Un enjeu, deux avis

Quel avenir pour l’économie du partage ?

Partager un bien – une voiture, un chalet ou des outils – dont on ne se sert que sporadiquement grâce à une plateforme : l’idée a fait beaucoup de chemin depuis une quinzaine d’années. Et causé au passage des turbulences, en particulier dans l’industrie du taxi et du tourisme. Au point de provoquer un certain ressac contre des géants comme Uber et Airbnb. À quoi s’attendre pour la suite des choses ? Voici deux avis sur la question.

Un enjeu, deux avis

Un modèle qui bouscule

Depuis plusieurs années, l’économie du partage fait jaser.

Il y a eu l’épisode Uber, dès 2016 1, avec son projet pilote, puis ses conflits avec l’industrie du taxi qui a enflammé les discussions 2.

Un autre chef de file de l’économie du partage, Airbnb, combat toujours pour sa part la récente entrée en vigueur de règles plus strictes à son endroit 3. Et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a récemment annoncé le recours à des inspecteurs pour « contrer l’hébergement touristique illégal de type Airbnb » 4.

Je me suis d’ailleurs déjà exprimé dans La Presse quant à l’occasion d’affaires ratée de nos politiciens avec Airbnb 5.

Force est de constater que l’économie du partage, à but lucratif en particulier, dérange.

Or, l’économie du partage semblait, de prime abord, une forme de révolution ; un modèle d’affaires qui alliait des objectifs sociaux à l’économie de marché, en transformant le consommateur-propriétaire en consommateur-utilisateur.

Bousculer pour survivre

L’économie du partage à but lucratif implique principalement trois parties prenantes : les clients, les fournisseurs (ceux qui offrent les biens ou services) et une plateforme. Celle-ci agit à titre d’intermédiaire technologique ou de marché virtuel en réduisant les coûts de transaction entre clients et fournisseurs. Ainsi, Uber, Airbnb et autres sont des intermédiaires qui dépendent des clients et fournisseurs pour exister.

Voilà, selon moi, pourquoi ces plateformes dérangent autant.

Pour exister, elles doivent brusquer l’ordre établi, car l’enjeu principal pour la survie d’une plateforme d’économie du partage est de générer une masse critique de clients et de fournisseurs. Sans cette masse critique, cet écosystème transactionnel ne peut pas survivre.

De plus, une entreprise d’économie du partage doit générer des effets de réseau et faire en sorte que plus les gens l’utilisent, plus les gens l’utiliseront, à l’image des réseaux sociaux. Cette réalité limite également la concurrence potentielle entre plusieurs plateformes et favorise une situation de monopole pour une même industrie.

Ces plateformes utilisent souvent la tarification dynamique afin d’inciter des fournisseurs à participer, en plus de moduler la demande, en ajustant les prix en fonction de moments de pointe ou de basse consommation.

Ce jeu de modulation des comportements nécessite des outils technologiques coûteux, qui peuvent freiner la rentabilité.

Impacts positifs

Au-delà d’Uber ou d’Airbnb, qui font les manchettes, l’économie du partage peut avoir des impacts positifs sur nos communautés.

Par exemple, l’entreprise Navigo, de North Hatley, au Québec, se présente comme l’« airbnboat des bateaux ». Elle vise à réduire les entrées et sorties des lacs. Fairbnb, en Europe, est une coopérative qui remet 7,5 % des commissions de réservation en initiatives communautaires directes dans la région visitée par un consommateur.

Plus près de nous, la Ville de Sainte-Julie met en location libre-service des véhicules du parc municipal hors des périodes d’utilisation des employés municipaux. Toutefois, sans l’implication de la Ville, on peut se demander si une entité à but lucratif serait en mesure de rentabiliser ce service.

N’empêche, donc, transformer le consommateur-propriétaire en consommateur-utilisateur peut aider nos communautés à atteindre certains objectifs.

Toutefois, on l’a vu, la nature même du modèle d’affaires limite la concurrence potentielle pour un même secteur d’activité. La rentabilité est également un enjeu considérable en raison des différentes parties prenantes requises ainsi que des investissements nécessaires à son déploiement.

