Chronique

Confidences de voisins

« J’ai dû faire mes adieux à mon quartier parce que la nouvelle propriétaire voulait augmenter les loyers. J’avais le cancer, à ce moment-là. Mettons que recevoir une lettre à l’hôpital comme quoi on est évincé, c’est assez dur à vivre... Tout le bonheur, toute la beauté de mon quartier, toute la beauté des gens qui y habitent ; je vais vraiment m’ennuyer de mon village. »

La femme qui témoigne à la caméra combat les larmes. À la question : « Quel a été l’adieu le plus marquant de votre vie ? », c’est la perte de sa maison qui lui est venue à l’esprit. Sa maison, c’était son monde.

Dans ce même épisode de la websérie Chroniques de la vie ordinaire, trois autres résidants du quartier Centre-Sud se livrent. Une dame raconte le dernier au revoir de sa conjointe, qui a bénéficié de l’aide médicale à mourir ; un homme souligne la mort de sa mère de 96 ans ; un autre se rappelle l’ultime visite qu’il a rendue à sa grand-mère, au Maroc.

En quatre minutes, ce qui n’était qu’un quartier porte maintenant un visage. (Un visage dont on a envie de sécher les larmes.)

La série est diffusée à TV5 unis et se décline en 10 épisodes. Dans chacun d’eux, quelques résidants d’un quartier donné de Montréal défilent dans un photomaton pour répondre à une grosse question. Quelles pensées les tiennent éveillés, la nuit ? Quel est le meilleur conseil qu’ils ont reçu ? Et les mensonges qu’ils se racontent le plus souvent ?

C’est d’une tendresse fulgurante.

L’idée est née d’une soif de rencontre en pleine pandémie, m’a expliqué la réalisatrice Amélie Hardy.

« J’avais envie de créer un moment de partage. D’offrir un espace de parole pour découvrir les histoires avec lesquelles les gens vivent en secret. Parce que les histoires racontées sont très spécifiques, mais on peut souvent se reconnaître en elles... »

— Amélie Hardy, réalisatrice

(Parmi les expériences nommées dans la série, citons : grandir dans un culte, dire adieu à l’amour de sa vie pour des questions d’immigration, se réapproprier son quartier après y avoir subi un viol, se retrouver dans une séance photo érotique avec son meilleur ami ou encore être tanné d’aider nos parents qui ne comprennent absolument rien à Facebook... On finit effectivement par se reconnaître quelque part.)

Pour briser l’isolement, donc, la réalisatrice s’est intéressée à une dizaine de quartiers montréalais. Elle a préalablement choisi une question pour chacun d’eux en prenant bien soin d’éviter les lieux communs. Plutôt que de parler de résilience ou de précarité avec les résidants de Montréal-Nord, elle leur a demandé quelle était leur plus belle histoire d’amour, par exemple.

Et comment ont été recrutés les candidats ?

Amélie Hardy m’explique qu’une formidable recherchiste a rejoint des groupes virtuels, participé à une pléthore d’évènements de quartier et sillonné les parcs de la métropole. Autrement dit : elle a abordé de parfaits inconnus pour leur poser des questions qu’on n’aborde généralement que dans son journal intime. (Salutations aux habitants de Verdun qui lui ont révélé ce qu’ils souhaitaient se faire pardonner...)

« Elle a trouvé tellement de monde, ajoute la réalisatrice avec une pointe d’étonnement. C’est comme si les gens voulaient se raconter ! Comme s’ils avaient un besoin de connexion. »

Un besoin qui se comprend, si vous voulez mon avis.

En fait, se connecter à ses voisins est bien moins banal qu’on pourrait le croire.

En écoutant la femme évincée de son logement du Centre-Sud, on réalise qu’à la seconde où on se lie aux gens qui nous entourent, les murs de notre maison disparaissent. Les frontières s’éloignent, notre foyer devient un quartier.

D’ailleurs, à la question « De quoi avez-vous besoin de vous séparer ? », une autre participante de la série a répondu : « De la nostalgie des vies passées, des quartiers passés. »

Un quartier comme une vie.

À quel point nos voisins peuvent-ils donc nous transformer ?

Selon Pierre Boyer-Mercier, professeur à l’École d’architecture de l’Université de Montréal qui s’intéresse tout particulièrement à la sociologie des rapports de voisinage, « quand on dit voisins, on dit aussi communauté. On dit rapport à la rue où s’établissent des liens entre les gens. Ces liens influencent notre mode de vie en créant un sens d’appartenance, un sens de responsabilité vis-à-vis des voisins, un sens de participation et de civilité ».

Prendre racine dans un quartier, c’est s’inscrire dans son écosystème et se laisser nourrir par ceux qui l’habitent. C’est s’intéresser à la communauté. C’est précisément ce que propose Chroniques de la vie ordinaire, en fait...

Est-ce donc dire qu’on devrait cogner à la porte d’à côté pour balancer des questions archiprofondes à la personne qui répond ?

Étonnamment, Amélie Hardy ne trouve pas mon idée complètement niaiseuse. « Ces questions génèrent un contact intègre ! Quelque chose de vrai s’installe, dès le début de la discussion. Et c’est surprenant comme les gens sont ouverts à ce type de rencontre... Peut-être même plus qu’au small talk ! »

« Avec la pandémie, on a un peu perdu l’habitude des discussions futiles. Profitons-en pour apprendre à vraiment connaître nos voisins ! Demandons-leur quels sont leurs rêves ou ce qui les anime... »

— Amélie Hardy, réalisatrice

Si l’entreprise vous paraît intimidante, dites-vous qu’en choisissant votre maison, vous avez intégré malgré vous tout un réseau d’histoires qui façonnent votre quartier. Qui, d’une certaine manière, influencent votre quotidien... Aussi bien savoir ce qu’elles cachent, non ?

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