Le secret de Marie-Pier

MANAWAN, Lanaudière — Marie-Pier Moar avait 11 ans et un lourd secret.

Le printemps avant sa mort, sa mère a remarqué des changements inquiétants chez la jeune fille.

« C’était l’été, mais elle voulait uniquement porter des chandails à manches longues, dans lesquelles elle se cachait les mains, raconte Délima Flamand en marquant une pause, la voix étouffée par un sanglot. Après sa mort, j’ai compris bien des choses. »

La fillette devait entrer en 6e année à l’école primaire de Manawan, une réserve attikamek située à 87 km au nord de Saint-Michel-des-Saints, dans Lanaudière.

Le 22 août 2005 – jour de la rentrée –, elle a été battue par des camarades de classe dans la cour de l’école. Elle a été traînée sur le sol avec une telle violence que ses vêtements ont été déchirés. Leur avait-elle confié son secret ? Sa mère le croit, en tout cas.

Le soir même, l’enfant s’est pendue dans le sous-sol de la maison familiale. Elle a laissé deux notes pour expliquer son geste.

À l’autopsie, on découvrira que la petite avait été victime de viols à répétition. Certaines lésions au vagin et à l’anus étaient récentes. D’autres, plus anciennes.

C’est la plus jeune autochtone à s’être donné la mort au Québec au cours des 15 dernières années, selon l’enquête de La Presse. Le suicide est de loin la première cause de mort chez les jeunes autochtones.

En effet, depuis l’an 2000, 259 enfants et adolescents autochtones sont morts dans des circonstances violentes ou obscures au Québec, selon l’enquête de La Presse. De ce nombre, 102 ont mis fin à leurs jours.

« LA LOI DU SILENCE »

« La grande violence physique et psychologique qu’a subie Marie-Pier Moar n’est pas un cas isolé en milieu autochtone », a conclu la coroner Joanne Lachapelle. Cette dernière critique « la loi du silence qui sévit sur les réserves ».

Après la mort de l’enfant, la Sûreté du Québec a débarqué dans la réserve de 2200 personnes en renfort à la police locale. Les enquêteurs ont interrogé une quarantaine de témoins. En vain.

L’enquête policière a été un échec.

À ce jour, le crime est impuni. Le ou les agresseurs sexuels n’ont pas été arrêtés. Encore moins accusés.

Peu après le drame, les parents de Marie-Pier Moar – qui avaient cinq autres enfants – ont quitté la communauté.

Ce n’était pas la première tragédie à ébranler la famille. Le père, aux prises avec de graves problèmes d’alcool, a souvent déversé sa rage sur sa femme.

Un an avant la mort de sa fille, Délima Flamand, alors enceinte de jumeaux, a fait une fausse couche après avoir été rossée de coups pour une énième fois.

C’est alors Marie-Pier, malgré son jeune âge, qui est devenue le pilier de la famille. « Je n’étais pas capable de m’occuper de moi-même, encore moins de mes enfants. C’était Marie-Pier, la mère », raconte Mme Flamand, rencontrée chez elle à Trois-Rivières.

Pour ajouter à la pression qui pesait sur les épaules de la petite fille, à la même époque, son père a tenté de se suicider avec un fusil de chasse.

Toute la famille était à bord d’un camion, en route vers le chalet familial. Les parents étaient assis à l’avant, alors que les enfants s’entassaient dans la boîte du camion.

« Le coup est parti. J’ai juste eu le temps de pousser l’arme. C’était sa tête ou ma main », raconte Mme Flamand en nous montrant la cicatrice laissée par la balle entre son pouce et son index. Les enfants ont tout vu.

Le couple a fini par se séparer quelques années après le suicide de leur fille.

« J’aurais dû mieux protéger mes enfants », confie la mère de famille de 44 ans, déjà grand-mère sept fois. Durant l’entrevue, Mme Flamand n’a cessé de frotter dans ses mains une urne miniature dans laquelle elle garde les cendres de sa fille. « Je l’ai toujours avec moi. Ça me donne la force de faire mon deuil », dit-elle, comme si la mort de sa fille remontait à quelques semaines à peine.