Diversité, équité et inclusion

Mode passagère ou engagements concrets ?

Les postes en diversité, équité et inclusion se multiplient depuis un an dans les entreprises et organismes. Personne n’est contre la vertu, mais avec un tel engouement, il y a lieu de se demander si c’est une mode passagère ou une question d’image et de relations publiques.

UN DOSSIER D'ISABELLE DUBÉ

Diversité, équité et inclusion

Un virage payant

Il suffit de faire quelques recherches sur les sites d’offres d’emploi pour constater que nombre de postes de directeur/directrice ou de conseiller/conseillère en diversité, équité et inclusion (DEI) sont actuellement à pourvoir. Pourquoi autant d’engouement maintenant ?

« Je crois qu’on est passé à une autre étape dans le fonctionnement des entreprises », affirme Dahlia Jiwan, conseillère en diversité, équité et inclusion au sein de la Guilde du jeu vidéo. « Les dirigeants le voient. Quand on investit dans la diversité et l’inclusion, c’est payant, on comble les angles morts et on est plus productif. Les employés de toutes les générations le disent aussi que d’avoir un environnement inclusif fait en sorte qu’ils se sentent plus motivés, qu’ils s’investissent plus dans leurs tâches et ont envie d’appartenir à l’entreprise », explique la jeune femme, qui est arrivée en poste il y a quelques mois dans une industrie où la partie n’est pas encore gagnée.

Il y a aussi une conscience sociale déclenchée par les évènements récents, croient la conseillère et les experts que La Presse a consultés. Que ce soit George Floyd, Joyce Echaquan, le mouvement #moiaussi ou les nombreux cas médiatisés de harcèlement.

« Ça a provoqué des changements au sein des organisations, constate Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. La pénurie de main-d’œuvre avait déjà créé une ouverture à des bassins sous-représentés dans les organisations, mais je pense que le contexte de la dernière année a joué. »

Acteur de changement recherché

La Caisse de dépôt et placement du Québec fait partie des organisations qui ont créé un nouveau poste de directeur/directrice, et elle cherche à le pourvoir. La Caisse dit vouloir plus de diversité et d’inclusion au sein de ses équipes, faire la promotion de ces valeurs dans le secteur de l’investissement et de la finance, où il reste beaucoup à faire, et dans ses sociétés en portefeuille.

« [Quand on va les rencontrer], on leur dit : “Vous devez faire preuve d’une plus grande ouverture et avoir plus de diversité au sein de la société” », explique au téléphone Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe des placements au Québec et de l’investissement durable. « On doit nous-mêmes être bon élève avant d’aller nous-mêmes donner des conseils à d’autres. »

La société de gestion de placements indépendante Fiera Capital cherche aussi à pourvoir son nouveau poste de directeur/directrice. « Les leaders et les employés sont animés par la diversité, l’équité et l’inclusion, et on s’est dit qu’on avait besoin de quelqu’un qui se lève le matin en pensant au DEI et qui se couche en pensant au DEI. On veut être un acteur de changement », indique en entrevue Lyne Lamothe, cheffe mondiale des ressources humaines, qui croit fermement qu’avec des équipes diversifiées, « on va pouvoir s’éduquer entre nous ».

Gare aux lunettes roses

Bien que les entreprises et organisations aient de bonnes intentions, les études démontrent que la haute direction doit être directement engagée dans le processus de changement pour obtenir des résultats concrets, soulève Marie-Thérèse Chicha, économiste et professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

« Il faut que les grades supérieurs soient tenus responsables des résultats de ce programme d’équité, que cela fasse partie de leur évaluation de rendement, ils doivent rendre des comptes et avoir à expliquer pourquoi aucune minorité visible n’a été embauchée, si tel est le cas. »

— Marie-Thérèse Chicha, économiste et professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

D’autres études révèlent qu’il y a une amélioration de la diversité si les entreprises sont soumises à des sanctions et que les sanctions sont appliquées, indique-t-elle.

« Tant qu’il n’y aura pas d’obligation légale avec des sanctions appliquées, je pense qu’on ne va pas progresser », lance la chercheuse, qui a agi à titre d’experte en matière de politique d’égalité pour des gouvernements européens, américains et canadiens.

À Radio-Canada, où l’ancienne ministre Yolande James a été nommée le 2 juin directrice générale de la diversité et de l’inclusion, les cadres sont responsables et les cibles à atteindre sont claires, indique au téléphone le vice-président principal des services français, Michel Bissonnette.

