chronique

Des hockeyeurs adolescents du Québec sont la cible d’attaques anonymes sur un forum de discussion, où leurs performances sont analysées, notées et critiquées. Une pratique dénoncée par des acteurs du milieu.

Hockey mineur

Des joueurs de 14 ans critiqués sur l’internet

Ils ont entre 13 et 15 ans. Ce sont les meilleurs hockeyeurs de leur âge au Québec. Leurs performances sont analysées, notées et critiquées publiquement sur l’internet. Parfois avec virulence. Comme s’ils étaient Jonathan Drouin ou Carey Price. 

Encore la semaine dernière, une dizaine de joueurs bantam du Québec ont été les cibles d’attaques anonymes sur un forum de discussion. 

« C’est aberrant et abrutissant », s’indigne Marc-André Dumont.

Le directeur général et entraîneur-chef des Screaming Eagles du Cap-Breton, dans la LHJMQ, est dégoûté. Il n’en peut plus de voir des hockeyeurs adolescents visés par des critiques gratuites sur l’internet.

Ces commentaires causent des torts, constate-t-il. En janvier, il était aux côtés de Maxime Comtois, avec Équipe Canada, lorsque celui-ci s’est fait intimider sur les réseaux sociaux après les Championnats mondiaux juniors.

« Maxime était bien entouré, il a su composer avec ça. Mais crois-moi, ce n’est pas le cas pour tous les autres. »

Les derniers incidents – rapportés dans les onglets suivants – le bouleversent. « La dénonciation, ça suffit. Politiciens, entraîneurs, parents, agents, tout le monde déplore la situation, mais personne ne fait rien. On est rendus à l’étape d’agir. »

Hockey mineur

Des attaques anonymes

La semaine dernière, les meilleurs hockeyeurs de moins de 15 ans de la province participaient aux Jeux du Québec. Pendant qu’ils se défonçaient sur la glace, des adultes commentaient leurs performances sur un forum de discussion très fréquenté par les amateurs de hockey.

Les messages positifs étaient aussi rares que les fleurs en mars. Le ton était au contraire hargneux, insolent, parfois violent.

Tous ces braves analystes de salon se sont cachés derrière un pseudonyme pour détruire la réputation d’enfants de 14 ans. Des garçons qui, pour la plupart, sont en troisième secondaire. C’est très jeune pour encaisser les insultes suivantes après avoir tapé son nom dans Google.

(Les noms ont été modifiés, pour des raisons évidentes.)

« Mathieu : considérant le temps de glace qu’il a obtenu, il n’a pas produit. PAS UN SEUL BUT […]. De ce que j’ai vu, il est l’un des plus gros [tricheurs]. »

« Marco et Simon […] ont l’air paresseux et ne font pas grand-chose à part quelques flashes. »

« Francis était partout sur la glace, sauf où il devait être. »

« William n’a déjoué personne avec ses mains. Il n’a pas créé une seule chance de marquer en quatre matchs. Il ne distribuait pas la rondelle. C’est un patineur moyen. »

« Je n’ai jamais coté Patrick très haut. Il est comme un robot. »

« Dégueulasse »

Il y en a plein d’autres. J’arrête ici. Ça donne une idée des échanges. Des commentaires de pleutres, de coqs fiers dotés d’une cervelle d’oiseau. On devine que la plupart sont des parents de joueurs.

« C’est très dégueulasse », s’indigne Guillaume Piché-Forget. Entraîneur-chef du National de Montréal, dans le bantam AAA, il dirige des jeunes de 14 ans. Certains font partie des victimes des attaques de la semaine dernière.

« Je connais tous les joueurs nommés. Je suis dégoûté. Je ne comprends même pas pourquoi [ces commentaires sont permis]. »

— Guillaume Piché-Forget, entraîneur-chef du National de Montréal

« J’organise beaucoup de rencontres avec les joueurs, pour leur parler notamment de la confiance. Les gars, ils savent que ces sites existent. Ils lisent les commentaires. Ça se rend jusqu’à eux. »

Guillaume Latendresse est tout aussi fâché. L’ancien joueur du Canadien de Montréal a été entraîneur-chef d’une équipe midget AAA pendant quatre saisons. Lui-même était un espoir de premier plan à l’adolescence.

 « À 13 ou 14 ans, les enfants ne sont pas prêts pour ça, estime-t-il. C’est tout pour briser leur confiance. Un joueur qui lit ces commentaires, il peut penser que sa carrière est finie. À cet âge-là, un enfant ne fait pas la part des choses. Sais-tu quoi ? Ça va juste donner de la job à des psychologues sportifs. »

Hockey mineur

Les rapports de dépistage critiqués

L’analyste Dany Dubé a passé des milliers d’heures dans les arénas du Québec. Comme entraîneur et comme parent.

« La critique a toujours existé. Avant, les parents parlaient contre les autres joueurs. Sauf que ça restait dans les estrades. Les enfants n’entendaient rien. Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux ou des sites internet. Ça peut être retracé facilement. Ces commentaires peuvent démobiliser un enfant ou lui donner la peur de jouer. »

Au cœur du problème, on retrouve les forums de discussion et les réseaux sociaux. Mais aussi, des sites spécialisés qui évaluent les meilleurs adolescents.

Pour un abonnement de quelques dizaines de dollars par année, Hockey Prospect fournit des rapports détaillés sur les espoirs du repêchage de la LNH. Une pratique courante et acceptée depuis longtemps dans le milieu. Sauf que le site évalue maintenant des joueurs d’âge midget (15-17 ans) et parfois même bantam (13-14 ans).

