Vaccination contre la COVID-19 non obligatoire

« Un véritable casse-tête pour les employeurs »

Le président Biden a levé le ton jeudi dernier. Il a répété que le 4 janvier 2022, tous les employés d’entreprises de plus de 100 personnes, de sous-traitants d’agences fédérales et les travailleurs du milieu médical devront être pleinement vaccinés. Autrement, ils devront se faire tester contre la COVID-19 religieusement.

La mesure, qui touche des millions d’Américains hésitant à lever leur manche ou qui s’y opposent, a toutefois rapidement été suspendue par une cour d’appel fédérale le temps qu’on analyse s’il y a « de sérieux problèmes constitutionnel et procéduraux » avec celle-ci.

Mais « abus de pouvoir inconstitutionnel » ou pas, des United Airlines (67 000 salariés aux États-Unis), Tyson Foods (120 000) et autres Ford (32 000) n’ont pas attendu que la justice s’en mêle avant d’obliger leurs employés à se faire vacciner. En septembre, la direction de United Airlines se réjouissait que 97 % de sa force de travail soit vaccinée, même si six salariés qui ont eu des exemptions ont intenté des poursuites contre la compagnie aérienne après avoir été mis en congé sans solde, a rapporté le New York Times.

Au Québec, le fait que le gouvernement Legault ait reculé sur la vaccination obligatoire dans le milieu de la santé génère bien des questions et inquiétudes chez les employeurs qui se sentent laissés à eux-mêmes. « On laisse la responsabilité sur leur dos, alors qu’avec l’urgence sanitaire, il peut revenir au gouvernement d’imposer la vaccination », estime Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ).

La pénurie de main-d’œuvre criante joue sur les décisions à prendre. « C’est le cœur du problème, clame Karl Blackburn. C’est à cause de celle-ci que le gouvernement a décidé de ne pas imposer la vaccination. Ça ne facilite pas la vie des employeurs. C’est une responsabilité très lourde et ça va complexifier leur situation. Que faire avec un employé qui ne veut pas se faire vacciner ? On va probablement arriver à des batailles juridiques. »

Depuis des mois, des employeurs craignent une résistance des employés, note MMarie-Hélène Jetté. « Plus d’employeurs auraient la ligne dure si on n’était pas en période de pénurie de main-d’œuvre », dit l’avocate associée, responsable du groupe droit du travail et de l’emploi de la firme Langlois Avocats.

Cela dit, ce recul touchant le secteur public ne risque pas d’avoir d’effets directs dans le secteur privé, croit-elle. « Depuis longtemps, les milieux privés ne se collent pas forcément aux règles du secteur public, dit-elle. Et ce, à tous les égards. »

Le fait que le gouvernement Legault ait dit qu’il fallait se faire vacciner d’ici au 15 octobre, puis au 15 novembre, aurait tout de même fait bouger bien des salariés du privé. « Dans certains secteurs, c’est plus organisé, note Katherine Poirier, avocate en droit du travail et de l’emploi de la firme BLG. Des concierges, coiffeuses, cuisiniers, chauffeurs d’autobus et autres sous-traitants se disent : “Ça va de soi, car je vais entrer dans un établissement de santé.” »

Zone grise

Depuis des mois, les directions voguent néanmoins en zone grise. D’un côté plane l’ombre des droits individuels, et de l’autre, l’ombre du droit à un environnement de travail sain et sécuritaire. « Il y a des situations liées à la santé ou à la religion, dit MJetté. Mais la CNESST depuis 15 ans tape sur les doigts des employeurs en disant qu’ils doivent assurer des environnements sains et sécuritaires. »

« Par ailleurs, la CNESST n’a pas voulu prendre position, ajoute MPoirier. On n’a pas de guide clair par secteur. Ce sont donc les avocats qui guident les employeurs là-dedans. »

GSoft a trouvé une situation limitant les ambiguïtés, la grogne et les craintes. Ses 275 employés ne sont pas obligés d’entrer au travail. Jamais. Mais s’ils décident d’y aller, ils doivent se plier à une série de mesures : port du masque médical, distanciation, questionnaire à remplir le jour même de leur venue, limite de personnes par salle fermée… La vaccination n’a jamais été obligatoire non plus. « Le lieu de travail n’a pas d’importance, dit Kahina Ouerdane, cheffe, culture et organisation, de l’entreprise de logiciels. Notre bureau est devenu un espace de coworking. Et il est énorme : 85 000 pi2. On a ce luxe. On s’est demandé : est-ce qu’il y a des mesures qu’on peut apporter sans qu’elles soient attentatoires ? En imposant la vaccination, certains pourraient demander des recours ou dire : “Ma liberté, mon choix.” Jusqu’à présent, tout va bien. »

« Il peut y avoir des menaces contre les employeurs, individuelles et collectives, indique MPoirier. Devoir être vacciné peut être considéré comme une exigence démesurée par les employés. » Cela dit, ceux qui se braquent ne seraient pas nombreux. « Chez nos clients, une grande majorité d’employés sont vaccinés, affirme-t-elle. Très peu ou pas de récalcitrants. »

Ça allège la pression au moment où un nombre croissant d’employeurs encouragent le retour au travail en présentiel. « On voit une tendance à être plus vaccinés dans les entreprises qui sont en télétravail, note MJetté. Certains employés, habitués de travailler à distance, commencent à dire : je ne reviens pas à côté d’un collègue non vacciné. »

Des solutions

Que faire quand des directions se cognent à des employés qui ne souhaitent pas se faire vacciner ? Est-ce qu’on leur permet de travailler de la maison ? Si oui, qu’est-ce que ça envoie comme message ? « Je demande à l’employeur : est-ce que cette personne a de vrais problèmes de santé ? répond MJetté. Si oui, il doit l’accommoder. Mais pour ceux qui clament “mon corps, mon choix”, l’employeur peut dire : “Je respecte l’intégrité de ton corps, mais tu dois rester chez toi.” On pourrait alors les mettre en absence administrative sans solde. Un congédiement est drastique. On s’attire des recours. Et un congé peut causer des problèmes à tous, faire perdre de l’argent. C’est un véritable casse-tête pour les employeurs. Et même avant le recul du gouvernement, c’en était un. »

« Ce n’est pas évident, confirme Kahina Ouerdane. Toutes les organisations naviguent avec des inconnues. On ne peut se ranger derrière quelque chose de concret. Ça demande du courage pour prendre des décisions dans une période d’ambiguïtés et d’incertitudes. »

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