Dégénérescence maculaire

Perdre la vue, petit à petit

La mauvaise nouvelle a frappé Louise Gobeil alors qu’elle venait de prendre sa retraite, au début de la soixantaine, pour garder l’un de ses petits-enfants. « Je voyais moins bien et je suis allée faire un examen de la vue, dit Mme Gobeil, qui habite Beauport. Je croyais que je devais changer mes lunettes. L’optométriste m’a dit que c’était très grave, que je faisais de la dégénérescence maculaire. »

Mme Gobeil a alors commencé les injections pour ne pas perdre la vue dans son œil droit. Au bout de quelques mois, une autre mauvaise nouvelle l’a terrassée. « On m’a annoncé que mon œil gauche était aussi atteint et que sans des injections aux deux yeux tous les mois, je perdrais la vue. J’ai passé une nuit à pleurer. Le matin, à 5 h, j’ai écrit à l’Association québécoise de la dégénérescence maculaire (AQDM) pour leur dire ma détresse à l’idée que je ne verrais plus les sourires et les yeux de mes huit petits-enfants. »

La lettre de Mme Gobeil a touché André Lavoie, qui venait de commencer à s’impliquer dans l’AQDM. « Je venais moi-même de commencer les injections après un diagnostic de dégénérescence maculaire, dit l’ancien journaliste de Québec. Je me suis rendu compte qu’en Ontario, les injections ne coûtaient rien. Mme Gobeil, dans sa lettre, demandait quel œil elle devait choisir de sauver, parce qu’elle n’avait pas les moyens de payer les injections aux deux yeux. »

Avec d’autres patients, M. Lavoie a pris le contrôle de l’AQDM, qui ne voulait alors pas s’engager dans la bataille pour la gratuité des injections.

Après un an de pressions, en 2011, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a accepté que les traitements soient gratuits.

Au début de 2013, sous la menace d’un recours collectif, elle a remboursé 6 millions à 10 000 patients pour des injections qu’ils avaient payées de leur poche de 2008 à 2011. Les frais pouvaient atteindre 200 $ par injection.

La dégénérescence maculaire se produit lorsque des dépôts appelés drusen se forment sur la rétine, accompagnés d’inflammation. Par la suite, une croissance anormale des vaisseaux sanguins de l’œil aggrave le problème. La dégénérescence « sèche » survient avant la dégénérescence « humide » et s’accompagne de symptômes souvent indétectables. La perte de la vision, rapide, survient lorsque la maladie bascule vers la forme « humide ». Les formes humides et sèches font référence à des molécules à l’intérieur de l’œil.

Des diagnostics insuffisants ?

Une nouvelle étude américaine annonce une autre bataille : la détection précoce de la maladie alors qu’elle est sous la forme « sèche », souvent sans symptômes. « Nous avons été surpris de constater que seulement 75 % des cas de dégénérescence maculaire sous la forme sèche sont diagnostiqués », explique David Neely, ophtalmologiste à l’Université de l’Alabama, auteur principal de l’étude publiée dans la revue JAMA Ophtalmology.

« C’est grave, parce qu’il faut une vigilance particulière pour les patients ayant la forme sèche, pour détecter rapidement un passage vers la forme humide, qui, elle, doit être traitée pour éviter la cécité. »

— David Neely, ophtalmologiste à l’Université de l’Alabama, auteur principal de l’étude publiée dans la revue JAMA Ophtalmology

« De plus, le tiers des cas non détectés étaient assez avancés pour que le patient prenne des suppléments de vitamines pour retarder l’apparition de la forme humide », poursuit M. Neely

L’étude du Dr Neely portait sur 644 patients de plus de 60 ans, dont le quart étaient atteints de dégénérescence maculaire. « Nous avons été chanceux d’avoir cette cohorte, qui sera suivie pendant des années pour mieux comprendre les aspects génétiques et les facteurs de risque liés à la maladie. »

