télévision 50e anniversaire de télé-québec

Depuis un demi-siècle, la chaîne publique Télé-Québec a surmonté bien des tempêtes. Il importe qu’elle continue sa mission avec fierté et liberté, expliquent nos chroniqueurs.

Chronique

Vive la télévision libre

Je me suis pointé à Télé-Québec mardi matin, vers 10 h 30. À part le gardien de sécurité perdu derrière son immense bureau, il n’y avait pas un chat dans le hall. Même la cafétéria, qui donne sur l’entrée principale, était complètement vide. Ce tableau n’avait rien à voir avec le grouillant rez-de-chaussée de Radio-Canada, qui donne parfois l’impression au visiteur d’être au complexe Desjardins.

Difficile d’imaginer que près de 170 personnes travaillent au 1000, rue Fullum, le siège social de Télé-Québec depuis 1969. Si les studios, situés au sous-sol, ont été pendant de nombreuses années utilisés pour les productions maison, ils sont aujourd’hui vacants. Ils sont loués ou prêtés à des boîtes qui produisent des émissions pour l’unique chaîne publique québécoise. C’est le cas de Cochon dingue, Génial ! et C’est la faute aux médias.

En attendant que Marie Collin, présidente-directrice générale de Télé-Québec, vienne à ma rencontre, j’ai regardé les présentoirs vitrés remplis de trophées et d’objets témoignant de la gloire de certaines émissions mythiques de cette télévision qui célèbre cette semaine son 50e anniversaire. Un jeu du Club des 100 watts, de la vaisselle de Parler pour parler… J’ai aussi vu le premier logo de cette télévision, au temps où elle s’appelait Radio-Québec, au temps où les émissions étaient présentées en circuit fermé dans les écoles (Les Oraliens, Les 100 tours de Centour), au temps où il fallait avoir la roulette UHF pour la capter.

Longtemps, il y a eu des barrières techniques entre le public et Télé-Québec. Il fallait les franchir pour être récompensé. Et aujourd’hui, alors que cette télévision est facilement accessible, la barrière prend une autre forme : la concurrence féroce et diversifiée des nombreuses autres chaînes francophones qui sont nées au cours des dernières années. Malgré cela, Marie Collin garde le cap et poursuit la double mission que Télé-Québec a toujours respectée : éduquer et propager la culture.

« C’est sûr que ça complique les choses, me dit-elle. Mais en même temps, il y a peu de chaînes qui mettent autant d’efforts que nous sur la jeunesse, le documentaire et la culture. Tout cela n’est pas “payant” pour les autres. Mais pour nous, c’est capital. »

Au cours de notre entretien, Marie Collin insistera beaucoup sur l’audace qui, selon elle, caractérise Télé-Québec. Elle parlera même du travail d’ancrage de la culture québécoise que fait Télé-Québec auprès des tout-petits.

« De nos jours, les enfants sont à un clic de Disney. Nous avons une responsabilité envers les enfants afin de leur faire découvrir la culture francophone québécoise. Pour ce qui est des adultes, il faut leur offrir du contenu audacieux qui va stimuler leurs réflexions. »

— Marie Collin, PDG de Télé-Québec

Télé-Québec relève du ministère de la Culture et des Communications. J’aborde avec Marie Collin la question de l’obligation de performance. Est-ce que les membres de son conseil d’administration ou les hauts fonctionnaires de ce ministère regardent les cotes d’écoute des émissions produites à même l’enveloppe budgétaire d’une cinquantaine de millions de dollars remise annuellement à Télé-Québec ?