De plus, force est d’admettre que celle-ci a une perception négative auprès du public et des politiciens.

En d’autres mots, malgré de bonnes intentions et de potentiels impacts positifs, l’économie du partage à but lucratif n’a pas fini de déranger.

Un enjeu, deux avis

Soutenir le tourisme de demain

Le partage a permis la création du tourisme. On n’a qu’à penser aux pèlerins qui logeaient chez l’habitant. Les entreprises comme Airbnb et Uber n’ont pas inventé l’économie collaborative : elles l’ont organisée et commercialisée. Ce partage de ressources entre êtres humains est historiquement ancré dans nos mœurs de voyageurs et sa popularité d’aujourd’hui bouscule l’industrie… et même nos milieux de vie !

L’amélioration des moyens de communication, les réseaux sociaux en tête de liste, a permis à l’économie du partage de prendre une place importante dans plusieurs secteurs liés au tourisme comme l’hébergement, le transport ou les équipements spécialisés. La disponibilité des ressources étant plus facile à faire connaître, la croissance a été fulgurante.

Il faut admettre que l’idée de base est excellente et s’inscrit dans une démarche de développement durable si souhaitée aujourd’hui : je possède quelque chose dont je ne me sers pas 100 % du temps. Pourquoi ne pas rendre cette chose disponible à quelqu’un d’autre pour une rémunération raisonnable ? C’est gagnant-gagnant… et gagnant en matière d’optimisation des ressources.

Comme pour plusieurs idées géniales, l’intérêt commercial s’est saisi du principe. Pas juste pour le pire. L’économie du partage plus organisée permet de rendre davantage accessibles des expériences mémorables et diversifiées (par exemple : louer une villa sur le bord de la mer, un chalet isolé dans une île ou simplement partager un appartement et ainsi découvrir une grande ville à un coût raisonnable).

Toutefois, les prix imbattables des débuts ont été usés par l’appétit de la demande, et les organisations et locateurs, surtout dans l’hébergement urbain, ont bien compris que l’intérêt était au rendez-vous. Dans ce que le client donne dans le « partage » de cette économie, il y a de plus en plus d’argent.

En plus des prix qui ont augmenté significativement dans certaines situations, la location à court terme de condos et de chalets a créé du brouhaha dans plusieurs communautés. Parlez-en aux résidants du Vieux-Montréal et de nombreux lacs du Québec ! L’humain est parfois trop habile pour trouver les failles du système et les exploiter. Heureusement, la législation évolue. Les nouvelles dispositions du projet de loi 25 sur l’hébergement touristique illégal, entrées en vigueur le 1er septembre dernier, constituent certainement une avancée sur plusieurs plans. Ces règles visent à mieux encadrer cette pratique au bénéfice des voyageurs, des résidants, mais aussi pour assurer une saine concurrence avec les autres types d’hébergement touristique.

L’avenir de l’économie du partage sera intéressant à suivre. Les touristes plus expérimentés que nous sommes ont compris l’intérêt de la quête d’authenticité qui vise à goûter un style de vie, une culture, une cuisine propres à un territoire. L’économie du partage permet ce rapprochement avec la population locale en éliminant les intermédiaires ou en facilitant l’accès aux expériences dans une forme plus pure.

On pourra assister au développement de plateformes collaboratives basées sur des motivations, des types de voyages ou des activités comme Terego, pour stationner son VR chez un producteur agricole, ou encore Locapaq pour louer de l’équipement de plein air. Des pépites québécoises à promouvoir et desquelles s’inspirer.

Un des principaux défis contemporains pour une partie importante de la population est d’assouvir sa soif de voyage tout en évitant de contribuer aux changements climatiques. Une des solutions qui apparaissent comme les plus porteuses est le développement du tourisme local. Encore faut-il se sentir dépaysé dans son propre pays ! L’économie du partage est appelée à être un acteur important de cette métamorphose du voyage en permettant l’exploration du territoire et l’accès à des activités diversifiées à un prix raisonnable, tout en demandant moins de ressources supplémentaires à notre planète.

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