Oui, on peut discuter d’immigration calmement

Il s’est passé quelque chose d’encourageant au Québec la semaine dernière : la classe politique a discuté d’immigration calmement, sans se crier des noms.

L’immigration est un enjeu important. Et sensible. Les raccourcis sont dangereux et peuvent faire mal à des centaines de milliers de Québécois issus de l’immigration. On se rappelle les déclarations déplorables de François Legault et de Jean Boulet durant la campagne électorale de 2022.

Il y a deux semaines, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, et le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard ont commencé à « débattre » d’immigration par messages interposés sur X. Ils se reprochaient tous les deux de polariser le débat. Ça commençait mal…

Radio-Canada a saisi la balle au bond et a invité les chefs des cinq principaux partis provinciaux à débattre d’immigration à RDI, sous la direction du chef d’antenne Patrice Roy. Quatre d’entre eux se sont présentés : Marc Tanguay (PLQ), Paul St-Pierre Plamondon (PQ), Gabriel Nadeau-Dubois (QS) et Éric Duhaime (PCC). Le premier ministre François Legault et la ministre de l’Immigration Christine Fréchette ont (malheureusement) décliné l’invitation.

Durant ce débat, les quatre partis ont pu exposer leurs positions calmement et assez sereinement. Dans un dossier aussi délicat, c’est déjà une victoire.

Des débats sereins sur l’immigration, il faudra en faire davantage. Pour bien expliquer aux Québécois cet enjeu crucial.

C’est pourquoi j’ai poursuivi la conversation sur l’immigration avec les quatre partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, qui disent tous souhaiter des débats cordiaux et sereins sur la question, sans s’accuser de tous les maux.

« Je sais que c’est un sujet chaud qui sollicite les passions de plusieurs, mais c’est important de garder un débat calme, serein et posé au Québec, dit la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette. Il ne faut jamais oublier qu’il est question de familles et de personnes. […] J’ai trouvé que [les débats sur l’immigration] en 2023 ont été intenses, mais somme toute cordiaux, calmes et sérieux. »

On a la chance d’avoir des parlementaires de grande qualité qui sont responsables du dossier de l’immigration. La ministre Fréchette a été l’une des belles surprises du gouvernement Legault au cours de la dernière année. Le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard, avocat en immigration, est le parlementaire qui connaît le mieux ce dossier. Au PQ, Pascal Bérubé est l’un des députés les plus dévoués et respectés de l’Assemblée nationale. Le chef du PLQ, Marc Tanguay, a eu un ton posé et respectueux lors du débat à Radio-Canada.

« Est-ce qu’on peut en parler calmement, avec respect, en faisant en sorte que la population soit au courant des véritables enjeux, sans qu’on fasse peur au monde ? Ça m’apparaît essentiel », dit le député libéral André A. Morin.

« J’espère qu’on pourra [en parler] calmement, dit le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. Mais aussi sur une base d’expertise. »

« Je veux qu’on parle des vraies choses. Si des gens font la promotion de la réduction des seuils d’immigration permanente, je veux qu’ils nous expliquent les conséquences de leurs choix. »

— Guillaume Cliche-Rivard, député de Québec solidaire

« On a la seule formation politique qui a la même position qu’aux élections de 2022, dit le député péquiste Pascal Bérubé. QS et le PLQ nous accusent régulièrement de ne pas être aussi sensibles qu’eux à l’immigration. Pourtant, le PQ a un historique très important [en matière d’immigration]. C’est Jean Couture, ministre de l’Immigration dans le gouvernement Lévesque, qui a organisé l’accueil exceptionnel des réfugiés du Viêtnam. »

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Avec la pénurie de main-d’œuvre, la crise du logement, les difficultés de nos services publics, combien devons-nous accueillir d’immigrants ? Combien d’immigrants permanents ? Combien de temporaires ?

