La formation sous toutes ses formes

« L’infaillible façon de tuer un homme, c’est d’le payer pour être chômeur », chantait Félix Leclerc. Mais la meilleure façon de lui trouver un boulot décent, c’est de le former, ajouterait-il à son refrain aujourd’hui. Voilà notre plus grand défi pour la dignité, le plein emploi et la croissance.

Le premier ministre François Legault veut plus d’emplois payants pour les Québécois. Peut-être devrait-on commencer par former les travailleurs capables d’occuper les emplois payants déjà disponibles. Aussi, attirer des travailleurs qualifiés de l’étranger, car il en manquera malgré tout.

Les données de mai sur l’emploi sont encourageantes. Peu de personnes ont décroché du marché du travail. Le taux d’emploi est à 96 % du niveau prépandémie. Le déconfinement estival fera reculer le taux de chômage, encore élevé à 6,6 % 1. Le Québec s’en tire mieux que beaucoup d’autres régions.

Mais derrière ces chiffres plutôt rassurants au sortir d’une grave récession, se cachent des déséquilibres sectoriels et structurels qui seront longs à corriger, particulièrement chez les gagne-petit, qui ont été plus nombreux au chômage durant la pandémie de COVID-19, alors qu’on enregistrait des gains d’emplois aux revenus plus élevés.

Les femmes, les jeunes et les minorités visibles sont nettement surreprésentés parmi les faibles salariés qui travaillent souvent dans les secteurs plus durement frappés par le confinement, comme le commerce de détail, la restauration et le tourisme.

À cette iniquité s’ajoute l’incapacité des chômeurs à répondre aux besoins de beaucoup d’employeurs. En mars, le taux de postes vacants affichait 5,1 %. Il est vrai que ce taux anormalement élevé s’explique aussi par le vieillissement de la population, qui se traduit par le départ à la retraite des boomers, et par le récent frein imposé à l’immigration.

À tout moment, de nombreux emplois disparaissent tandis que d’autres voient le jour. La crise que nous traversons accélère ce grand brassage. La numérisation et la robotisation de l’économie détruiront des emplois, souvent abrutissants, mais en créeront d’autres exigeant des compétences accrues.

Requalifier et rehausser les compétences

La nécessaire formation de la main-d’œuvre comprend deux chantiers : requalifier les travailleurs qui quittent un secteur en déclin pour un autre en forte demande et rehausser les compétences de ceux qui sont appelés à des tâches plus complexes au sein d’un même secteur.

La formation s’impose également pour accroître la productivité de nos entreprises, fréquemment inférieure à celle des concurrents étrangers. La formation est aussi essentielle pour offrir les services publics dont on réalise l’importance, plus que jamais. Pensons seulement aux infirmières et aux enseignantes que l’on s’arrache et aux préposés aux bénéficiaires qu’il a fallu former dans l’urgence.

Pour corriger la situation, une étude de l’Institut du Québec recommande entre autres choses d’intégrer les besoins de main-d’œuvre au cœur des stratégies de développement économique, de mieux coordonner les mesures de soutien au revenu et de soutien à la formation, de mieux soutenir les chômeurs les plus vulnérables, et de mieux reconnaître les compétences des immigrants.

On a trop souvent eu des ministres du Travail qui ne sortaient du placard qu’au moment d’un conflit ouvrier. Heureusement, Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, comprend bien tous ces enjeux. Il multiplie les annonces et presse ses collègues à l’économie, aux finances et à l’éducation à coopérer en matière de main-d’œuvre.

Le système d’éducation doit devenir plus agile, offrir des formations sous toutes ses formes, à temps plein ou à temps partiel, de courte ou de longue durée, en classe, en entreprise ou en ligne.

La formation classique sur les bancs d’école n’est pas désuète pour assurer une base solide à la plupart des jeunes, y compris ceux qui poursuivent des études avancées. Mais sa formule actuelle est trop rigide pour ceux qui ont décroché trop tôt, et souvent trop contraignante et mal adaptée aux besoins des employeurs pour la formation continue.

La formation continue doit s’échelonner tout au long de la vie. Malheureusement, c’est beaucoup plus naturel pour ceux qui ont déjà fait de longues études que pour les personnes faiblement scolarisées. D’où l’urgence de récupérer les ados qui ont étudié tout croche durant la pandémie et qui ont perdu le goût de l’école, si on veut éviter un boom du décrochage et ses coûteuses conséquences à long terme.

Un autre groupe qui a besoin d’amour est celui des minorités visibles, qui représentent 13 % de la population du Québec et dont le taux de chômage est de 4,8 points de pourcentage plus élevé que celui des autres Québécois. Les personnes racisées qui travaillent au Canada gagnent moins. Le recensement de 2016 a révélé un revenu de 13 % inférieur au revenu médian. Corriger cette situation est affaire d’équité, mais aussi de croissance économique. RBC évalue que fermer l’écart de revenu entre les minorités visibles et les autres Canadiens ajouterait 30 milliards par an au produit intérieur brut.

Offrir des programmes de formation ne suffit pas pour sortir certaines personnes de la misère. Des organismes communautaires axés sur l’employabilité cherchent une à une ces pommes oubliées au fond du panier, les poquées par la vie qui ont décroché du système et qui survivent tout juste de l’aide sociale. Patiemment, en tenant ces personnes par la main pour qu’elles regagnent confiance, réapprennent comment être en société avant d’apprendre à faire une tâche, si simple soit-elle.

Avec des programmes de formation adaptés aux capacités de chacun, on espère que le plus grand nombre aura la chance de gravir au moins un barreau. Ce qui ferait une place à ceux qui sont encore au pied de l’échelle sociale et qui n’osent même pas lever la tête. Inclusion et croissance économique vont de pair.

1. Quelques définitions : La population active comprend toutes les personnes en âge de travailler qui occupent un emploi ou en sont à la recherche. Le taux d’emploi est le nombre d’emplois divisé par la population en âge de travailler. Le taux de chômage est le nombre de chômeurs divisé par la population active. Le taux de postes vacants est le nombre de postes vacants divisés par le nombre d’emplois et de postes vacants.

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