« Pour cette année, 22 % des embauches doivent être des gens issus de la diversité. Si on n’atteint pas le 22 %, ça affecte la bonification de tous les cadres dans l’entreprise », explique le vice-président, qui souhaitait que le poste de directrice de la diversité relève de lui plutôt que des ressources humaines, pour envoyer le message que c’était « une priorité prioritaire ».

« C’est parce qu’il y a des cibles qui ont été mises en place qu’on est arrivés aujourd’hui à une situation d’équité hommes-femmes, et si on ne se fixe pas des cibles, si on ne se donne pas des objectifs, on ne réussira jamais à changer la donne. »

Une cible sera aussi appliquée à chaque production externe, où l’un des postes clés (auteur, réalisateur, producteur, premier rôle) devra être occupé par une personne issue de la diversité.

Diversité, équité et inclusion

Une volonté évidente des entreprises

L’engouement pour les postes de directeur/directrice ou de conseiller/conseillère en diversité, équité et inclusion (DEI) ne se dément pas. Et toutes les entreprises et organisations jointes par La Presse assurent qu’il ne s’agit pas d’une mode passagère.

« Pas du tout, mon Dieu, ça fait partie de nos convictions », soutient Kim Thomassin, de la Caisse de dépôt.

La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Manon Poirier, apporte certaines nuances. « C’est sûr qu’il y a certaines organisations qui vont suivre la tendance, le rythme du moment. Est-ce que c’est juste une stratégie de relations publiques ? Pour certaines, c’est possible, mais si c’est le cas, c’est très dangereux, parce que si ce n’est pas authentique, si ce n’est pas appuyé et mesuré à l’interne, les premiers détracteurs seront les employés de cette organisation. »

« Je pense que certaines organisations sont peut-être sensibilisées par le mouvement actuel, mais ont vraiment envie de changer la donne. »

— Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

De son côté, la spécialiste Marie-Thérèse Chicha croit qu’il y a des façons plus efficaces de faire avancer la diversité dans les organisations.

« Les programmes d’accès à l’égalité, c’est vraiment l’outil le plus approprié pour faire avancer les choses. La diversité est utilisée aujourd’hui pour contourner ces programmes qui ne sont pas obligatoires pour les entreprises privées, sauf quelques-unes. »

Un concept de longue date

Si l’engouement est bien actuel, les initiatives pour la diversité et l’inclusion ont commencé aussi loin que dans les années 1970 aux États-Unis. Ici, au Canada, deux lois sont toujours en vigueur au fédéral et au provincial.

Depuis 1996, au fédéral, le Programme légiféré d’équité en matière d’emploi (PLEME), en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, vise à améliorer l’équité en matière d’emploi des femmes, des autochtones, des personnes handicapées et des minorités visibles.

Les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale, les sociétés d’État et les autres organismes fédéraux qui comptent 100 employés ou plus doivent faire en sorte que la composition du personnel corresponde à celle de la population active en général au Canada. Au Québec, depuis 2000, il y a la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics.

À la Commission de la construction du Québec (CCQ), où on cherche un chef de section diversité et innovation sociale, qui aura notamment un rôle de soutien aux personnes sous-représentées dans l’industrie (femmes, Premières Nations, Inuits et immigrants), on précise que des postes similaires existaient déjà en 2003 et en 2013.

« Qu’il y ait ou non pénurie dans la construction, on est inscrits dans cette visée-là depuis longtemps, affirme Isabelle Blais, vice-présidente, soutien à la gouvernance. Il y a d’ailleurs de grandes réalisations de ces équipes, qui ont piloté certaines modifications réglementaires, par exemple pour un accès simplifié aux certificats de compétences pour une femme qui est diplômée. »

De son côté, la Banque Nationale a toujours eu, depuis 30 ans, ce type de poste au sein des ressources humaines, en plus d’avoir des gestionnaires mandatés pour bâtir des équipes diversifiées. L’institution se démarque en mesurant en continu les effets de ses mesures.

« On mesure autant l’aspect représentativité que le volet inclusion, explique au téléphone Lucie Houle, vice-présidente, culture et talent. Est-ce que je sens que je peux me réaliser pleinement, est-ce que je suis aussi à l’aise, comment je perçois les relations ? On propose des solutions et on remesure pour voir si la solution proposée a permis d’avancer. »

Après deux décennies d’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics au Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse note peu de progrès dans la représentation des personnes autochtones, des minorités visibles, des minorités ethniques et des personnes handicapées, notamment dans son dernier rapport publié en juin au sujet des personnes handicapées. Leur taux de représentation se situe aux alentours de 1 % depuis plus de 15 ans, alors que la cible est de 10,5 %.

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