Jean-Daniel Arbour, chirurgien de la rétine au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, est surpris de ces résultats. « J’espère que ce n’est pas le cas ici », dit le Dr Arbour, vers qui l’AQDM a dirigé La Presse. « Les cas qu’on m’envoie me donnent à penser que les patients sont très bien suivis par les optométristes. Mais en même temps, on ne sait pas quelle proportion des gens qui ont une forme sèche l’ignore. Il faudrait faire ce genre d’étude. »

« Plein de petites morts »

Le Québec est maintenant à l’avant-garde du traitement de la dégénérescence maculaire, dit le Dr Arbour, qui a publié l’an dernier le livre La dégénérescence maculaire liée à l’âge. « Nous sommes souvent les premiers à adopter les nouveaux traitements s’ils sont efficaces. Il se fait beaucoup de recherches sur les nouveaux médicaments. Il se pourrait même qu’il y ait des médicaments pour la forme sèche de la maladie. Pour le moment, il n’y en a que pour la forme humide. Depuis une dizaine d’années, il y a eu beaucoup de progrès aussi dans les appareils prenant des photos du fond de l’œil, pour le dépistage en clinique optométrique. »

Ces progrès n’ont pas été assez rapides pour Mme Gobeil. Elle a fini par perdre la vue dans son œil droit, ayant interrompu les traitements avant que la RAMQ n’annonce la gratuité. « La première chose qui part, c’est le permis de conduire, dit Mme Gobeil. C’est plein de petites morts. J’étais passionnée de lecture, je me disais que j’aurais du temps pour ça à la retraite. Mais ce n’est plus possible, je ne peux lire que de grosses lettres. »

La dégénérescence maculaire en chiffres

1 à 2 % de la population a une dégénérescence maculaire à l’âge de 60 ans

25 % de la population a une dégénérescence maculaire à l’âge de 80 ans

40 % des cas de dégénérescence maculaire à l’âge de 80 ans sont de forme humide

1,3 % des patients ayant une forme préliminaire de dégénérescence maculaire sèche passent à la forme humide en moins de cinq ans

86 % des patients ayant la forme sèche de la dégénérescence maculaire ne progressent jamais vers la forme humide

Source : Académie américaine d’ophtalmologie

La dégénérescence maculaire en bref

Le médicament miracle

Il y a une douzaine d’années, la dégénérescence maculaire a connu une révolution : l’introduction de médicaments ralentissant la croissance des vaisseaux sanguins de la rétine, ce qui prévient l’apparition de la cécité chez les patients atteints de la forme humide. André Lavoie, de l’AQDM, a été à l’avant-plan de la lutte pour la gratuité des injections mensuelles de ces médicaments, entre 2010 et 2013. Pour la forme sèche, certains patients bénéficient d’un cocktail de vitamines permettant de repousser l’apparition de la forme humide. Il existe aussi d’autres approches pour certains cas, comme la thérapie photodynamique.

Les facteurs de risque

Le tabagisme est le principal facteur de risque de la dégénérescence maculaire, augmentant le risque par un facteur de deux à trois, selon l’Académie américaine d’ophtalmologie. L’hypertension et l’obésité jouent aussi un rôle, et les femmes sont légèrement plus à risque que les hommes. L’influence de la génétique est aussi très importante, mais mal quantifiée : avoir un frère ou une sœur atteint augmente le risque de 2 à 20 fois, selon les études.

Dépression

Un diagnostic de dégénérescence maculaire augmente de deux à quatre fois le risque de dépression, selon une étude américaine publiée l’an dernier dans la revue Clinical Ophtalmology. Le risque passe alors de 2 % à de 5 à 7 %. L’anxiété et les symptômes dépressifs légers sont deux fois plus élevés, 30 % plutôt que 15 %, à la suite d’un diagnostic de dégénérescence maculaire. Selon André Lavoie, président de l’AQDM, l’anxiété est souvent liée à une mauvaise compréhension de la maladie chez les patients, qui auraient besoin de plus d’explications de la part de leur optométriste. 

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