Lorraine Pintal fait ses adieux au TNM

Après plus de 30 ans à la barre de la plus prestigieuse compagnie de théâtre au Québec, la directrice passera le flambeau l’été prochain.

C’est la fin d’un règne. Et aussi d’une époque.

Après 32 ans à la barre du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal quittera la direction du théâtre le 30 août prochain. Elle en a fait l’annonce en primeur à La Presse mercredi. Durant une heure, elle s’est confiée avec son habituelle énergie. Or, on la sent habitée par des sentiments opposés : l’enthousiasme de passer le flambeau, mais la tristesse de quitter une maison qu’elle aime à la folie. « Je pars sereine, mais le deuil sera dur et long. En quittant le TNM, j’ai comme l’impression qu’on va m’amputer un membre du corps », illustre-t-elle.

Lorraine Pintal songeait depuis un certain temps à faire ses adieux. Ses détracteurs diront qu’il n’est pas trop tôt… Pourquoi maintenant ? « Parce que 2024 est une année charnière pour le TNM », dit-elle.

En effet, l’année sera marquée par l’aboutissement de projets majeurs au TNM : la fin des travaux d’agrandissement ; l’inauguration de la salle Réjean-Ducharme ; la restructuration de la direction générale scindée en deux postes (artistique et administratif) ; l’adoption d’un plan stratégique de cinq ans…

« Je ne pensais pas dépasser le cap des 30 ans. En bon capitaine de navire, je suis restée le temps que ces chantiers aboutissent. Et ça prend du temps au temps.  »

— Lorraine Pintal

Le sens du devoir

En cours de mandat, Mme Pintal a été emportée par le flot d’activités et d’initiatives nouvelles, comme le projet de la revitalisation du théâtre étalé sur… un quart de siècle ! « Si on me confie un mandat, je vais aller au bout pour le mener à bien. C’est une question d’ADN, d’éducation. Je suis arrivée au TNM dans un contexte de crise interne, la compagnie était fragilisée. Mon devoir, c’était de la redresser. »

Est-elle parvenue à réaliser tous ses projets ? On lui a reproché d’avoir mis du temps avant d’ouvrir son théâtre aux diverses communautés culturelles. « La diversité culturelle, je l’avoue humblement, ç’a été long avant qu’on voie des changements sur scène ou en coulisses au TNM. Mais on y est arrivé, et c’est là pour de bon. »

« Avec la salle Réjean-Ducharme, où le TNM présentera les créations d’artistes émergents, je laisse un magnifique théâtre au service de la génération montante, poursuit-elle. Je suis très curieuse et excitée par l’avenir du TNM. Comme artiste, j’ai débuté dans les années 1970, avec la création collective, l’affirmation nationale. Depuis dix ans, il y a un souffle nouveau dans la création théâtrale au Québec, une volonté de la jeune génération de prendre sa place. Et mon souhait, c’est de leur donner un endroit où ils auront tous les effectifs et les outils pour le faire. »

L’art et la politique

Pour expliquer la longévité de son règne, Mme Pintal dit que diriger le TNM, c’est comme une drogue : « C’est difficile de dire j’arrête immédiatement, et je laisse la place à d’autres. Mais le théâtre en général est une drogue. »

On ne dirige pas une institution comme le TNM durant 32 ans sans affronter des vents contraires. Au fil du temps, le TNM a parfois fait l’objet de critiques très dures. « Il faut avoir une armure, reconnaît-elle. Il ne faut pas se sentir visé personnellement chaque fois. Certes, il faut prendre au sérieux les critiques contre sa gouvernance ou sa programmation. Mais je fais une différence entre la personne que je suis et la directrice de l’institution. »

On lui fait remarquer qu’elle a une solide carapace de politicienne… « Oui, sans doute, mais il faut avoir le sens de la politique pour diriger le TNM. Ça fait partie du travail. »

D’ailleurs, sa passion pour la politique ne s’est pas éteinte au lendemain de sa défaite électorale dans Verdun, en 2014, dans l’équipe de Pauline Marois. « Je ne lancerai pas de rumeurs aujourd’hui, parce que je n’ai rien à annoncer. Or, pour moi, la politique, c’est une autre drogue. Et je me suis découvert une aisance là-dedans, une habileté pour revendiquer des choses. »

La pire tempête ?

Combative, Lorraine Pintal l’est et l’a toujours été, en allant au front pour défendre le TNM et ses artistes. Quelle a été la pire tempête qu’elle a traversée en 32 ans ? « L’affaire Cantat et la trilogie Des femmes en 2011. Parce que c’était une triple tempête : sociale, politique et culturelle. »

En acceptant que le chanteur Bertrand Cantat – condamné pour le meurtre de sa conjointe, Marie Trintignant – monte sur la scène du TNM, Lorraine Pintal adhérait à la proposition du metteur en scène Wajdi Mouawad : « Pour moi, le geste artistique de Wajdi tenait de la catharsis ; parce que le spectacle parle de la violence faite aux femmes. Je n’ai pas vu l’iceberg devant nous. J’étais aveuglée par le geste artistique que je trouvais formidable. C’est sûr que ç’a laissé des traces durant deux ou trois ans.

