Marché du carbone

La Californie poursuivie pour son entente avec le Québec

L’administration Trump vient d’intenter une poursuite contre l’État de la Californie, l’accusant d’avoir formé une entente internationale sur le marché du carbone avec le Québec en 2013, ce qui outrepasserait ses droits.

Qu’est-ce qu’affirme l’administration Trump ?

Que l’entente adoptée en 2013 par la Californie et le Québec, créant ainsi le plus grand marché du carbone en Amérique du Nord, est illégale parce que la Californie n’est pas habilitée à conclure des ententes internationales. « L’État de Californie s’est écarté de son droit constitutionnel pour conclure un accord international sur les émissions, a déclaré le procureur général adjoint Jeffrey Bossert Clark dans un communiqué. Le pouvoir de conclure de tels accords est réservé au gouvernement fédéral, qui doit pouvoir s’exprimer d’une seule voix dans le domaine de la politique étrangère américaine. »

Les prétentions de l’administration Trump sont-elles valides ?

Il faudra plus de temps pour que les analystes se penchent sur les textes de la poursuite. Pour Jacques Papy, professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM, il est surprenant que le gouvernement fédéral américain agisse maintenant. « La première entente entre le Québec et la Californie a été signée en 2013. Avant [hier], Washington n’avait pas fait de contestation. Tout d’un coup, on se réveillerait pour dire que quelque chose ne va pas ? » Pierre-Olivier Pineau, professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, abonde dans le même sens. « C’est purement une attaque politique de l’administration Trump sur la Californie, souligne-t-il. Ce n’est pas basé sur une crainte réelle par rapport à des engagements internationaux de la Californie. »

Le fonctionnement du marché du carbone sera-t-il perturbé ?

Les sociétés qui veulent émettre du carbone doivent d’abord acheter les droits qui se vendent aux enchères – le fameux marché du carbone. Le risque est que la poursuite fasse chuter les prix de la tonne de carbone, qui oscille aujourd’hui autour de 20 $. « Personnellement, je doute que ça se produise, dit Pierre-Olivier Pineau. Le marché est bien conçu, et les aspects internationaux de ce genre d’accords ont été bien réfléchis. » Le cas échant, le marché du carbone du Québec pourrait poursuivre ses activités sans la Californie, croit Jacques Papy. « On parle d’un marché conjoint, mais en réalité ce sont deux systèmes qui sont complètement autonomes. »

Comment réagit le Québec ?

Hier, le premier ministre François Legault s’est dit « satisfait » du fonctionnement de la Bourse du carbone. « Si jamais la Californie se retirait, je pense qu’on peut continuer seul […]. [Cela dit], pour avoir parlé à certains gouverneurs, je sais que d’autres États américains pensent se joindre à la Bourse du carbone. Mais bon, on ne commencera pas à débattre de ce que dit M. Trump. » Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a expliqué ne pas craindre un effondrement du marché du carbone en raison de cette poursuite. « D’abord parce que la possibilité que les tribunaux tranchent en faveur de l’administration Trump est “hypothétique”. Et ensuite parce que les grands émetteurs savent qu’ils devront payer un prix sur le carbone d’une manière ou d’une autre », a-t-il soutenu.

Est-ce une première pour l’administration Trump ?

Non : le mois dernier, le gouvernement fédéral a annoncé la création d’un programme national pour établir les normes de pollution pour les véhicules fonctionnant à l’énergie fossile – rendant par le fait même inopérantes les règles plus strictes adoptées en Californie et dans 13 autres États, une décision que la Californie conteste devant les tribunaux. « De façon globale, cette poursuite est à placer dans la même catégorie des gestes de l’administration Trump contre les actions environnementales de la Californie », assure Jacques Papy.

D’où vient l’idée d’un marché du carbone ?

C’est face à l’inaction de Washington et d’Ottawa dans le dossier de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre que des États américains et des provinces canadiennes avaient commencé les discussions au sujet du marché du carbone en 2008, rappelle Pierre-Olivier Pineau. « L’administration Obama était très favorable à cette action au niveau de l’État, car elle n’arrivait pas à le faire au niveau fédéral. » Quant à elle, l’administration Trump nie le consensus scientifique au sujet des changements climatiques, a assoupli les réglementations entourant la production d’énergies fossiles et compte retirer les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, conclu en 2015.

— Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose et de Martin Croteau, La Presse

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