L’édito vous répond

Si on roule tous en voiture électrique, il faudra une taxe kilométrique

« Les propriétaires de voitures électriques sont fiers des économies qu’ils réalisent. Nous savons tous que l’essence est super taxée par les gouvernements. À quel moment les gouvernements vont-ils aller récupérer ces taxes manquantes ? » — Michèle Lamarre

Votre question tombe à point : le gouvernement du Québec et la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) se penchent justement sur le sujet.

La CMM, qui regroupe les 82 villes de la grande région de Montréal, estime qu’il y a « urgence » d’imposer une taxe kilométrique pour financer les transports collectifs. Le principe d’une taxe kilométrique : vous payez une taxe en fonction de la distance parcourue par votre auto. La CMM fera bientôt une étude de faisabilité d’une telle taxe en se basant sur l’exemple de Bruxelles, a écrit la semaine dernière notre collègue Henri Ouellette-Vézina.

De son côté, le ministère des Transports étudie six façons de remplacer l’actuelle taxe sur l’essence par d’autres taxes pour les automobilistes, a écrit Le Journal de Montréal récemment. Parmi ces options : une taxe kilométrique, une taxe à l’achat ou à l’utilisation de véhicules polluants, et une taxe de recharge pour les véhicules électriques.

Ne vous attendez pas à des changements au cours des quatre prochaines années : le gouvernement Legault a fermé la porte à double tour à de nouvelles taxes pour les automobilistes. « On se projette dans 15, 20 ans en disant : si on a un objectif de 100 % de véhicules verts en 2035, comment on va financer nos nouvelles infrastructures », disait le ministre des Transports François Bonnardel (avant le remaniement ministériel), pour expliquer l’exercice de son ministère. C’est d’ailleurs un exercice important et essentiel.

L’écofiscalité est très utile. On s’en sert pour inciter les gens à changer leurs comportements et à être plus verts. C’est une très bonne chose que les contribuables qui ont une plus grande empreinte carbone paient plus cher. Mais à long terme, quand les comportements auront évolué, il faudra conserver une assiette fiscale permettant de financer nos biens et services publics.

À elles seules, les taxes sur le carburant représentent des entrées de 2,1 milliards pour le gouvernement du Québec en 2021-2022, et environ 1,1 milliard pour le gouvernement fédéral (la part pour les automobilistes québécois ; voir note 1). Pour Québec, la taxe sur le carburant représente environ 2 % de ses revenus autonomes, et 1,5 % de ses revenus totaux (en comptant les transferts fédéraux).

29,20 cents

Au Québec, les taxes sur le carburant représentent 29,20 cents le litre (19,2 cents le litre pour le provincial, 10 cents le litre pour le fédéral). Dans certaines villes (comme Montréal), on ajoute 3 cents le litre pour financer les transports collectifs, pour arriver à un total de 32,20 cents le litre. En plus de cette somme, environ 5 cents par litre vont à la Bourse sur le carbone.

Si tout le Québec passait à l’auto électrique d’un coup de baguette magique demain matin, on diminuerait de façon importante nos émissions de CO2 (- 18 millions de tonnes de CO2 par an). On passerait ainsi de 84 à 66 millions de tonnes de CO2 par an, alors que la cible officielle de Québec est de 54 millions de tonnes de CO2 en 2030.

Sur le plan fiscal, Québec perdrait aussi ces 2,1 milliards en revenus qui financent les routes, les écoles, les hôpitaux.

Cela dit, sur le plan strictement fiscal, la situation ne presse pas tant que ça pour Québec.

Les véhicules électriques sont 10 fois plus nombreux sur nos routes qu’il y a cinq ans (13 000 véhicules électriques en 2016, 129 300 en 2021). Mais ça reste (malheureusement) un phénomène marginal : ils représentent actuellement 1,8 % du parc automobile au Québec. On répète : seulement 1,8 %. En ajoutant les véhicules hybrides, on arrive à 3,0 %.

Québec n’est donc pas près de perdre tout l’argent de sa taxe sur le carburant.

Quand ça arrivera, le plus logique serait de remplacer la taxe sur le carburant par une taxe kilométrique. Dans l’intervalle, pour favoriser l’électrification des transports, on peut aussi instaurer une taxe kilométrique moins élevée pour les véhicules électriques.

À long terme, Québec devra continuer à financer l’entretien et la construction de routes. « L’avantage d’une taxe kilométrique, c’est que ça permettrait de travailler à réduire les déplacements », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. « On transférerait vers d’autres modes de transport comme les transports collectifs et le transport actif. »

Une question en terminant : les automobilistes paient déjà pour les routes ? Pas tout à fait.

En 2017, les automobilistes québécois versaient 4,8 milliards par an aux différents gouvernements en taxes spécifiques à l’automobile (taxes sur l’essence, permis de conduire, péages). Il en coûtait 5,5 milliards à Québec et aux villes pour les routes, selon les calculs de Jean-Philippe Meloche, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal et chercheur au CIRANO.

Pour boucler le budget, Québec a puisé environ 800 millions dans son fonds consolidé, financé par tous les contribuables.

Note 1 : Le montant provincial inclut aussi la taxe sur les carburants sur d’autres moyens de transport (ex. l’avion), mais l’auto représente la très grande majorité de ce montant. Le montant fédéral est une estimation effectuée à partir du montant provincial.

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