Conflit Israël-Palestine

Jusqu'où ira Israël ?

Israël a déployé ses chars et ses blindés en périphérie de Gaza, au cinquième jour d’un nouveau conflit entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens, le plus sanglant depuis 2014. Une centaine de morts, des écoles et des hôpitaux en ruine et des tensions communautaires sans précédent : alors que le bilan s’aggrave de jour en jour, l’armée israélienne a annoncé que ses troupes pénétraient le territoire palestinien, avant de se raviser soudainement, prétextant une erreur de communication, vendredi matin. Mais les experts s’entendent sur un point : ça ne fait que commencer.

Des chars et d’autres véhicules blindés se sont massés jeudi le long de la barrière séparant l’enclave palestinienne du territoire israélien. « Nous sommes prêts et continuons à nous préparer à différents scénarios », 1a affirmé à l’Agence France-Presse (AFP) Jonathan Conricus, porte-parole de Tsahal, l’Armée de défense d’Israël, soutenant qu’une invasion terrestre était « l’un des scénarios ».

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’armée israélienne écrivait dans un bref message que « l’aviation israélienne et des troupes au sol [menaient] actuellement une attaque dans Gaza ». Or, elle s’est rapidement ravisée, tôt vendredi matin (heure locale), citant un « problème de communication à l’interne ». Les troupes bombardaient plutôt Gaza de l’extérieur du territoire.

Tactique de peur ou simple erreur ? Dov Waxman, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles, penche pour la deuxième hypothèse, mais apporte des nuances. « Le déplacement de troupes à la frontière indique au Hamas qu’Israël est prêt à aller plus loin dans l’escalade et envoie un message au public israélien que l’armée est prête à se battre, mais je doute que ce soit le prélude à une invasion militaire à grande échelle de Gaza », indique-t-il à La Presse.

Depuis le début de ce nouveau cycle de violences, au moins 103 Palestiniens ont été tués, dont 27 enfants, et 580 ont été blessés, selon le dernier bilan du ministère de la Santé de Gaza. Au moment où ces lignes étaient écrites, Israël déplorait sept morts, dont un enfant, et près de 300 blessés.

Trois roquettes ont été tirées jeudi soir du Liban vers Israël, mais sont tombées en Méditerranée, selon l’armée. Il n’a pas été confirmé si les projectiles étaient ceux du groupe armé chiite Hezbollah, ennemi juré d’Israël, mais ils ont été tirés d’un secteur proche d’un camp de réfugiés palestiniens.

Domination militaire et politique

Alors que l’aviation israélienne poursuit ses bombardements des sites du Hamas, des centaines d’habitants palestiniens doivent quitter leurs maisons précipitamment pour fuir les frappes, selon des témoins et des journalistes de l’AFP sur place.

Rappelons que c’est l’expulsion de familles palestiniennes au profit de colons juifs à Jérusalem-Est qui a mis le feu aux poudres. Depuis le début du mois de ramadan, des contestataires palestiniens et la police israélienne se sont affrontés à ce sujet sur l’esplanade des Mosquées, situation qui a culminé par un barrage de roquettes du Hamas tirées vers Israël en signe de « solidarité » avec les Palestiniens blessés lors de ces heurts.

« Ces dernières années, Israël pensait pouvoir étouffer les demandes palestiniennes, mais les frustrations populaires ont fini par exploser. [Le] Hamas a saisi [l’occasion] et a fait du mouvement de contestation populaire le début d’un mouvement militaire », explique Sami Aoun, politologue à l’Université de Sherbrooke.

Selon l’armée israélienne, quelque 1750 roquettes ont été lancées depuis Gaza en l’espace de quelques jours, dont 90 % ont été interceptées par le bouclier antimissile. Tsahal a répliqué avec des centaines de frappes aériennes, endommageant plus de 2600 habitations, 23 écoles et établissements de santé, ainsi que 14 tours résidentielles, selon le bureau des médias du gouvernement à Gaza.

Pour le spécialiste du Proche-Orient à l’UQAM Rachad Antonius, parler d’une « escalade de violences » entre les deux parties est une erreur. « Une escalade sous-entend une symétrie. Il n’y a aucune symétrie entre les rapports de pouvoir », estime M. Antonius. Un avis que partage Sami Aoun. « Israël cherche à atteindre une domination militaire qui lui assurera une domination politique pour les prochaines années. Il ne s’arrêtera pas dans les prochains jours », craint-il.

Tensions populaires

Dans les rues d’Israël, les heurts entre Arabes et Juifs se sont multipliés depuis le début de la semaine. Près de 1000 policiers israéliens ont été appelés en renfort dans certaines villes mixtes. « Les tensions communautaires au Moyen-Orient, il y en a déjà eu, mais le niveau de violence sur le plan individuel est sans précédent », remarque Thomas Juneau, professeur spécialiste du Moyen-Orient à l’Université d’Ottawa.

Jeudi soir, un homme a ouvert le feu à l’arme semi-automatique sur un groupe de Juifs, blessant une personne à Lod, près de Tel-Aviv, selon un témoin et la police. La veille, le lynchage d’un Arabe par des militants israéliens d’extrême droite avait été diffusé en direct à la télévision.

« L’intensité du ressentiment [chez les citoyens] est beaucoup plus élevée que dans le passé. C’est ce qui est inquiétant. Ça augure mal pour l’avenir », poursuit M. Juneau.

La communauté internationale reste prudente

Face à l’intensification du conflit, le Conseil de sécurité de l’ONU doit tenir dimanche une réunion virtuelle publique sur le conflit. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé jeudi soir à « une désescalade et une cessation des hostilités immédiates à Gaza et en Israël ».

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a lui aussi demandé à toutes les parties de mettre fin à la violence, qualifiant d’« inacceptables » les attaques à la roquette contre Israël ainsi que la violence sur l’esplanade des Mosquées à ​Jérusalem.

De son côté, Emmanuel Macron, président de la République française, a « fermement condamné les tirs revendiqués par le Hamas et d’autres groupes terroristes » qui mettent « en grave danger la population de Tel-Aviv » et nuisent « à la sécurité de l’État d’Israël ». La manifestation en soutien au peuple palestinien prévue samedi à Paris a également été interdite à la demande de son gouvernement, en raison de « risques de troubles à l’ordre public ».

À Québec, une motion proposée par Québec solidaire qui condamne « l’augmentation des violences en Palestine et en Israël » a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

— Avec l’Agence France-Presse

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