Acteurs de changement

La médecin qui refuse de se taire

Ils font l’actualité. Ils sont des acteurs de changement dans leur domaine. Mais on les connaît peu ou pas. La Presse vous en présente tout au long de la saison estivale.

« Qu’est-ce qu’un médecin fait à parler d’environnement ? »

Ou encore le classique : « Tu devrais être en train de soigner des gens. »

Claudel Pétrin-Desrosiers reçoit souvent ce genre de commentaires après une intervention médiatique.

À 30 ans, la jeune femme commence tout juste à exercer la médecine.

Et pourtant, son expertise est déjà sollicitée partout.

Les universités l’invitent à prononcer des conférences. Celle qui a aussi une maîtrise en environnement apparaît souvent à la télé. Elle signe des lettres ouvertes dans les journaux.

« Si je vous découvre une grave maladie, mais que je ne vous en parle pas, vous m’en voudriez, hein ? », demande la médecin dans une récente conférence TEDx qu’on peut résumer ainsi : parler des changements climatiques peut sauver des vies.

La Dre Pétrin-Desrosiers n’hésite pas à critiquer sur les réseaux sociaux les partis politiques qui prennent des décisions néfastes pour l’environnement et la santé humaine.

« Ouin, on dérange un peu, des fois », laisse tomber celle qui exerce depuis quelques mois à peine au CLSC d’Hochelaga-Maisonneuve. Car, oui, elle soigne aussi des gens, n’en déplaise à ses détracteurs.

Ce n’est pas prononcé sur un ton baveux. Ou même de défi. Quand les décideurs privilégient l’économie au détriment de la santé de la population, la scientifique refuse de se taire. À ses yeux, cela fait partie de son rôle de médecin.

« Je suis très active sur les réseaux, et dans les médias, parce que la science nous dit qu’on a besoin de gens qui font ce lien-là, entre la santé et les changements climatiques. C’est prouvé que ça augmente la volonté d’agir pour le climat. »

— La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers

En avril dernier, dans la même semaine, le gouvernement du Québec a approuvé l’augmentation de la limite d’émission de nickel dans l’air et le ministre fédéral de l’Environnement et ancien militant écologiste Steven Guilbeault a annoncé, le lendemain, qu’il autorisait le mégaprojet pétrolier Bay du Nord, déplore-t-elle.

« [Cette semaine-là], je me suis dit : “J’ai besoin d’une pause” », dit-elle avant d’éclater de rire.

Si elle rit, c’est qu’elle n’est pas du genre à prendre une pause malgré les mauvaises nouvelles pour le climat. Ni à ralentir. Même dans son débit. La jeune femme parle très vite. Comme si elle craignait de manquer de temps pour transmettre son sentiment d’urgence.

En médecine par hasard

Claudel Pétrin-Desrosiers a choisi la médecine « par hasard ». Un enseignant au secondaire lui avait recommandé le domaine. Dans sa famille, il n’y a pas de scientifique. Mais elle a un modèle de persévérance scolaire : sa mère.

Cette fille d’agriculteurs – 10e de 12 enfants – a quitté la terre familiale pour aller suivre un cours de secrétariat. Puis, elle a eu la passion des études. « Ma mère a fini son bac quand j’étais en secondaire 4 », dit la médecin sur un ton admiratif.

À la faculté de médecine de l’Université de Montréal, la jeune femme de Gatineau a eu l’impression d’atterrir sur une autre planète. « À peu près 50 % – peut-être plus – des étudiants de la classe avaient des parents médecins, raconte-t-elle. Parler de médicaments, pour eux, c’était des trucs évidents. Moi, je me disais : “Voyons donc, c’est censé faire partie de mes connaissances de base ?” »

Elle s’est souvent demandé ce qu’elle faisait là. Elle a même failli ne jamais devenir médecin après avoir échoué à un cours de cardiologie ainsi qu’à son examen de reprise – par un point de pourcentage ! Techniquement, cela l’excluait du programme.

Des responsables de la faculté lui recommandent alors de se réorienter. On lui reproche par la même occasion de ne pas mettre ses énergies au bon endroit.

À l’époque, elle est très engagée dans une association d’étudiants en médecine qui tisse des liens entre la santé communautaire, la santé mondiale et les droits de la personne. Cet engagement est sa « bouffée d’air frais » pour passer à travers ses études exigeantes, fait-elle valoir.

On lui accorde une année sabbatique.

