Vaccins contre le SRAS-CoV-2

Une prouesse qui s’appuie sur des décennies de recherche

Le 8 décembre 2020 au Royaume-Uni, Margaret Keenan a été la première personne à recevoir le vaccin de Pfizer/BioNTech contre le virus SRAS-CoV-2 en dehors d’un essai clinique. La séquence du virus, information indispensable à la fabrication d’un vaccin, a été publiée le 5 janvier 2020, soit moins d’un an avant la première vaccination. Nous devons nous émerveiller de cet exploit scientifique inédit.

Pour autant, la rapidité de la mise au point de ces vaccins a engendré un certain scepticisme et une crainte que les étapes nécessaires à la vérification de leur sécurité n’aient pas été rigoureusement suivies. Il n’en est rien. Certes, la mobilisation exceptionnelle des laboratoires publics et privés, les investissements financiers extraordinaires, l’intensité de la transmission au moment des tests cliniques, et la rapidité d’examen des résultats par les agences règlementaires ont permis d’accumuler et d’analyser les données avec une rapidité sans précédent.

Mais cet exploit scientifique n’est pas seulement l’aboutissement d’une année de recherche intense ; il s’appuie sur des connaissances acquises au cours des dernières décennies.

Les années 60 ont vu des avancées spectaculaires dans la compréhension des processus biologiques qui permettent à nos cellules d’utiliser l’information génétique pour produire des protéines par l’intermédiaire d’un ARN messager.

L’étude des bactériophages, ces virus qui infectent des bactéries, a permis de mettre au point un système pour produire artificiellement ces molécules d’ARN messager, mais également de reconnaître que des ARN pouvaient être protégés par encapsulation dans des « cages de lipides ». La production et la stabilité de ces molécules d’ARN ont été améliorées grâce aux techniques de biologie moléculaire. La science des lipides a permis d’optimiser les nanoparticules lipidiques pour encapsuler les ARN.

En parallèle, les recherches en virologie ont identifié les composantes des virus qui déclenchent une réponse immunitaire. L’étude des coronavirus, dont le SRAS responsable de l’épidémie de 2003, a mis en évidence l’importance de la protéine S (Spike), cette partie du virus responsable de son entrée dans les cellules et contre laquelle sont dirigés les vaccins. La connaissance de la structure détaillée de la protéine S a ouvert la voie à la production de versions stabilisées, indispensables à l’efficacité vaccinale.

L’idée d’utiliser de l’ARN messager comme thérapie par injection dans des cellules musculaires pour y produire des protéines date du début des années 90, et des années de recherches subséquentes ont permis d’améliorer ces systèmes jusqu’aux premiers essais précliniques de vaccins contre des virus respiratoires en 2012.

Tout était donc prêt au début de l’année 2020 pour tenter l’expérience des vaccins à ARN lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé. Sans retirer aucun crédit à tous les acteurs concernés et notamment les compagnies pharmaceutiques, laboratoires publics, décideurs politiques et agences réglementaires qui ont uni leurs efforts pour aboutir à une mise en marché des premiers vaccins en un temps record, et tout en nous émerveillant de cet exploit scientifique collectif, reconnaissons qu’il n’aurait pas été possible sans les connaissances fondamentales produites par des générations de chercheurs en biologie moléculaire, virologie, immunologie, biophysique, et bien d’autres domaines scientifiques dans une démarche ouverte, guidée par la curiosité et la créativité.

Comme le démontre Abraham Flexner dans son essai classique intitulé The usefulness of useless knowledge1, ces connaissances a priori inutiles, qui n’ont pas d’application immédiate, forment le socle indispensable sur lequel s’appuient les percées médicales et technologiques qui nous permettent de lutter contre les fléaux tels que la pandémie de COVID-19.

* Nathalie Grandvaux est également professeure de biochimie et de médecine moléculaire à l’Université de Montréal et co-directrice du Réseau québécois COVID-Pandémie ; Vincent Poitout est également professeur de médecine à l’Université de Montréal.

1 The usefulness of useless knowledge. Abraham Flexner. Princeton University Press, 2017 ; 93 pp ; ISBN : 978-0-69 117-476-1.

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