C’est arrivé le mois dernier au Québec. Hockey Prospect a publié 43 bulletins de joueurs qui ont participé au tournoi bantam de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ces rapports anonymes comprennent : 

– Un paragraphe descriptif sur le joueur ;

– Le nombre de matchs évalués ;

– Des cotes (sur 5) pour le sens du hockey, les habiletés, la compétitivité, le patin et l’ensemble du jeu ;

– Des cotes (sur 10) pour des habiletés plus particulières, comme la puissance du tir, l’équilibre sur patins, la présence physique, le jeu le long des bandes. 

Guillaume Latendresse déplore l’existence de ces rapports. « C’est ridicule ! Ça n’a aucun sens d’évaluer publiquement des jeunes de 14 ans. Ils sont en pleine croissance ! Tout ce que ça fait, c’est de mettre sur un piédestal de jeunes vedettes régionales qui croient, à 16 ans, que tout leur est dû. »

Marc-André Dumont, des Screaming Eagles du Cap-Breton, renchérit. « En soi, évaluer un enfant sur sa performance sportive, ce n’est pas la fin du monde. L’école note aussi les enfants. Sauf que l’évaluation de l’école, elle n’est pas publique ! »

Devoir de réserve

Dans le cas précis du tournoi de Saint-Jean, le dépisteur a pris soin d’atténuer les critiques dans ses écrits. La plupart des cotes étaient de 3/5 et de 6/10. Les évaluations des joueurs midget sont moins nuancées. Si un joueur connaît une mauvaise partie lors du passage du dépisteur, ce sera écrit de façon non équivoque.

« Les gens qui s’occupent de ces sites doivent être responsables, affirme Marc-André Dumont. Ils ont un devoir de réserve sur les éléments négatifs. Écrire qu’un enfant de 14 ans a un mauvais lancer, ça ne se fait juste pas. »

Ça m’a inspiré quelques questions pour les dirigeants de sites comme Hockey Prospect.

– À partir de quel âge un joueur peut-il être critiqué publiquement ?

– Pourquoi publier des rapports sur des jeunes de 14 ans ?

– Existe-t-il des limites à la critique de joueurs bantam et midget ?

J’ai contacté le dépisteur en chef de Hockey Prospect au Québec. Il m’a indiqué qu’il était trop occupé cette semaine pour répondre à mes questions.

À partir de quel âge ?

À partir de quel âge peut-on critiquer publiquement les performances d’un hockeyeur ? 13 ans ? 15 ans ? 17 ans ?

Il n’existe pas de règle écrite. Il n’y en aura sûrement jamais non plus. À chacun son éthique.

Plusieurs placent la barre au midget AAA. Après tout, la LHJMQ produit des listes des meilleurs espoirs de 15 ans en vue de son repêchage. En soi, ce classement est une évaluation publique des performances des joueurs.

Guillaume Latendresse critique cette façon de procéder. « Ces listes sortent à des moments-clés de la saison. Il y en a une juste avant le challenge de décembre [un important tournoi]. Un gars qui chute de la troisième à la cinquième ronde, il ne comprend pas. Il n’y a que des rangs, pas d’évaluations détaillées. Ça complique le travail des entraîneurs. »

Yanick Gagné, directeur général adjoint de la Ligue midget AAA, se montre réaliste. Il sait que les meilleurs espoirs du circuit continueront d’être épiés. Que les listes sont là pour de bon. Il croit cependant que les joueurs de la ligue sont trop jeunes, entre 15 et 17 ans, pour encaisser des attaques personnelles.

« Notre ligue n’endosse pas ces critiques. C’est tolérance zéro. »

— Yanick Gagné, directeur général adjoint de la Ligue midget AAA

Il y a deux semaines, il y a eu un dérapage pendant la webdiffusion d’une partie. Un descripteur et un analyste ont dénigré un gardien adverse, qui avait été retranché au camp de leur équipe locale. « C’était vraiment déplacé, raconte Yanick Gagné. Une équipe a déposé une plainte. Nous avons envoyé un message clair à toutes les équipes. Nous avons aussi dû intervenir plus tôt cette saison auprès de gestionnaires des réseaux sociaux. Des clubs se blastaient entre eux. On ne veut pas [être] une ligue comme ça. »

Performer pour le public

Et les hockeyeurs dans le junior majeur ? Devraient-ils être soumis à la critique comme les pros ? Marc-André Dumont croit que non. 

« Pour être critiqué comme un joueur du Canadien, un joueur doit être salarié. Ça doit être son métier de performer pour le public. Un joueur de hockey junior, ce n’est pas son travail de performer pour le public. Il pratique un sport qu’il adore. Il fait des sacrifices pour se développer, pour s’améliorer. En même temps, il grandit et va à l’école. Est-ce qu’on critique publiquement un artiste de 17 ans qui est en musique au cégep ? Non. »

L’entraîneur-chef pense qu’il est possible de s’attaquer au problème des propos gratuits et anonymes formulés au sujet de jeunes athlètes. 

« D’habitude, sur des médias sociaux comme Twitter et Facebook, les gens ont un profil clair. Mais il existe aussi des comptes anonymes. Une personne peut faire des commentaires gratuits sans [aucune conséquence]. Même chose sur les forums de discussion. C’est inacceptable. »

Il souhaite que les gouvernements interviennent. Qu’ils obligent les sites web à exiger une pièce d’identité pour l’ouverture d’un compte. Des députés en France font des démarches en ce sens.

D’ici là, il faut espérer que les adultes derrière ces actions réfléchissent à la portée de leurs gestes.

Qu’ils réalisent que les enfants de 14 ans savent comment faire une recherche dans Google.

Qu’ils comprennent que des rêves peuvent être brisés par des commentaires lâches écrits à la va-vite entre deux périodes dans les toilettes d’un aréna.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.