Projet de loi 96

Un fardeau en plus pour les entrepreneurs

Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Langue française, a annoncé, jeudi, la formation d’un comité de francisation en soutien aux PME de 25 à 49 employés, désormais assujetties à la loi 101. Plusieurs groupes et détaillants craignent que la priorisation du français au travail, l’obligation de servir les clients dans la langue de Molière et les autres changements annoncés dans le projet de loi 96 ne pèsent sur les épaules des petites entreprises et des petits commerces.

« On est inquiets de voir le fardeau administratif et réglementaire augmenter », admet François Vincent, vice-président Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

« L’Office québécois de la langue française va accompagner, et c’est bien. Mais pour les PME de 25 à 49 employés, qui ont moins de ressources, ça sous-entend encore de remplir de nombreux formulaires. Et ce, même pour un garage ou un resto au Lac-Saint-Jean qui opère déjà en français. »

Selon un sondage interne mené par la FCEI, 56 % des PME québécoises s’opposent au fait d’assujettir à la francisation les PME de 25 à 49 employés.

« Il y a certes une transition de trois ans, mais la paperasse va être obligatoire. Or, la situation actuelle de la COVID fait en sorte que les PME sont fragiles. Elles sont pour la protection de la langue française, mais par des actions chirurgicales. »

— François Vincent, vice-président Québec de la FCEI

Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) ont des craintes similaires. « Comme on est en pandémie, on aimerait que ce soit le plus simple possible », signale aussi Véronique Proulx, PDG de MEQ.

Cela dit, les associations et regroupements interviewés par La Presse ne s’opposent pas au renforcement du français au travail. « On partage l’objectif, dit Michel Leblanc, PDG de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Mais une paix linguistique est primordiale pour les affaires. L’image de marque de la ville est très importante. Quand on essaie d’attirer des talents et des investisseurs de l’extérieur, il ne faut pas donner l’impression d’avoir des conflits. »

Au-delà des frontières

Selon le CCMM, il y a comme préoccupation le fait que les entreprises auront à justifier pourquoi elles ont favorisé telle embauche plutôt que telle autre. « Il ne faut pas que ça devienne une imposition d’avoir à expliquer à un fonctionnaire pourquoi l’anglais est nécessaire », explique M. Leblanc.

« Si on était à Helsinki, on verrait l’anglais comme un outil utile pour les affaires et non un outil d’assimilation. Cela dit, le gouvernement dit qu’il tiendra compte de l’extérieur. »

— Michel Leblanc, PDG de la CCMM

« Telles que rédigées, les restrictions imposées aux entreprises quant à la connaissance d’autres langues limitent les possibilités d’embauches, de croissance et de développement, estime Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, dans un communiqué. Elles paraissent difficilement compatibles avec la réalité économique du Québec. Notre économie est fortement axée sur l’exportation de nos produits et de notre savoir-faire dans un monde de plus en plus ouvert. Nos frontières ne doivent pas nous servir de remparts, mais plutôt de tremplins pour propulser nos entreprises vers de nouveaux marchés. »

De son côté, le Conseil québécois du commerce de détail soutient que les détaillants ne se rebiffent pas devant les énoncés du projet de loi 96. Mais encore faut-il qu’ils puissent attirer des travailleurs francophones, en cette ère de pénurie de main-d’œuvre. « Le commerçant qui donne un service au centre-ville de Montréal ou dans [l’Ouest-de-l’Île] a de la difficulté à recruter, note son directeur général Jean-Guy Côté. Ce n’est pas un manque de volonté. Il y aura toujours des détaillants récalcitrants, mais la plupart comprennent que c’est un trait distinctif de Montréal, son côté francophone, pour les touristes. »

D’ailleurs, le « Bonjour-Hi » sera-t-il encore de mise à l’arrivée d’un client dans un commerce ? « Ce n’est pas dans la loi », a répondu le ministre Jolin-Barrette en conférence de presse. Il invite néanmoins les commerçants à simplement dire « Bonjour ».

D’autres réactions

« Il est rassurant de lire que le projet de loi du ministre prévoit que les travailleurs et travailleuses auront droit à un milieu exempt de discrimination ou de harcèlement relativement à l’usage du français. La mise en place de nouveaux moyens pour assurer la prédominance du français dans les milieux de travail nous permettra de donner un souffle nouveau aux comités de francisation. Nos revendications en matière de langue du travail ont aussi été entendues et les syndicats affiliés à la FTQ seront prêts à collaborer avec les employeurs pour la mise en place des programmes de francisation dans les entreprises de 25 employés et plus. Quant au renforcement des mesures pour contrer les exigences de bilinguisme souvent farfelues de certains employeurs, il était temps que l’on agisse pour arrêter cette lourde tendance. »

— Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ

« Il était temps qu’on arrête de jouer à l’autruche en refusant d’admettre la lente anglicisation de l’ensemble du Québec, et du Grand Montréal en particulier. Des mesures s’imposaient et nous sommes soulagés aujourd’hui de constater les efforts notables du ministre Jolin-Barrette en ce sens […] [Par ailleurs] la simple traduction des affiches au travail ne suffit pas à franciser les milieux. Le gouvernement doit valoriser, promouvoir et soutenir la francisation des travailleurs et des travailleuses ainsi que des cadres dans les PME et les grandes entreprises. En ce sens, la création de l’organisme Francisation Québec est une excellente nouvelle. »

— Jacques Létourneau, président de la CSN

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