Opinion

Vers une explosion de la violence aux États-Unis

La mort filmée de George Floyd a entraîné dans plusieurs pays des protestations contre le profilage ethnique et la brutalité policière. Des voix s’élèvent pour que les gouvernements réduisent le financement des services de police. On présente les policiers comme étant dangereux pour les citoyens noirs.

Aux États-Unis en 2018, on compte 6318 Noirs assassinés (tués par un Blanc dans environ 5 % des cas) contre 3308 Blancs tués. Puisque les Noirs constituent 14,3 % de la population, des calculs permettent de montrer qu’un citoyen noir a 10 fois plus de risques d’être assassiné qu’un citoyen blanc. En 2019, les policiers, dans leur travail, ont tué 236 Noirs et 376 Blancs. Il y a donc une disproportion des Noirs quant à la population de personnes tuées par la police, mais dans l’immense majorité des cas, la victime était armée et attaquait les policiers. Pour les cas où la victime était non armée, il y a eu 15 Noirs et 25 Blancs. À titre de comparaison, en 2019, un total de 48 policiers ont été assassinés dans le cadre de leurs fonctions.

Ces chiffres nous amènent à deux constats. La société américaine est violente. Son taux d’homicide est de 5,4 homicides par 100 000 habitants alors que les pays hautement industrialisés ont un taux nettement moindre, comme le Canada (1,7), la France (1,4), le Royaume-Uni (1,2) ou l’Australie (0,9). Mais la violence de la société américaine touche de manière disproportionnée les Afro-Américains, ce qui s’explique par des faits historiques comme l’esclavage et des lois racistes, par de l’exclusion, des inégalités sociales et un niveau de pauvreté insensé pour un pays si riche. Le vrai problème actuel est celui des inégalités et de la pauvreté qui amènent une surviolence dans la communauté noire. À cette situation désastreuse, on doit ajouter d’autres facteurs comme la grande accessibilité des armes à feu, le peu de disponibilité de soins médicaux et psychiatriques pour un segment de la population et une surabondance de drogues illicites entraînant plus de 46 000 morts annuellement par overdose.

New York et Chicago

La police est maintenant perçue comme faisant partie du problème et on cherche à limiter son rôle. Or, beaucoup d’études criminologiques montrent que la présence policière agit comme un rempart contre la violence. On explique le miracle new-yorkais, soit de passer de 2605 homicides annuellement (en 1990) à environ 400 aujourd’hui, par des améliorations apportées aux manières de faire de la police. Par exemple, l’utilisation de technologies d’information en temps réel (Compstat) et une police plus intelligente, mais aussi plus proactive.

Un des objectifs opérationnels des policiers fut de réduire les incivilités (itinérance, mendicité, usage de seringues dans la rue) et de tenter de sortir les armes à feu de la rue : tolérance zéro même pour des délits mineurs, interpellations et fouilles (stop and frisk), policiers en civil. Il y a bien sûr eu des bavures policières et des contestations liées à du profilage racial mené par les policiers, mais il faut reconnaître que la situation actuelle est nettement meilleure dans cette grande ville de New York qu’avant pour les Blancs et les Noirs, pour les pauvres et les riches, mais aussi pour les itinérants, les toxicomanes et les vendeurs de drogue. Tout le monde est plus en sécurité.

Chicago, cette autre grande ville américaine, n’a jamais vraiment été capable de faire chuter la violence de manière importante. On remarque une poussée à la hausse aux alentours de 2015 lorsque la ville a pratiquement cessé ses pratiques de stop and frisk, jugées par les tribunaux comme discriminatoires.

Il y a eu près de 500 homicides en 2019 à Chicago (10 fois plus qu’à Montréal), mais les chiffres récents montrent de nouvelles hausses. Le 31 mai 2020 a connu 18 homicides dans cette ville en 24 heures, un record. Le week-end dernier, dans cette seule ville, on a recensé 63 personnes qui ont été atteintes par balles, dont un enfant de 1 an et un autre de 10 ans tués par des balles perdues.

Dans la foulée des protestations récentes visant la police, certaines administrations municipales ont décidé de réduire la police. Le maire de New York vient tout juste de démanteler l’unité de 600 policiers en civils d’une unité anti-crime qui luttaient contre la criminalité dans la rue et les transports publics et cherchaient à désarmer les criminels. On note déjà une hausse de près de 400 % de coups de feu depuis.

Nous pouvons aussi prévoir un retrait des policiers des zones à risque et une hésitation des policiers à intervenir dans des situations potentiellement dangereuses. On ne peut demander à un policier de faire une arrestation risquée (par exemple, un membre de gang potentiellement armé) s’il risque d’être ensuite frappé par la foule présente, d’être accusé de racisme et d’avoir utilisé la force, d’être congédié, etc. Le policier va simplement regarder ailleurs et passer son chemin. C’est ce qui a été appelé l’effet Ferguson d’abord, mais ce sera maintenant l’effet Floyd, soit une explosion de la violence à la suite d’une non-intervention policière dans certains quartiers chauds. Et on peut d’ores et déjà prédire que ce sont les Noirs qui feront les frais de cette explosion de violence. Le seul qui va bénéficier de tous ces désordres urbains est celui qui est à la Maison-Blanche et qui brandira le spectre du chaos pour se faire réélire.

* L’auteur est également chercheur au Centre international de criminologie comparée.

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