Une « oreille » pour les délinquants sexuels
À Montréal, des bénévoles rencontrent chaque semaine des hommes condamnés pour infractions sexuelles : viol, pédophilie, inceste, agression sexuelle… Leur objectif ? Les accompagner pour limiter la récidive et favoriser leur réinsertion dans la société.
« On a fêté l’anniversaire de mon fils, il y avait sa tante et sa mamie. Et toi, ta semaine ? », demande Heïdi. « Moi, j’ai commencé mes démarches pour suivre une formation », répond Marcel. Chaque semaine, cet homme de 62 ans, dont le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité, rencontre Heïdi et Nasthazia, deux bénévoles, et André Maillard, coordonnateur des cercles de soutien et de responsabilité (CSR) de Montréal. Condamné pour un viol et deux agressions sexuelles, Marcel est en maison de transition depuis un an et demi. Il a auparavant passé six ans en prison. Depuis octobre, il fait partie des CSR.
Créés en 1994 au Canada, les CSR visent à limiter la récidive de personnes condamnées pour infractions sexuelles. Et à faciliter leur réinsertion dans la société. On en dénombre 17 au pays, dont 2 au Québec, à Montréal – l’un francophone, l’autre anglophone.
Le cercle francophone, créé au début des années 2000, vit uniquement grâce à des subventions fédérales. Trente-cinq hommes y sont accompagnés. Tous ont été condamnés ou sont en attente de procès pour infractions sexuelles : agressions sexuelles, viols, pédophilie, pornographie juvénile, inceste… La majorité sont en maison de transition, mais certains sont en prison ou en liberté.
Le principe ? Ces hommes, tous volontaires, rencontrent chaque semaine leur « cercle », composé de deux ou trois bénévoles, pour échanger. S’ils sont en détention, le coordonnateur se déplace à la prison.
Parler de tout
À Montréal, une quarantaine de bénévoles rencontrent ces hommes, à raison d’une ou deux heures par semaine. La plupart sont étudiants en criminologie, mais on trouve également des professeurs, des retraités, une notaire, un chef de cuisine, une cinéaste, une parfumeuse… Quelque 90 % des bénévoles sont des femmes. Avant de s’engager, les antécédents judiciaires de la personne leur sont présentés. Il arrive que certains disent d’avance ne pas vouloir rencontrer certains profils, un homme condamné pour pédophilie, par exemple.
« Au bout de deux ou trois rencontres, si tout va bien, les membres du cercle signent une alliance de fidélité pour au moins un an. Le cercle peut s’étendre au-delà d’une année, sur une durée indéterminée. »
— André Maillard, coordonnateur
Heïdi, 47 ans, s’est engagée comme bénévole en septembre dernier. Depuis octobre, elle échange avec Marcel une heure chaque semaine. Elle discute également avec un homme accusé de pédophilie et en attente de jugement. « Au départ, j’étais un peu nerveuse, je redoutais d’être mal à l’aise, se souvient-elle. Finalement, pas du tout. On apprend à se connaître, on s’attache. » Marcel hoche la tête. « Je me suis lié d’amitié avec eux », s’émeut-il.
De « l’empathie »
Durant ses années de détention, Marcel dit avoir beaucoup réfléchi et changé. « Ces agressions ont eu lieu quand j’étais en état d’ébriété avancé. Aujourd’hui, je ne bois plus, pantoute, et je ne replongerai pas », assure-t-il. Lorsqu’il était au pénitencier, il redoutait de sortir et d’être isolé. « Le cercle m’a redonné confiance. J’ai pris conscience que des gens m’entouraient et je ne veux pas les décevoir. » André Maillard souligne la situation délicate de ces hommes : « En détention, ils sont mis à l’écart, pris pour des moins que rien, peuvent faire l’objet de violence de la part d’autres détenus. Beaucoup ont honte d’eux-mêmes et se demandent comment ils en sont arrivés à faire des monstruosités pareilles. Ces gars sont seuls, ostracisés. Avec nous, ils trouvent une oreille attentive, de l’empathie. »
Les bénévoles leur donnent leur numéro de cellulaire, au besoin. « Marcel pourrait m’appeler pour me souhaiter bonne fête, explique Heïdi. Ou me dire qu’il a envie de boire. Dans ce cas, je lui dirais qu’on peut aller boire un café, qu’on va aller se changer les idées. » Mais il ne faut pas oublier le volet prévention. « Si quelqu’un nous dit : “Je suis tenté par des choses, je fantasme sur ci et ça”, on est sur le qui-vive, on sent la fragilité, la tentation de replonger », indique André Maillard.
« On est un filet de sécurité entre le système carcéral et la population. Si on sent un danger, on se doit de prévenir les autorités. »
— André Maillard
La démarche de ces bénévoles n’est pas toujours comprise. « Ces crimes sont tabous dans la société, regrette Nasthazia, 19 ans, étudiante en criminologie. Mes parents ont de la misère à comprendre. Ils trouvent que les personnes qui ont commis des crimes ont des problèmes qui ne sont pas réparables. D’autres pensent que ces personnes méritent juste d’être en prison toute leur vie. » Elle s’implique dans un autre cercle avec un homme condamné pour pornographie juvénile. Malgré un emploi du temps chargé, elle tient à continuer ce bénévolat : « On a noué des liens. On est devenus un genre de gang ! »
Aujourd’hui, sept hommes sont sur la liste d’attente pour intégrer ce cercle montréalais. André Maillard regrette que le recrutement des bénévoles soit difficile. D’abord parce que les cercles sont méconnus. Ensuite parce que « le sujet est tabou. C’est plus glamour de venir en aide à des enfants malades ou des itinérants. Et les bénévoles ont plutôt tendance à vouloir soutenir les victimes ». Mais lui en est convaincu : « Si on vient en aide à ces hommes, on limite la récidive. Et donc, le nombre de victimes. »