COVID-19

La Chine au bord de l’implosion

À bout de forces. Face aux soignants débordés, 15 000 nouveaux cas par jour, tous isolés dans des hôpitaux de fortune. Le confinement draconien censé triompher du virus met au supplice les 25 millions d’habitants de la mégapole, et menace de s’étendre à Pékin. Pour le président Xi Jinping, bousculé par l’assaut des variants, pas question de trembler ni d’assouplir sa stratégie contre la pandémie. À quelques mois du XXe congrès du Parti communiste, alors qu’il doit être reconduit pour un troisième mandat, il choisit le durcissement.

En ce chaud week-end de printemps, à Pékin, d’interminables files d’attente se dessinent dès 7 heures du matin devant les magasins : supermarchés, épiceries… tous sont pris d’assaut et dévalisés. Les rayons riz, œufs, fruits et alcools – surtout la bière et le baiju, l’eau-de-vie à base de riz ou de pomme de terre – sont particulièrement prisés. « Tout le monde achète des produits par peur que les stocks soient épuisés », nous explique Zhou Jiaxing, 54 ans, une Pékinoise mafflue et rubiconde.

La semaine dernière, comme les 21 millions d’habitants de la capitale chinoise, Zhou Jiaxing a reçu un message l’avertissant qu’elle devait subir un test COVID-19. « J’ai eu de grosses gouttes de sueur. Je me suis dit : « Non ! Pas ce cauchemar qui revient » », explique cette employée de China Telecom qui, en juin, prendra sa retraite à 55 ans, l’âge légal en Chine pour les femmes. Cette campagne de tests massifs est la réponse à la découverte, dans la ville, de 50 cas quotidiens d’un variant d’Omicron, depuis dix jours. Seuil jugé intolérable en Chine. Ce vendredi, Pékin a bouclé des immeubles d’habitation et fermé des cinémas­, des salles de sport, des centres commerciaux et même des écoles.

La raison d’une telle réaction ? La Chine et ses hiérarques sont épouvantés par ce qui se passe à Shanghai. La censure a beau être vigilante et les vidéos vite retirées, ces dernières ont le temps de circuler sur Weibo ou WeChat, les principaux réseaux sociaux, et de provoquer une peur bleue dans toute la République populaire.

Car la perle de l’Orient n’a plus grand-chose à voir avec la « métropole mouchetée d’ancien et de moderne, la cité incandescente qui éblouit à chaque instant et où l’on respire ces émanations invisibles comme [si l’on] sirotait une liqueur de jade ou de rubis » décrite par Zhou Weihui dans « Shanghai Baby » à l’orée des années 2000. Du Bund à Huaihai Lu, les artères emblématiques sont aussi désertes que celles où erre Will Smith dans « Je suis une légende », et aussi flippantes que celles de « Shaun of the Dead ». À tout instant, on s’attend à voir surgir au coin de la rue des hordes de zombies. Aujourd’hui, le mauvais rêve vécu par sa capitale économique fait craindre à la Chine du zéro COVID-19 un scénario­ noir. Très noir. Un pays bloqué pendant des mois et un bilan humain qui, selon des experts qui préfèrent rester anonymes, « pourrait dépasser les 5 millions de morts ».

« C’est simple, explique un… mandarin européen, fin connaisseur de l’hôpital chinois. La France, 68 millions d’habitants, a enregistré 140 000 décès. La Chine, 20 fois plus peuplée, pourrait en connaître au moins 3 millions si elle laisse le virus vivre sa vie. Voire bien plus, au regard de la médiocrité des politiques de santé et vaccinales. » Selon le chercheur Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique, « le gouvernement central est coincé ». Il détaille : « Depuis deux ans, il fait de sa stratégie zéro COVID-19 un outil de propagande. Son discours : « Regardez les Américains, ils ont 1 million de morts. Nous, avec le zéro COVID-19 et nos 5000 victimes, nous protégeons le peuple. » »

Impossible, donc, de desserrer l’étau sous peine de contaminations, voire de décès massifs. Et impossible aussi de donner un horizon aux 350 millions de Chinois confinés au bord de la crise de nerfs.

Chaque jour, des scènes surréalistes se déroulent à Shanghai. Des doubles grillages sont installés devant des résidences aux portes déjà scellées. La nuit, des dizaines de milliers de citadins hurlent leur désespoir dans un lamento lugubre et glaçant. Des vidéos postées sur Weibo, le Twitter chinois, montrent des bagarres de rue très violentes entre des habitants, excédés, et les « hommes en blanc », ces factotums en combinaison COVID-19 intégrale qui policent la cité. La raison de cette colère ? Le manque d’information, la brutalité de la répression et, surtout, la faim et la soif. Les approvisionnements restent aléatoires, l’eau du robinet n’est pas potable. Dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, un habitant du district de Pudong implore les ouvriers qui installent une clôture autour de son immeuble : « Comment pouvons-nous nous enfuir si un incendie se déclare ? demande-t-il. – Tu peux crever ! Nous sommes juste bons à crever », lui hurle son voisin du dessus. Les mêmes scènes se déroulent dans tout le pays. Vendredi, à Qian’an, dans la province du Hebei, une autre vidéo, filmée par des habitants, montrait des agents, munis d’une perceuse, scellant des tiges de fer sur chaque porte d’appartement. Une nouvelle serrure extérieure est ainsi installée, doublée d’un système d’alarme… pour emmurer vivants les résidents !

