Un robot aux fourneaux

Conseillé notamment par le sommelier François Chartier, Sony présentera bientôt une intelligence artificielle un peu « comme un sous-chef »

Prenez le géant de l’électronique Sony. Ajoutez-y François Chartier, la gastronomie et un soupçon d’intelligence artificielle (IA). Vous obtenez un « truc de fou », de l’aveu du sommelier québécois et créateur d’harmonies aromatiques. Il concocte depuis 2018 une intelligence artificielle que pourront utiliser les chefs pour améliorer et créer de nouvelles combinaisons culinaires.

M. Chartier, qui vit à Barcelone depuis six ans et reviendra au Québec ce mois-ci pour la première fois en trois ans, présentera le « Sony AI Gastronomy » lors de l’évènement inaugural d’E-AI mardi prochain à midi.

Cet étonnant projet, auquel contribuent plus de 400 personnes chez Sony et pour lequel François Chartier a été nommé conseiller spécial, est préparé sans grande publicité. C’est qu’il n’en était qu’à ses balbutiements, et est entré récemment dans une deuxième phase, celle où une application conviviale pourra être présentée. « C’est Sony : quand ils sont prêts, ils poussent la machine médiatique, explique M. Chartier. Je pense que les chefs vont embarquer. »

Arômes, saisons et couleurs

À la base, il y a une rencontre fortuite en 2017 entre des responsables de Sony, qui souhaite investir dans des projets d’intelligence artificielle, et le sommelier québécois installé à Barcelone. « Ma spécialité, ce n’est pas l’IA, ce sont les arômes, précise-t-il. On le sait peu, mais Sony avait déjà un pied dans la gastronomie : ils ont été les agents pendant 25 ans du chef Joël Robuchon. »

« Ce qu’ils disent, c’est qu’à la base, ils sont là pour aider les artistes, en musique, au cinéma, dans le jeu vidéo. Et les chefs, les gens de la gastronomie, ce sont des artistes. »

– François Chartier

De fil en aiguille, on décide d’intégrer dans une gigantesque base de données toute la science aromatique d’harmonies moléculaires développée dans les livres de François Chartier. Le projet est présenté au tout premier congrès international Science & Cooking, tenu en 2019 à Barcelone, « cette ville qui est devenue la capitale de la gastronomie » grâce à la créativité de ses chefs. Il mènera également une série d’interviews en vidéoconférence avec les plus importants d’entre eux et les fera participer à des essais de cette nouvelle possibilité.

Au-delà des harmonies moléculaires, la base de données s’est enrichie de millions d’autres informations, précise M. Chartier. « C’est encore plus gros : on inclut la géolocalisation, la saison, les couleurs, la texture, les nouvelles techniques, les styles, de Bocuse à ta grand-mère, en passant par le bistrot du coin. »

Après la pandémie

Cette IA, résume-t-il, est « comme un sous-chef, mais de haut niveau, capable de “challenger” le créateur ». Quelques exemples : on lui demande de créer un plat à partir de sauce soja, elle suggère le chocolat. « Le chef change d’idée et veut travailler avec le chocolat, il veut du croquant. Il y a un dialogue. »

Qui, à part François Chartier et son IA, savait que l’algue nori et la framboise partagent les mêmes molécules aromatiques ? « Pourtant, il n’existe aucune recette mariant les deux. Si on les met ensemble, 1 + 1 = 3 ! »

L’IA ne remplacera pas le cuisinier, précise-t-il, mais servira surtout à l’inspirer, à suggérer de nouvelles pistes qu’il pourra suivre ou éviter à sa convenance. Il estime qu’elle arrive à point alors que deux ans de pandémie ont fragilisé ce domaine, ce qu’il a pu constater lors d’une vingtaine d’entrevues sur Zoom avec de grands chefs – et deux producteurs de vin et de saké, en passant.

« Nous voulions capter ce moment de fragilité dans lequel ils étaient à ce moment-là, voir comment les nouvelles technologies pouvaient les aider à être plus créatifs et à sortir du marasme. »

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