Développement énergétique au Québec

Un débat est plus que nécessaire

Dans un contexte mondial où la sécurité énergétique devient un enjeu encore plus crucial, il faut déplorer que la question des exportations d’Hydro-Québec n’ait jamais été formellement débattue sur la place publique.

Or, au cours des dernières années, Hydro-Québec a signé des contrats à long terme majeurs avec des clients des États du Massachusetts et de New York. Avec son énergie verte, Québec inc. souhaite devenir la « batterie de l’Amérique du Nord », répondant ainsi à la mission qu’il s’est donnée de contribuer à une vaste opération de décarbonation au nord-est de l’Amérique.

Pendant que notre société d’État annonce au monde économique québécois qu’elle ne pourra plus fournir d’électricité à tous les nouveaux projets industriels – faute de disponibilité –, ces exportations massives projetées vers les États-Unis représentent deux fois et demie la production annuelle d’électricité du Complexe de La Romaine.

Comment donc sont gérés les risques liés à des exportations à long terme qui nécessitent de mobiliser 4000 MW de capacité de production hydroélectrique du Québec, alors que nos propres cibles de réduction de gaz à effet de serre s’éloignent chaque année de la réalité mesurée ?

Sécurité énergétique

Peu de juridictions disposent sur leur territoire de gisements d’énergie verte aussi riches que ceux qu’on trouve partout au Québec. De telles ressources devraient nous affranchir de la dépendance aux carburants fossiles. Pourtant, en 2019, les ménages québécois en ont importé pour 7,9 milliards de dollars (2105 $ par ménage).

Or, les exportations massives d’Hydro-Québec favorisent le jeu de la grappe fossile, compromettant ainsi notre autonomie énergétique.

On devrait s’inquiéter notamment du scénario biénergie proposé par Hydro-Québec et Énergir, qui demandent à la Régie de l’énergie que leur soit reconnu un principe de compensation commerciale tout à fait inusité entre deux monopoles de distribution d’énergie. Hydro-Québec compenserait Énergir pour ses pertes de revenus résultant du remplacement du chauffage au gaz par un système de chauffage biénergie alimenté exclusivement en gaz pendant les heures de la saison froide où la demande d’électricité est maximale. Implicitement, ce projet favorise l’expansion du réseau gazier péri-urbain en facilitant notamment le recrutement de nouveaux clients qui profiteraient de subventions pour leur conversion à la biénergie. Un véritable plan d’efficacité énergétique offre pourtant d’autres options de réduction des besoins de chauffage au Québec.

Des dirigeants d’Hydro-Québec et d’Énergir confirment qu’Hydro-Québec n’envisage plus l’option du tout-à-l’électricité : le TAE nécessiterait 2000 MW de puissance additionnelle en période de pointe alors qu’un déficit de puissance est prévu pour 2030. Comment justifier alors de réserver à long terme 4000 MW de capacité hydroélectrique du Québec pour approvisionner New York et Boston ?

Gouvernance d’Hydro-Québec et acceptabilité sociale

Les habitants du Maine, consultés par référendum à l’automne 2021, ont répondu « non » (à 59 %) au corridor de transport d’électricité vers Boston. Alléguant que ceux-ci auraient été influencés par le lobby américain du pétrole et du gaz, Hydro-Québec a choisi de faire appel aux tribunaux pour tenter de lever l’obstacle référendaire.

La population québécoise ne pourrait-elle pas avoir également un droit de regard sur l’usage commercial de son électricité patrimoniale ? Les décisions d’Hydro-Québec sont-elles transparentes à cet égard ? Comme société d’État, Hydro-Québec ne devrait-elle pas rendre publiques ses projections annuelles de revenus et les conditions contractuelles des livraisons de puissance en base destinées à l’exportation ? Ce sont bien les abonnés d’Hydro-Québec qui sont mis en garantie de toutes ses décisions financières.

Il y a certes un risque économique à fixer pendant 25 ans un prix de vente trois fois plus bas que les tarifs d’électricité actuels en Nouvelle-Angleterre. Entre autres, ces « livraisons » sont assorties de pénalités sévères en cas de rupture d’approvisionnement – pensons en particulier aux événements climatiques extrêmes désormais prévisibles. Par ailleurs, elles privent le Québec pendant plusieurs décennies d’un bloc de puissance de 10 % de sa capacité hydroélectrique actuelle, ce qui entrave son propre développement économique et accentue le problème des heures de pointe.

Une autre conséquence de ces exportations massives est de céder, au bénéfice des États-Unis, des crédits d’émissions de GES sur les marchés du carbone ; ceux-ci deviennent la propriété de l’acheteur, qui bénéficiera de l’importante croissance de leur valeur au cours des années.

Enfin, face à l’enjeu de la résilience énergétique dans le contexte de gouvernance actuel, d’autres projets de production et de transport en territoire québécois – de plus en plus coûteux – pourraient nous être annoncés, ce qui soulèvera de vifs débats socio-écologiques, alors que l’efficacité énergétique (des gisements de Négawatts sous-exploités) demeure l’angle mort des investissements actuels en énergie.

Exporter de l’énergie verte, importer de l’énergie fossile

L’argument du surplus d’électricité ne peut être évoqué tant que nous continuons à importer des carburants fossiles. Les flux énergétiques rentrant et sortant du Québec constituent un tout.

Il faut s’inquiéter en ce sens de l’opacité du cadre décisionnel qui mène aux exportations extrêmes ou qui permettrait une alliance biénergie Hydro-Québec–Énergir avec Contribution GES versée par Hydro-Québec à Énergir pendant 30 ans. On peut craindre également que le lobbyisme ne gangrène l’appareil décisionnel.

Nous croyons qu’un sain débat démocratique s’avère plus que nécessaire pour permettre de recadrer l’imaginaire énergétique des décideurs au Québec, en vue d’utiliser efficacement nos gisements d’énergie verte pour développer et diversifier notre économie, favoriser la souveraineté alimentaire et accélérer l’électrification des transports, du bâtiment et de l’industrie avant 2050.

*Les sources et références associées à cet article sont disponibles sur le site du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec.

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