Les autorités de Shanghai, elles, alternent le chaud et le froid, annonçant tantôt un assouplissement, tantôt le renforcement des mesures. Officiellement, la ville a recensé moins de 300 morts pour 500 000 cas. « L’âge moyen des personnes décédées est de 84,2 ans et la plupart d’entre elles souffraient de maladies préexistantes », indiquent les statistiques. Mais, selon le « South China Morning Post », journal de Hongkong pourtant partiellement censuré, ces chiffres sont largement sous-estimés.

Alors que la plupart des pays ont fait le choix de « vivre avec le virus », la Chine a mis sous cloche des villes entières pour tenter de le stopper. Environ 350 millions de personnes, soit un quart de la population chinoise disséminée dans 45 mégapoles, subissent actuellement une forme de confinement : contrôles sanitaires systématiques avec tests de masse, prises de température généralisées, traçage pointilleux des déplacements, quarantaines.

Depuis quelques semaines, les autorités sanitaires chinoises, championnes de la désinformation, reconnaissent à demi-mot qu’elles font face à un variant d’Omicron moins mortel que la souche Delta, mais qui se propage bien plus rapidement. Leur système de santé, antédiluvien, risque d’être submergé. C’est mathématique. Empire de vieillesse, la Chine compte 300 millions d’habitants de plus de 60 ans. Par pur nationalisme, elle refuse d’importer des doses de vaccins à ARN messager et ne dispose, avec Sinovac ou Sinopharm, que de sérums de seconde zone. Les autorités chinoises déclarent que 88 % de la population est entièrement vaccinée, mais 33 % des personnes de 60 ans et plus n’ont reçu que deux doses, quand 19 % n’ont eu aucune injection. Une proportion qui monte à 50 % chez les plus de 80 ans… Selon des études occidentales, cette moindre efficacité des vaccins fait qu’à peine 25 % de la population est protégée contre l’infection. « Sans vaccin approprié, la diffusion est inéluctable, avec une mortalité qui sera plus importante que chez nous, qui avons une forte immunité anti-formes sévères, analyse Jean-Michel Pawlotsky, chef du laboratoire d’épidémiologie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Combien ? Difficile à dire. À terme, leurs scientifiques vont sans doute produire de l’ARN messager. Toutefois, comme ils ne veulent pas en importer, le maître mot est tenir. »

Tenir, mais comment ? En calfeutrant et en mettant sous cloche tout un pays ? Impossible sur la durée. Les données officielles de Hongkong, où les vaccins chinois et occidentaux ont cohabité, montrent une grande disparité. Le taux de mortalité des patients âgés de 80 ans et plus qui ont reçu deux doses de Sinovac est de 2,95 %. Parmi ceux qui ont opté pour le BioNTech (Moderna), il est de 1,51 %. « S’il est vrai, comme le disent Xi Jinping et le politburo du PC chinois, que « la vie des gens passe avant tout », alors ils devraient rapidement approuver BioNTech. Parce que cela peut sauver des vies », assure le Pr Jin, de l’université de Hongkong.

Côté économie, cela fait déjà très mal. Les usines des villes confinées ont fermé leurs portes. Selon une estimation récente de l’université de Hongkong, l’empire du Milieu subit une perte de 295 milliards de yuans (42 milliards d’euros) par mois, soit 3,1 % du produit intérieur brut. La congestion des ports de Shanghai, les plus grands du monde en matière de tonnage de marchandises, a augmenté de 40 % depuis mars. Et le pire est à craindre si le delta de la rivière des Perles, dans le sud du pays, l’usine du monde, est submergé par le virus.

Fidèle à sa doctrine de grande muraille sanitaire, le président Xi Jinping affirme toujours que « la persistance est une victoire ». Cette politique lui est directement imputable. C’est lui qui s’est octroyé la « victoire » contre le virus après le confinement de Wuhan. « C’est lui qui vante la supériorité du modèle chinois, montrant que le Parti place la vie des habitants au-dessus de l’économie, à l’opposé des démocraties occidentales où la COVID-19 a semé la mort par millions. Renoncer au zéro COVID-19 pourrait être interprété comme un signe de faiblesse », analyse Antoine Bondaz. Avec le confinement éventuel de Pékin, Xi Jinping joue une partie importante et à très haut risque. Un lockdown dans le centre de pouvoir pourrait être considéré comme un revers majeur pour sa crédibilité générale. L’incapacité de Shanghai à maîtriser le virus fragilise déjà le chef local du Parti, Li Qiang. Membre du politburo, il risque d’en être écarté lors du XXe congrès. Si le scénario catastrophe perdure, la prochaine victime pourrait bien être le petit timonier. On commence à critiquer son mode de gouvernance, et son renouvellement pour un troisième mandat, en octobre, pourrait être compromis. En début d’année, son triomphe romain pavé de roses semblait acquis. Il l’est beaucoup moins aujourd’hui.

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