Ce sont des questions très complexes. Quiconque dit que la réponse est simple vous ment ou n’a pas étudié ça avec suffisamment de sérieux.

En 2022, j’ai tenté de déterminer le seuil idéal d’immigration permanente pour le Québec. J’ai passé trois semaines à interviewer des experts, à recenser les études sur l’impact économique de l’immigration, à me battre avec mes chiffriers Excel. La conclusion de ma modeste recherche : il faudrait hausser le seuil à 67 500 immigrants permanents1.

En 2023, le seuil était de 50 000. Il est passé à 64 600 immigrants en 2024 et doit redescendre à 56 600 en 2025.

Mais voilà, l’immigration permanente ne représente que la moitié du débat. L’autre moitié, occultée pendant trop longtemps, porte sur l’immigration temporaire, qui a explosé au Québec depuis deux ans.

Pour deux raisons : l’économie québécoise est devenue accro aux travailleurs temporaires en raison de la pénurie de main-d’œuvre, et le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de façon importante (comme c’est le cas ailleurs dans le monde).

En 2023, le Québec a accueilli 50 000 immigrants permanents. Mais on a aussi accueilli 86 000 travailleurs étrangers temporaires supplémentaires, 20 000 étudiants étrangers et 55 000 demandeurs d’asile. À moyen terme, 167 000 nouveaux immigrants temporaires par année, ça excède notre capacité d’accueil. Tous les partis politiques, sauf le PLQ, le reconnaissent et souhaitent diminuer l’immigration temporaire.

Sur l’immigration, le Parti québécois et le Parti libéral du Québec ont des positions tranchées et très opposées. Le PLQ est le seul parti à ne pas vouloir diminuer le recours aux immigrants temporaires. À l’autre bout du spectre, le PQ propose une réduction importante de l’immigration temporaire et de l’immigration permanente (on passerait de 64 600 à 35 000 immigrants permanents par an). À mon avis, ces deux positions ne tiennent pas la route dans la situation actuelle.

La position de Québec solidaire me semble la meilleure et la plus pragmatique : diminuer le recours à l’immigration temporaire, tout en haussant les seuils d’immigration permanente. La Coalition avenir Québec réfléchit aussi à la possibilité de diminuer le recours à l’immigration temporaire, et a haussé les seuils permanents depuis deux ans (après avoir dit le contraire en campagne électorale).

Beaucoup d’immigrants temporaires attendent d’obtenir un statut d’immigrant permanent, mais les seuils actuels (trop faibles) agissent comme un goulet d’étranglement.

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Malgré tous les désaccords, il se dégage plusieurs consensus – ou quasi-consensus – en immigration sur la scène politique provinciale.

Premier consensus : les seuils d’immigration permanente du gouvernement Trudeau (500 000 immigrants permanents par an au pays, ce qui voudrait dire environ 110 000 par an au Québec) sont trop élevés.

Deuxième consensus : on doit trouver une façon de répartir les demandeurs d’asile à travers les provinces au prorata de leur population. Ça ne sera pas facile à faire en pratique pour Ottawa. Quelque chose me dit que les provinces de l’Ouest et de l’Atlantique, qui n’en accueillent pas assez, ne lèveront pas la main facilement…

Premier quasi-consensus : on devrait réduire notre dépendance aux travailleurs étrangers temporaires, tout en reconnaissant qu’il y en aura toujours un nombre raisonnable (ex. : en agriculture, dans le manufacturier, chez les travailleurs spécialisés). Seul le PLQ n’est pas d’accord.

Finalement, une idée de QS qui mériterait de faire consensus : un comité d’experts indépendants pour étudier la capacité d’accueil du Québec. Un tel comité pourrait faire des recommandations publiques au gouvernement, en expliquant ses calculs. Actuellement, « les partis [politiques] fonctionnent au pif », disait le co-chef solidaire Gabriel Nadeau-Dubois au débat de Radio-Canada.