– Est-ce que vous le regrettez ?

– Je ne suis pas habitée par les regrets dans ma vie. Or, si c’était à refaire, je ferais les choses autrement. Je préparerais le terrain pour mieux expliquer l’idée de réhabilitation derrière ce choix », admet-elle.

« Je dis souvent que le TNM est un bateau qui vogue sur une mer agitée. Il est aussi le reflet de la société québécoise, une référence pour l’ensemble de la population. En 2011, l’affaire Cantat a été le début de tout ce qui viendra ensuite avec le mouvement #metoo. »

— Lorraine Pintal

Lorraine Pintal restera au TNM jusqu’à la fin de 2024, pour assurer la transition. Un comité de sélection indépendant, supervisé par le conseil d’administration du TNM, épluchera les candidatures. Le processus et les détails seront dévoilés plus tard. Le C.A. annoncera la nomination à la direction artistique et celle à la codirection générale d’ici l’été. « Une réflexion particulière devra être portée à cette passation », peut-on lire dans le communiqué qui annonce ce matin le départ de la cinquième directrice – et première femme – à diriger la compagnie de théâtre fondée en 1951.

Et à quoi ressemblera l’avenir pour Lorraine Pintal ? Elle refuse de prononcer le mot en R (retraite), mot tabou dans le milieu culturel. À 72 ans, l’artiste a des projets en dehors du théâtre. Elle écrit aussi un roman, son deuxième livre. La directrice a déjà programmé les deux prochaines saisons du TNM (qu’on annoncera plus tard). Elle fera une mise en scène pour les 75 ans du TNM, en 2026.

Mme Pintal n’est pas impliquée dans sa succession. Toutefois, peut-elle nous dire ce que ça prend pour occuper un tel poste ? « De la passion, de la vision et de la concertation. Car le théâtre reste un travail d’équipe. Sans esprit collectif, sans solidarité, tu ne peux pas diriger un théâtre », répond-elle en bonne politicienne.

Lorraine Pintal

Une carrière en 11 actes

1973

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Lorraine Pintal reçoit le prix Jean-Valcourt. En décembre, de retour d’un stage en Europe, la comédienne de 22 ans commence sa carrière sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde. Elle fait partie de la distribution de Mistero Buffo, adaptée par Michel Tremblay et mise en scène par André Brassard.

1974

Cofondation de la compagnie La Braoule, qui deviendra le Théâtre de La Rallonge, avec d’autres finissants du Conservatoire. Durant 15 ans, Mme Pintal collabore à différents projets à titre de comédienne, auteure et metteure en scène.

1981

Elle met en scène la création de C’était avant la guerre à L’Anse-à-Gilles, de Marie Laberge, à la salle Fred-Barry. Une pièce fréquemment reprise par la suite.

1988

Création du solo Madame Louis 14. Autre succès. Le spectacle sera repris l’année suivante au Théâtre d’Aujourd’hui, puis partira en tournée en France. En mars 2011, Lorraine Pintal a présenté une nouvelle production de sa pièce au Rideau Vert (photo ci-contre).

1991

Mise en scène mémorable d’Hosanna, de Michel Tremblay, au Théâtre de Quat’Sous, avec René Richard Cyr et Gildor Roy. Lorraine Pintal réalisera aussi une adaptation de la pièce pour la télévision.

6 mars 1992

Nomination à la direction du TNM. Lorraine Pintal succède à Olivier Reichenbach. Elle occupe le nouveau poste de directrice générale et artistique. Ce qui lui donne les coudées franches pour relever les nombreux défis du TNM, ébranlé par des conflits internes et un déficit accumulé. Lorraine Pintal se donne le mandat de faire « des changements profonds et nécessaires » à la relance de l’institution, notamment de rendre le théâtre « plus vivant dans la Cité ».

1997

Après avoir confié à l’architecte Dan Hanganu la rénovation de la Comédie-Canadienne, la directrice inaugure en mai la salle Gascon-Roux, réalisant un vieux rêve de ses fondateurs, avec la production de La vie est un songe.

2001

Prix Gascon-Thomas de l’École nationale de théâtre, décerné à une figure marquante du théâtre canadien. Devient membre de l’Ordre du Canada.

2014

La directrice prend un congé sans solde du TNM pour se lancer en campagne électorale. Candidate du Parti québécois dans Verdun, elle subit la défaite le 7 avril, aux mains du libéral Jacques Daoust.

2019

Lancement de la campagne de financement et du projet d’agrandissement Déployer le Nouveau Monde. Après des retards liés à la pandémie et à un incendie, le projet, évalué à 32 millions, sera finalisé en 2024.

11 janvier 2024

Lorraine Pintal annonce son départ du TNM. Elle quittera son poste le 30 août, mais assurera la transition avec la nouvelle direction jusqu’à la fin de l’année.

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