« Il y a cinq ans, la part de marché de Télé-Québec était de 3 %. Elle est maintenant de 3,9 %. Pour ce qui est des enfants, nous sommes à 23 %. C’est sûr que si on descendait plus bas que 3 %, on m’en parlerait. Pour le reste, je n’ai pas de pression. »

Pression ou pas, les émissions les plus regardées à Télé-Québec dépassent rarement la barre des 250 000 téléspectateurs. J’imagine que Marie Collin, qui a connu l’univers de la télévision privée, rêve la nuit à des chiffres se rapprochant davantage des 800 000 téléspectateurs. « En fait, je rêve surtout de pertinence. Cela dit, pour atteindre 800 000 téléspectateurs, il faudrait avoir des investissements plus importants. »

Télé-Québec n’utilise plus le slogan « L’autre télévision » depuis fort longtemps. Cela différenciait la chaîne publique québécoise de Radio-Canada et de Télé-Métropole. Je demande à Marie Collin si elle croit que Télé-Québec est maintenant la seule télévision encore entièrement libre au Québec. « Entièrement libre, je ne sais pas. Mais je sais que les gens qui nous regardent ont le sentiment d’être ailleurs. Ça, c’est important pour nous. »

Des 53 millions versés annuellement à Télé-Québec, un peu plus de 50 % sont consacrés à la production et à la création. Le reste va au fonctionnement et au salaire des 215 employés de cette chaîne, dont 45 évoluent dans 10 bureaux régionaux. Cette présence régionale est notamment assurée par La fabrique culturelle, un programme qui permet la promotion de la vie culturelle partout au Québec.

Précisons que 25 % du budget total de Télé-Québec provient des revenus publicitaires. « Nos revenus publicitaires ont augmenté depuis quelques années. Et ça, je ne pourrai plus m’en passer », dit Marie Collin.

Au printemps 2019, Télé-Québec va quitter le 1000, rue Fullum pour s’installer dans l’édifice historique Au-pied-du-Courant en compagnie de la SODEC. La chaîne ne disposera plus de studios, mais va économiser en frais de location puisque le bâtiment est la propriété du gouvernement du Québec (Télé-Québec devait également payer les frais d’entretien du 1000, rue Fullum).

Cinquante ans après sa création et après avoir traversé plusieurs tempêtes, Télé-Québec s’installe près du fleuve Saint-Laurent afin de poursuivre sa quête et sa mission. Souhaitons-lui des vents cléments et des flots tranquilles.

Chronique

Cinquante ans et toujours vivante

Le mardi 30 juin 1998, ma chronique sur Télé-Québec a pour titre : « Télé-Québec, la dernière chance ».

J’y écris : « Une chose est devenue douloureusement claire : c’est cette année que ça passe ou que ça casse. Si la chaîne ne réussit pas à remonter la pente et à faire augmenter sa désastreuse part de marché de 1 %, ce sera la fin des haricots, pour ne pas dire la concrétisation d’une mort mille fois annoncée. »

Vingt ans plus tard, je me rends compte que j’avais sous-estimé la force, sinon la faculté de survie et de résilience de la chaîne qui est née sur papier, il y a exactement 50 ans, jour pour jour.

Oui, Télé-Québec est toujours vivante, mais elle a souvent été à l’agonie, ses parts de marché réduites à presque néant, son identité ambiguë en perpétuel questionnement dans un paysage télévisuel de plus en plus fragmenté et de plus en plus compétitif.

Coupes massives et réduction de personnel en 1995 et en 2005, démissions, congédiements, restructuration : la vie de Télé-Québec n’a pas été un fleuve tranquille. Par moments, Télé-Québec a ressemblé à un paquebot malmené par des vagues de 20 mètres et menaçant à tout moment de couler comme le Titanic.

Pourtant, nous voilà à fêter la naissance d’une télé publique qui a pris son réel envol non pas en 1968, mais en 1979 avec le slogan « L’autre télévision », propulsée par une programmation quotidienne complète et l’arrivée massive de vedettes des autres chaînes comme Pierre Nadeau, Simon Durivage, Claire Lamarche et Janette Bertrand, attirées par des promesses de nouveauté, de liberté, et par l’espoir, avec ce véhicule 100 % québécois (et francophone), de faire de la télé autrement.

Autant dire que les 10 premières années de « l’autre télévision » ont été marquantes, innovantes et couronnées de succès. 

