GRANDE ENQUÊTE LE DRAME IGNORÉ DES ENFANTS AUTOCHTONES

Retour aux sources

Dans son bureau, Alice Echaquan a une plume d’aigle qu’elle sort lorsqu’elle reçoit un jeune en détresse.

« Au centre de la plume, il y a la ligne de la vie. Au début de cette ligne, c’est la naissance. Touche, c’est doux, lance l’intervenante communautaire en flattant une extrémité de la plume. Puis, la plume devient plus rude. Ce sont les obstacles. C’est normal d’en avoir sur son chemin. Il faut apprendre à les surmonter. »

À Manawan, cette intervenante aux services sociaux est l’une des premières à s’être attaquée aux tabous liés au suicide et aux agressions sexuelles. C’est avec des outils inspirés de la spiritualité autochtone comme la plume d’aigle qu’elle aborde des sujets délicats.

Pour freiner la vague de suicides qui a secoué la communauté attikamek au début des années 2000, ses collègues et elle ont misé sur un « retour aux sources ».

Il fallait trouver des moyens de rebrancher les jeunes sur leurs origines pour les inciter à se confier et, ultimement, les garder en vie.

« Nos jeunes ne sont pas toujours à l’aise dans un bureau. Moi, je les emmène dans le bois. Ils sont plus réceptifs. »

— Alice Echaquan, intervenante communautaire aux services sociaux

Mme Echaquan organise des camps en forêt avec des groupes d’adolescents, mais aussi des groupes de mamans, durant lesquels elle leur parle des agressions sexuelles, de leurs conséquences et des ressources disponibles pour dénoncer.

Et les services sociaux ne sont pas les seuls à avoir adopté cette approche. L’an dernier, un autre projet financé par le conseil de bande a permis à une dizaine de jeunes décrocheurs de vivre en forêt comme leurs ancêtres.

Accompagnés d’un trappeur qui leur a enseigné les activités traditionnelles comme la chasse et la fabrication de raquettes, les ados ont quitté la réserve en octobre pour ne revenir qu’en mars.

« Il faut trouver les moyens de raccrocher ces jeunes à quelque chose, soit à leur culture, soit pour leur faire comprendre à quel point c’est difficile de vivre en forêt et ainsi peut-être leur donner le goût de retourner aux études », explique le chef du conseil de bande, Jean-Roch Ottawa.

LA LIBERTÉ DE LA MUSIQUE

Pour d’autres jeunes, comme Yamil Quitich, c’est l’apprentissage de la musique traditionnelle autochtone qui a donné un sens à sa vie.

L’ado de 17 ans a cessé de consommer de la drogue pour se consacrer au groupe qu’il a fondé – les North Rivers. Il rêve aujourd’hui de se produire dans les plus grands pow-wow d’Amérique. « Je me sens libre quand je joue du drum », explique celui qui ne peut plus se permettre d’avoir le cerveau engourdi par la drogue.

Cette valorisation des activités traditionnelles semble porter des fruits. Cela fait quatre ans qu’il n’y a pas eu de suicide dans la réserve.

« Notre jeunesse affirme plus son identité attikamek que les générations précédentes marquées par les pensionnats où on a voulu tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant », explique Mélanie Petiquay, agente de motivation scolaire à l’école secondaire de Manawan.

« Les jeunes que je côtoie veulent se réapproprier le territoire. Ils commencent à se rendre compte qu’ils ont besoin de l’éducation pour apprendre à le préserver et à le défendre », affirme celle qui a consacré sa vie à la prévention du suicide.

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