« J’ai été rapidement confrontée au fait qu’il y avait une médecine qui était très clinique, puis on oubliait un peu le rôle social, politique des médecins. »

— La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers

Elle deviendra vice-présidente externe de la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine. Son mandat la mènera au siège social de l’Organisation mondiale de la santé, à Genève, et à la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, au Pérou.

Après son année sabbatique, elle doit reprendre sa deuxième année de médecine (même les cours réussis). Si elle échoue de nouveau, c’est terminé. Plus tard dans son parcours, au moment de choisir sa spécialité, tout le monde la voit – y compris elle-même – en santé publique.

Nouveau revers : elle n’obtient pas l’une des rares places disponibles. Elle doit se rabattre sur son deuxième choix : la médecine familiale.

« Honnêtement, je suis tellement contente de ne pas être allée en santé publique », lâche-t-elle, avec le recul. « J’ai une liberté de dire ce que je veux qui tient à ma propre crédibilité. Je ne suis pas soumise à des instances gouvernementales », poursuit-elle.

L’entrevue a lieu au sous-sol d’un pavillon de l’Université de Montréal, un beau vendredi de juin. Elle y anime un colloque sur la santé durable.

« Le meilleur médicament pour l’environnement, c’est celui qu’on ne prescrit pas », lance-t-elle au public composé en majorité de collègues plus âgés. L’affirmation en fait sourciller un ou deux. Elle les encourage aussi à participer au mouvement Prescri-Nature qu’elle a mis sur pied au Québec avec des collègues. L’idée étant de recommander l’exposition à la nature à leurs patients.

La veille, la jeune médecin donnait une conférence similaire au CHUM – qui vient de s’engager à atteindre la carboneutralité d’ici 2040. Sans tomber dans un « optimisme naïf », elle voit dans ce genre d’engagement un signe que l’urgence climatique est de plus en plus ressentie. Du moins dans le domaine de la santé.

Sa « plus grande inspiration vivante » est un médecin australien du nom de Nick Watts. À l’origine du Lancet Countdown – important rapport publié chaque année par la réputée revue médicale sur les liens entre la santé humaine et les changements climatiques –, le jeune scientifique est devenu chef du développement durable du réseau de la santé du Royaume-Uni (NHS).

Le NHS a l’ambition d’être le premier réseau de la santé au monde à atteindre la carboneutralité en 2040.

« Il y a beaucoup de gens en position de pouvoir qui ne saisissent pas l’ampleur de la situation parce qu’ils n’ont pas été adéquatement informés et formés sur la question. »

— La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers

La réalité crue

Ses patients dans Hochelaga-Maisonneuve lui rappellent tous les jours pourquoi elle a choisi de ne pas se taire. L’autre jour dans son cabinet, un enfant de 3 ans est venu la consulter pour de l’asthme. Le petit habite tout près de la rue Notre-Dame, où la circulation automobile est lourde.

« Quand on parle de pollution, puis de l’augmentation du camionnage sur Notre-Dame à cause de Ray-Mont Logistiques, c’est un petit gars comme lui qui va peut-être se retrouver à l’urgence avec des crises d’asthme. C’est super concret », souligne-t-elle.

La Dre Pétrin-Desrosiers est présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement. C’est à ce titre qu’elle intervient régulièrement dans l’actualité. Elle vient de réclamer une audience du Bureau des audiences publiques sur l’environnement sur l’ensemble du projet de Ray-Mont Logistiques. Un projet qui, selon l’Association, créera un îlot de chaleur et une hausse de la pollution atmosphérique inévitable avec l’augmentation du camionnage.

Acte de rébellion

Est-elle écoanxieuse ? lui demande-t-on.

« C’est normal de se sentir inquiet face au futur, répond celle qui préfère le spectre plus large d’“écoémotions”. Il y a un psychiatre qui m’a déjà dit : “On devrait plus se poser la question : c’est quoi le problème avec les gens qui ne ressentent pas l’écoanxiété ?” »

Des gens de sa génération choisissent même de ne pas avoir d’enfants pour sauver la planète. « On protège l’environnement pour être capables de continuer d’y vivre, dit-elle. C’est très personnel, mais pour moi, avoir des enfants, c’est l’espoir. Ça fait partie d’un acte de rébellion. C’est dire : on va continuer à exister. »

La jeune trentenaire n’entend pas s’arrêter là. Elle vient d’accepter de nouvelles responsabilités dans son alma mater. Elle est aujourd’hui responsable de la santé planétaire pour le département de médecine familiale et d’urgence de l’Université de Montréal. Pas mal pour une fille qui a bien failli ne jamais obtenir son diplôme.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.