Pendant cet âge d’or, Droit de parole, diffusé le vendredi soir et animé tour à tour par Jean Cournoyer et Matthias Rioux, puis par Claire Lamarche, Michel Viens, Pierre Paquette et enfin par Anne-Marie Dussault, avait des cotes d’écoute qui dépassaient parfois le million. Télé-Service, la première émission de service qui a malheureusement inspiré le déluge d’émissions de rénovation de Canal Vie, allait chercher quotidiennement entre 600 000 et 800 000 téléspectateurs. 

Télé-Québec a lancé la première émission de cuisine délinquante et décomplexée (et Josée di Stasio) avec Ciel ! mon Pinard. La chaîne a été la gardienne attitrée de plusieurs générations d’enfants nourris au petit lait des Oraliens, des 100 tours de Centour et à la rectitude politique de Passe-Partout.

Télé-Québec a été un formidable instrument d’intervention sociale pour Janette Bertrand qui s’y est affranchie et épanouie comme communicatrice et comme auteure. Et musicalement, avec des émissions comme Station soleil, Beau et chaud et Belle et bum, Télé-Québec a été à la fois une pépinière de talent et un tremplin pour une multitude de musiciens québécois, mais aussi pour une foule de musiciens issus des communautés culturelles qui, autrement, seraient restés méconnus.

Dans ce domaine comme dans plusieurs autres – la santé, la science, le débat public, les faits de société –, Télé-Québec a souvent ouvert la voie et l’ouvre encore avec des concepts – Like-moi !, Deux hommes en or, Y’a du monde à messe, Un chef à la cabane – qui font école.

Bref, même si Télé-Québec ne rejoint pas un auditoire aussi important qu’avant, dépassée depuis quelques années par des chaînes spécialisées comme RDS, Séries+ et LCN, elle peut être fière du travail accompli. 

Pourtant, on a souvent le sentiment qu’un parfum de défaite flotte autour de « l’autre télévision », comme si les promesses faites à sa naissance avaient été déçues. Comme si cette télé sur laquelle nous avions fondé tant d’espoirs n’avait pas été à la hauteur. 

Ce sentiment n’est pas uniquement propre aux détracteurs qui proclament son inutilité, dénoncent un gaspillage de 53 millions par année en fonds publics et demandent sa fermeture.

Ce sentiment de défaite émane parfois même de l’intérieur de la boîte. Le meilleur exemple, c’est la façon dont Télé-Québec va se fêter. Ce soir, hormis une émission spéciale des plus ironiques des Appendices, dont I’humour absurde n’est vraiment pas pour tous, rien de spécial n’est prévu. 

Oui, bien sûr, les émissions à l’antenne vont signaler l’anniversaire en présentant un clip de quelques secondes. Les animateurs vont pousser deux ou trois soupirs pétris de nostalgie avant de passer à un autre appel. Le seul réel hommage à Télé-Québec lui sera rendu en ligne avec la présentation de 50 capsules.

Les capsules, on le devine, ont été pensées pour rejoindre un public jeune qui ne regarde pas la télé et qui ignore tout du passé de l’autre télévision. En prime, ces capsules pourront être partagées sur les réseaux sociaux et auront donc une durée de vie quasi éternelle.

Mais à ce que je sache, Télé-Québec n’est pas un site web. C’est une chaîne de télévision. La moindre des choses, pour le soir de ses 50 ans, aurait été d’accompagner ces capsules d’une émission spéciale ou alors d’un bon gros documentaire de deux heures relatant sa petite et sa grande histoire.

Après tout, nous sommes encore quelques-uns à regarder la télé, ce vieux meuble désuet qui diffuse des images à heures fixes.

Mais à la leçon d’histoire, la direction de Télé-Québec a préféré la dérision d’un groupe d’humoristes dont, en passant, elle n’a pas renouvelé le contrat. Drôle de façon de fêter. Drôle de message à passer pour la suite des choses.

Depuis un demi-siècle, Télé-Québec a résisté à bien des tempêtes et a réussi, envers et contre tous, à produire du contenu social, éducatif et culturel d’ici. Souhaitons-lui de continuer pour 50 ans encore, avec un peu moins de dérision et un peu plus de fierté.

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