Budget militaire aux États-Unis

Peu de mesures pour se séparer du pétrole

Il y a quelques jours, à la fin de décembre, sans tambour ni trompette, le président des États-Unis signait la loi autorisant le budget annuel de son armée, soit quelque 777,7 milliards de dollars américains.

Le budget de l’armée américaine est vraiment dans une classe à part : il équivaut au montant total combiné des 11 autres pays qui le suivent en termes de dépenses militaires. ⁠1

Pourtant, dans ce budget bien gras, on ne décode rien de très ambitieux pour réduire la dépendance centenaire de l’armée américaine envers le pétrole. Ce n’est pas anodin. À elle seule, l’armée américaine est l’organisation qui consomme le plus de pétrole au monde. Elle accapare presque 80 % du carburant de tout l’appareil fédéral.

Ses besoins annuels s’élèvent à 100 millions de barils, soit l’équivalent de la consommation de pétrole d’une journée dans toute la planète.

Elle est aussi un très gros émetteur de gaz à effet de serre : plus que des pays entiers, comme le Danemark, la Suède, voire plus que toute l’industrie américaine de fer et d’acier. ⁠2

Une relation parsemée de conflits

L’accès à un pétrole abondant et de manière continue joue un rôle déterminant dans la politique étrangère des États-Unis. Au cours des deux guerres mondiales du XXe siècle (1914-1918 ; 1939-1945), ce sont les Américains qui ont fourni la grande partie du carburant aux troupes alliées, contribuant fortement à leur victoire.

Les Américains eux-mêmes ont entrepris deux guerres liées au pétrole. Soit en Irak, en 1991, pour forcer le retrait des troupes irakiennes ayant envahi le Koweït, car cela aurait signifié une mainmise trop grande de ce pays, à l’époque hostile aux États-Unis, sur la production mondiale de pétrole.

L’autre guerre s’est faite dans le même pays, en 2003, sous des prétextes douteux (la présence d’armes de destruction massive, jamais trouvées). À terme, cela a abouti au retour du pétrole irakien sur le marché mondial, et aussi à celui de l’industrie pétrolière américaine et occidentale dans ce pays.

La relation étroite entre les États-Unis et le pétrole se manifeste à bien d’autres niveaux : par exemple, le lien stratégique avec l’Arabie saoudite et la présence de troupes américaines au Moyen-Orient.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ayant pris la mesure de l’importance économique et militaire du pétrole, les Américains scellent avec les Saoudiens une entente lui assurant un flot ininterrompu de leur pétrole contre la protection du régime. Les Saoudiens disposent de réserves immenses et les moins chères à exploiter.

Service de protection mondial

Enfin, l’armée américaine agit, depuis des décennies, comme un service de protection mondial du pétrole. Grâce à ses bases au Moyen-Orient, elle veille à la bonne circulation des navires pétroliers, notamment dans le détroit d’Ormuz, contre de possibles actions hostiles, nommément de l’Iran.

Cette présence militaire de grande envergure découle de la doctrine Carter (1980), du nom du président américain de l’époque, Jimmy Carter. Elle a été émise à la suite de la Révolution iranienne, pays grand producteur d’or noir ayant basculé dans le camp ennemi, et de l’invasion soviétique en Afghanistan (1979).

La doctrine Carter, toujours en cours, fait de la sécurité des routes de transport maritimes de pétrole dans cette région et celle des pays producteurs alliés un « intérêt stratégique vital » des États-Unis, passible de représailles militaires.

On a aussi mis en place ces mêmes années une réserve stratégique de pétrole, dont l’inventaire atteint présentement presque 600 millions de barils.

Le changement, pas pour demain

Certes, dans ses documents officiels, l’armée américaine reconnaît d’emblée la réalité du réchauffement climatique, et ses implications géopolitiques, notamment par l’instabilité grandissante que cela risque de susciter dans diverses parties du monde. Elle semble agir pour intégrer les risques climatiques dans ses opérations, afin d’y apporter des mesures de mitigation et de résilience. Mais rien de concret n’émerge pour réduire significativement sa propre consommation de pétrole.

Le véritable changement, voire une révolution historique, serait le détachement progressif de l’armée américaine de cette dépendance au pétrole.

Les États-Unis y gagneraient grandement : par la réduction de leurs émissions certes, mais aussi par la fin de leur addiction envers une ressource qui monopolise des milliards de dollars depuis des décennies aux fins d’en assurer un approvisionnement fiable.

En fait, le jour où cette armée estimera pouvoir mener des opérations d’envergure sans pétrole, avec des technologies non émettrices, ce sera, ni plus ni moins, que l’aboutissement de la transition énergétique que nous cherchons tous à accomplir.

1. Consultez les données de la Peter G. Peterson Foundation (en anglais)

2. Lisez le document « Pentagon Fuel Use, Climate Change, and the Costs of War » (en anglais)

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