processus référendaire au Canada. Mme Brochu a défendu cette inégalité, affirmant que puisque les référendums dans le Maine sont l'initiative des citoyens, ils ne devraient pas être protégés de l’ingérence directe de gouvernements étrangers, contrairement aux référendums canadiens qui sont mis en branle par des législateurs. Les efforts de Mme Brochu pour minimiser le sérieux des référendums dans le Maine m’ont particulièrement heurté, tout comme mes collègues législateurs qui ont assisté à son témoignage.

Précisons que les prérequis pour que les citoyens du Maine puissent faire accepter un référendum par l’État sont intentionnellement élevés. Ce faisant, seules les questions de la plus haute importance pour la population figurent sur le bulletin de vote. Je n’ai nul doute qu’un référendum au Canada est, comme l’a déclaré Mme Brochu, « une grande chose » qui est « politiquement chargée ». Je ne crois pas pour autant qu’une entité étrangère puisse qualifier de façon condescendante notre processus référendaire. J’ai la ferme conviction que les référendums dans le Maine sont tout aussi importants que ceux au Canada et qu’ils doivent en conséquence être soumis aux mêmes codes d’éthique et de respect.

Mme Brochu a également déclaré qu’Hydro-Québec avait agi de « bonne foi » et respecté toutes nos lois électorales même si, avant de former son comité d’action politique (PAC), Hydro-Québec Maine Partnership, la société d’État a dépensé 100 000 $ pour influencer les électeurs du Maine.

Cette violation du cadre légal a été jugée suffisamment grave par la Commission d’éthique du Maine pour qu’une amende de 35 000 $ soit imposée à Hydro-Québec.

L’année dernière, après avoir constaté l’existence de la faille dont il est question, les législateurs du Maine ont présenté un projet de loi très similaire au mien (il n’a pas été adopté en raison de la COVID-19), Hydro-Québec a alors changé son adresse PAC de Montréal au Connecticut dans le but de se donner une couleur locale. Ces actions ne sont certes pas compatibles avec la « bonne foi » dont a fait état Mme Brochu.

Dans le contexte précédemment exposé, un groupe bipartite de 25 législateurs a aussi envoyé une lettre au premier ministre du Québec et à Mme Brochu pour leur demander de « cesser toute autre activité de campagne dans le Maine et de laisser la population voter sans s’immiscer davantage dans [les] élections ». Hydro-Québec a répondu par lettre en indiquant que sa campagne se poursuivrait.

Un référendum est prévu en novembre prochain concernant l’acceptabilité du projet de ligne de transport l’électricité via le Maine pour alimenter le Massachusetts. La démarche citoyenne concernant ce projet a été faite de façon rigoureuse et a franchi toutes les étapes prévues par notre législation. Les citoyens du Maine doivent se prononcer en fonction de leurs propres intérêts. Il n’est pas de mise que des investissements étrangers massifs soient utilisés pour influencer les électeurs du Maine. Le moment est venu de combler cette échappatoire puisque, tout comme vous, nous aspirons à des élections libres de toute influence extérieure.

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