Discuter d’immigration calmement, c’est essentiel.

Le faire en se basant sur des faits plutôt qu’à son « pif », ça l’est tout autant.

Que proposent les partis politiques en immigration ?

Combien doit-on accueillir d’immigrants chaque année au Québec ? Quelles catégories d’immigrants doit-on accueillir ? Ce débat est complexe. Pour vous éclairer, nous avons demandé à chacun des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale ce qu’ils proposent pour les seuils d’immigration permanente, pour l’immigration temporaire, ainsi que leurs deux dossiers prioritaires.

La situation actuelle

Immigration permanente

Seuil d’immigration permanente : 64 600 immigrants en 2024, 56 600 immigrants en 2025

Immigration temporaire

Il n’y a pas de seuil pour les immigrants temporaires, qui comprennent les détenteurs de permis de travail temporaire, les étudiants étrangers et les demandeurs d’asile. En vertu du droit international, on ne peut pas refuser d’accueillir un demandeur d’asile avant d’étudier son dossier. Il y a actuellement 528 000 immigrants temporaires au Québec, qui en a accueilli 94 000 nouveaux en 2022 et 167 000 en 2023.

Coalition avenir Québec

Immigration permanente

64 600 immigrants en 2024, 56 600 immigrants en 2025

Immigration temporaire

Le gouvernement Legault veut réduire le nombre d’immigrants temporaires. La CAQ veut qu’Ottawa réduise le nombre de demandeurs d’asile au Québec (on en accueille plus que notre poids démographique). Pour les travailleurs et les étudiants, le gouvernement Legault n’a pas encore pris de décision, mais étudie des moyens d’en diminuer le nombre.

Deux priorités

Réduire le nombre de demandeurs d’asile : La CAQ veut qu’Ottawa prenne des mesures pour que le Québec accueille à l’avenir environ 22 % des demandeurs d’asile. Actuellement, environ 55 % des demandeurs d’asile au pays sont au Québec, selon Statistique Canada1. Québec veut qu’Ottawa resserre sa gestion des visas, que les demandeurs d’asile soient répartis dans l’ensemble du pays de façon volontaire et que la totalité des dépenses d’accueil des demandeurs d’asile lui soit remboursée. « Nous recevons les demandeurs d’asile avec toute la dignité qu’il faut, mais leur nombre est tel qu’on arrive à un point de rupture pour l’octroi de services adéquats », dit la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette.

La francisation : La CAQ veut hausser les services de francisation, mais Francisation Québec n’a traité que 40 % des demandes depuis sa création il y a sept mois. « Nous avons investi des sommes considérables dans Francisation Québec, dit la ministre Fréchette. Nous voulons mettre les bouchées doubles pour embaucher le personnel requis afin de répondre à la vaste demande. »

Parti libéral du Québec

Immigration permanente

70 000 immigrants par an

Immigration temporaire

Le PLQ ne donne pas de cible pour l’immigration temporaire, et ne précise pas s’il veut hausser ou diminuer le nombre d’immigrants temporaires économiques et d’étudiants étrangers.

Deux priorités

Mettre sur pied une politique migratoire « coordonnée et planifiée » : Selon le député libéral André A. Morin, il faut « accueillir autant d’immigrants temporaires qu’on en a besoin pour faire fonctionner l’économie québécoise, pour s’assurer qu’on restera concurrentiel. D’ici 2030, il va y avoir 1,6 million de travailleurs qui ne seront plus sur le marché du travail. »

Accélérer les réunifications familiales par l’immigration : Il y a actuellement 36 000 immigrants en attente d’une décision de regroupement familial, et Québec n’en accepte que 10 000 par an. On parle ici de membres de la famille directe immédiate (un conjoint, un parent ou un enfant). Résultat : le délai d’attente est d’environ 41 mois au Québec, contre 12 mois dans le reste du Canada. « Pourquoi [c’est si long] ? Parce que le gouvernement Legault limite les seuils, dit M. Morin. Les gens vont attendre trois ans pour être réunis, et ça ne demande pas de logement. Ce n’est pas normal d’avoir des familles québécoises séparées aussi longtemps. »

