Livre Le stress d’une vie

C’est à Montréal qu’est né le stress !

Alternant entre l’écriture scénique et le récit journalistique, Mathieu-Robert Sauvé raconte dans quelles circonstances le concept du stress a été découvert à Montréal par un chercheur venu d'Europe centrale.

Comme de nombreuses percées scientifiques, la découverte du stress est fortuite et découle d’une question d’une étonnante simplicité. Et sans la candeur naïve de la jeunesse, l’endocrinologue Hans Selye aurait pu consacrer sa carrière à un sujet complètement différent. Si le concept est appelé à être défini et documenté à Montréal à partir des années 1930, le premier flash remonte à 1924. L’étudiant en médecine à l’Université Charles, de Prague, n’a alors que 17 ans. Il assiste le professeur Rudolf von Jaksch, chargé d’enseigner les principes du diagnostic. Plongé dans sa clinique où des patients affluent du matin au soir, Hans est intrigué par le fait que les malades ont… l’air malade.

Il va et vient entre le cabinet médical et la salle d’attente, répondant aux besoins de son patron. Il ausculte les patients atteints de maladies infectieuses et fait ses propres observations. « Je regarde mon professeur interroger et examiner chaque malade, raconte Selye au psychiatre François Joachim Beer, en 1975. Il veut découvrir les origines de l’affection et recherche surtout les signes spécifiques. Moi, ce que je vois, c’est un groupe de malades présentant pratiquement les mêmes symptômes : une langue chargée, des troubles gastro-intestinaux, des douleurs articulaires. Ils ont des rougeurs dans la gorge, des éruptions cutanées, de la fièvre, etc. »

Ces symptômes, le professeur von Jaksch les note rapidement dans l’anamnèse, mais il cherche aussi les moyens de guérir ou de soulager l’affection. Il agit comme tout clinicien d’expérience, alors que le jeune Selye, qui regarde les malades avec des yeux neufs, s’en tient à ce qu’il voit, et ce qu’il voit, ce sont des symptômes que présentent la plupart des malades. Même s’il tente de rester discret dans les premiers temps, l’apprenti est convaincu de détenir une piste révolutionnaire pour l’approche thérapeutique. Il rêve déjà à la célébrité qui l’attend, lui, modeste carabin dans un cabinet médical d’Europe de l’Est. Les médecins regardent l’arbre et lui, Hans Selye, voit la forêt !

Le professeur von Jaksch accueille sévèrement son insolence. « Bien sûr que les malades ont l’air malade. Ils SONT malades ! » Que ce blanc-bec se consacre à sa formation et qu’il lui fiche la paix !

Devant cette réaction sans équivoque, Selye tâche d’oublier cette piste. Mais il y reviendra au moment de fonder, à Montréal, l’Institut de médecine et chirurgie expérimentales.

Il faut attendre 1952 pour que le terme « stress » apparaisse de façon claire et nette dans une publication sous la signature de Hans Selye. Il décrit le syndrome général d’adaptation qui s’observe devant un stress : l’alarme, la résistance et l’épuisement.

En réalité, Selye cherche lui-même longtemps un meilleur terme pour définir son précieux syndrome. « Je me souviendrai toujours de la première année où j’ai enseigné à l’Université de Montréal en 1945, et où j’ai dû me servir du mot “stress”. Ce fut un tollé général. Je fus fortement critiqué pour l’emploi d’un anglicisme que l’on disait être de mauvais aloi », écrit-il dans un de ses 39 livres, Le stress de ma vie.

Quoi qu’il en soit, le néologisme convient assurément, puisqu’il est associé à la tension induite par une force extérieure. À partir de ce moment, le DSelye n’a plus aucun scrupule à utiliser le terme non seulement en anglais mais aussi en français. Il en rajoute avec « der Stress » devant des auditoires germaniques ; « lo stress » pour les italophones et « o stress » pour les hispanophones.

Hans Selye est-il l’auteur de la plus importante découverte médicale de l’histoire canadienne ? Certains le pensent. Le stress et le syndrome d’adaptation sont des concepts encore très utilisés de nos jours tant en médecine que dans de multiples secteurs de la santé.

Quand on regarde le nombre de citations que Selye continue de générer dans des sites qui répertorient les références aux publications les plus populaires, on mesure la modernité de ses recherches. L’article de Nature qui marque l’acte de naissance du concept de stress – même si le mot n’y figure pas – récolte plus de 4700 citations, et il date de 1936. Avec un total de près de 37 000 citations sur le Web of Science, Selye demeure, encore aujourd’hui, le chercheur en santé le plus cité du Canada.

Qui sont les autres véritables génies de la médecine à avoir fait carrière au Canada ? John Alexander Hopps, qui a mis au point le stimulateur cardiaque (pacemaker) vers 1951 ? Wilder Penfield, qui a imaginé un traitement de l’épilepsie vers 1934 ? Hiller et Phebus, codécouvreurs du microscope à électron au début de la Seconde Guerre mondiale ? Ou le DParker, qui a signé un traitement contre la polio vers 1945 ? Ces hommes de science ont été de fameux chercheurs, mais dans des domaines bien précis ; aucun n’a eu l’impact « transversal » du DSelye.

Quand on répertorie les langues qui ont adopté le mot « stress » dans sa graphie originale ou presque (on relève ici et là « stres » avec un seul s), on admet son acception universelle. On parle de stress en albanais, allemand, bosniaque, croate, danois, italien, ouzbek, roumain, slovaque, slovène, tagalog, tchèque, turc… Dans de nombreux autres groupes linguistiques, le stress n’est pas moins une réalité.

Sans être ignoré de l’histoire des sciences, Selye mérite une bien meilleure visibilité.

Le stress d’une vie

L’étonnant parcours du DHans Selye, découvreur du stress

Mathieu-Robert Sauvé

Éditions MultiMondes, 2021

272 pages

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