Québec solidaire

Immigration permanente

Seuil entre 60 000 et 80 000 immigrants par an

Immigration temporaire

QS estime qu’il faut réduire le nombre d’immigrants temporaires. Le parti suggère de former un comité d’experts pour déterminer la capacité d’accueil de chaque région. Il demande aussi à Ottawa de répartir les demandeurs d’asile de façon volontaire à travers le pays au prorata du poids démographique des provinces.

Deux priorités

Faire respecter les pouvoirs du Québec en matière d’immigration : Selon Québec solidaire, l’accord Canada-Québec sur l’immigration donne au Québec le pouvoir de contrôler l’immigration temporaire. « À très court terme, le Québec doit faire respecter son pouvoir d’autoriser les travailleurs étrangers temporaires, comme l’accord le prévoit, dit le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. Pour une raison que je ne comprends pas, la CAQ refuse d’utiliser ses leviers. »

Mettre sur pied un comité d’experts qui établit la capacité d’accueil : « On est rendu à 530 000 immigrants temporaires, la capacité d’accueil actuelle est dépassée, dit M. Cliche-Rivard. On veut que des économistes, des démographes, des gens des services publics, des experts en francisation déterminent la capacité d’accueil de chacune des régions en fonction de la disponibilité du logement, des services publics, de la capacité de francisation et aussi de l’apport de l’immigration dans l’économie. À partir de là, on pourra prendre nos décisions politiques. Et si on veut augmenter notre capacité d’accueil, il faut investir. »

Parti québécois

Immigration permanente

35 000 immigrants par an

Immigration temporaire

Le PQ croit qu’il faut réduire l’immigration temporaire, tant pour les demandeurs d’asile que les travailleurs ou les étudiants. Le PQ imposerait des seuils d’immigration temporaire dans plusieurs secteurs de l’économie.

Deux priorités

Établir la capacité d’accueil pour l’ensemble de l’immigration (permanente et temporaire) : « Ça va dépendre de la capacité de loger les gens, de francisation, des services d’accueil pour les enfants, dit le député péquiste Pascal Bérubé. On souhaite que l’immigration soit une expérience réussie. Pour que les gens soient heureux, ça implique de dire la vérité : il y a un seuil au-delà duquel on ne pourra pas accueillir correctement. La véritable responsabilité, c’est que les gens [les immigrants] soient heureux, et non de se lancer dans une surenchère clientéliste et électoraliste. Ça implique de dire la vérité. C’est l’attitude la plus responsable. »

Une cérémonie québécoise pour les nouveaux arrivants : Le PQ suggère aussi d’organiser des cérémonies d’accueil, sur une base volontaire, pour les nouveaux arrivants, afin de leur présenter les valeurs fondamentales du Québec comme l’égalité hommes-femmes, la primauté du français et la laïcité des institutions. « On veut la possibilité d’avoir une cérémonie d’accueil, car je suis loin d’être certain qu’on insiste sur les valeurs québécoises dans les cérémonies officielles du fédéral [sur la  citoyenneté]. Les députés qui le souhaitent pourraient organiser de telles cérémonies », dit M. Bérubé.

1. Ces chiffres de Statistique Canada ne tiennent pas compte du fait qu’un certain pourcentage des demandeurs d’asile déménagent dans une autre province après leur arrivée au Québec. Selon des chiffres répertoriés par Le Devoir, le Québec a accueilli 35 % des nouveaux demandeurs d’asile au pays en 2023 si on tient compte des mouvements interprovinciaux, plutôt que 45 % (si on ne tient pas compte des mouvements interprovinciaux après l’arrivée au Québec). Le Québec représente 22 % de la population canadienne.

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